BLOGUE. Cela vous est sûrement déjà arrivé: un proche, un ami, ou encore un collègue vous à demandé, un jour, vos lumières pour prendre une décision importante. Qu'avez-vous fait? Bien entendu, vous y avez réfléchi, et vous lui avez donné un conseil. Mais voilà, votre conseil était-il bon ou mauvais? Autrement dit, étiez-vous la bonne personne pour lui donner un conseil?
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Difficile à dire, pensez-vous peut-être. On ne le sait jamais d'avance. Et puis, ce n'est jamais qu'un conseil, que chacun est libre d'écouter, ou pas. Eh bien, détrompez-vous. Il est possible de dire si vous êtes, ou non, quelqu'un de bon conseil, en général. Comment ça? Grâce aux résultats de l'étude intitulée Does good advice come cheap? On the assessment of risk preferences in the lab and the field, signée par deux chercheurs en économie de l'Université d'Heidelberg (Allemagne), Andrea Leuermann et Benjamin Roth.
Cette étude présente une expérience très intelligente sur les donneurs de conseil. Dans un premier temps, les deux chercheurs ont établi des profils de personnes qui ont dû tous prendre une même décision financière importante, et ce, en récoltant des données dans les résultats du sondage annuel du German Socioeconomic Panel (SOEP).
En effet, 20 750 Allemands ont répondu, dans la cadre du sondage, à la question à 100 000 euros. Cette dernière se présente comme suit : «Vous venez de gagner 100 000 euros à la loterie. Aussitôt après, vous recevez une offre de participer à une nouvelle loterie. Le principe est simple : vous avez une chance sur 2 de doubler votre mise, et 1 chance sur 2 de perdre la moitié de votre mise. Que faites-vous?». Plusieurs réponses sont possibles : «Vous misez 100 000 euros, 80 000 euros, 60 000 euros, 40 000 euros, 20 000 euros, ou vous déclinez l'offre».
À l'aide des réponses données, les deux chercheurs ont pu dresser différents profils-types de personnes, en fonction de leur niveau de tolérance au risque. Il y a ceux qui n'aiment pas prendre de risques, et d'autres qui sont des joueurs invétérés. Les uns sont, par exemple, plus souvent des femmes, et les autres, plus souvent des hommes. Etc. Leurs données étaient si fouillées qu'ils ont pu attribuer à chaque profil-type un sexe, un âge, un niveau d'éducation, un niveau de revenus, etc. Et, pour le besoin de l'expérience, ils ont attribué à chaque profil-type la vraie photo d'une personne y correspondant – quatre femmes et quatre hommes –, histoire de mettre un visage sur ces profils-types.
Dans un second temps, Mme Leuermann et M. Roth ont demandé à 167 personnes de jouer le rôle de conseiller. Ceux-ci devaient dire ce qu'il valait mieux répondre à la question à 100 000 euros, après avoir pris connaissance du profil de la personne concernée – présentée comme réelle. Le tiers des conseillers étaient des non professionnels du conseil, en l'occurrence, des étudiants de l'Université d'Heidelberg. Un autre tiers, des conseillers professionnels expérimentés, issus de cabinets de conseil ou d'institutions bancaires. Et le dernier tiers, des jeunes conseillers professionnels, tout juste embauchés par une institution financière. L'idée était de voir si les conseils prodigués correspondaient, ou pas, aux décisions prises par les différents profils-types.
Résultats? Troublants…
> Un biais. On a tendance à imaginer que les autres ont toujours une tolérance au risque plus faible que la nôtre. À noter que cette tendance se vérifie surtout chez les conseillers non professionnels et chez les conseillers expérimentés.
> Deux autres biais. Quand on donne un conseil à autrui, on attache beaucoup d'importance à deux choses : le sexe de l'autre et la tolérance au risque qu'on lui suppose. Le hic? Ces deux données ne sont pas pertinentes pour donner un bon conseil.
> L'avantage du débutant. Plus on a d'informations sur la personne qu'on conseille, plus le conseil qu'on lui donne est bon. Et plus on traite ces informations de manière "neutre" – par exemple, sans se laisser influencer par le fait que c'est un homme ou une femme, et que nous avons des a priori sur l'un comme sur l'autre par rapport à la tolérance au risque –, meilleur est le conseil donné. Ce qui explique que les meilleurs conseillers dans cette expérience étaient les jeunes conseillers professionnels, car ils savaient de quoi ils parlaient et n'étaient pas biaisés par leurs années d'expérience…
Que retenir de tout cela? D'après moi, que l'on n'est de bon conseil que si l'on réunit deux conditions :
1. Connaissance. Il vous faut bien, voire très bien, connaître la personne qui vous demande votre avis.
2. Neutralité. Il faut aussi être capable d'un certain recul par rapport à soi, c'est-à-dire être en mesure d'écarter certaines de nos croyances qui pourraient biaiser notre réflexion. Par exemple, ceux qui croient qu'en général les femmes sont des poules mouillées par rapport aux gars feraient mieux d'y réfléchir à deux fois avant de se risquer à donner un conseil à une amie ou à une collègue, car ils ont de force chances d'être de mauvais conseil.
Qu'en pensez-vous? Êtes-vous d'accord avec cette conclusion?
En passant, le moine du 6e siècle Barsanuphe de Gaza a dit dans ses Lettres : «Un homme sans conseiller est son propre ennemi».
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