BLOGUE. Nous manquons de temps. Nous n'avons jamais assez de temps pour accomplir tout ce que nous devrions faire. Au travail, en famille, avec les amis. Un sondage mené récemment aux États-Unis le montre bien : 1 Américain sur 2 trouve que ses journées n'ont pas assez d'heures. La question est : pourquoi? Oui, pourquoi avons-nous cette perception du temps?
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Cette interrogation a été le déclencheur de l'étude Awe expands people's perception of time, alters decision-making, and enhances well-being, signée par Jennifer Aaker, professeure de marketing à l'Université Stanford (États-Unis), assistée de son étudiante Melanie Rudd, et par Kathleen Vohs, professeure de marketing à l'École de commerce Carlson (États-Unis). Les trois chercheuses se sont en effet demandé ce qui pourrait être fait pour corriger le tir, pour permettre aux gens de parvenir à savourer l'instant présent au lieu de toujours courir après la montre.
Elles ont réfléchi et ont eu un flash, en réalisant qu'il y avait des moments où l'on avait l'impression d'être hors du temps. Quels moments? Par exemple quand on écoute de la musique, ou quand on admire un paysage somptueux. Alors le temps s'arrête et ne compte plus. De manière générale, nous perdons la sensation du temps dès lors que nous sommes impressionnés ou admiratifs.
Bien entendu, les trois chercheuses ont voulu vérifier leur hypothèse. Elles ont pour cela procédé à trois expériences, desquelles il ressort une foule d'enseignements intéressants, comme vous allez le voir.
1ère expérience – Comment arrêter le temps
Il a été demandé à 63 étudiants de remettre dans l'ordre cinq mots pour composer une phrase qui avait du sens, et ce à vingt reprises (ex.: «not available enough time much»). La moitié de ces phrases portaient comme message que le temps était compté (ex.: «I am pressed for time»).
Puis, les participants devaient regarder une publicité télévisée de 60 secondes. La moitié d'entre eux ont visionné une pub pouvant impressionner et rendre admiratif (ex.: des passants voient des baleines flotter dans les airs aussi gracieusement que si elles évoluaient dans la mer ainsi que des cascades d'eau merveilleuses déferler des gratte-ciel). L'autre moitié, une pub visant à rendre heureux (ex.: des passants se retrouvent sous une pluie de confettis multicolores ainsi qu'au beau milieu d'une foule en liesse).
Enfin, ils ont dû remplir un questionnaire visant à indiquer dans quel état d'esprit ils se trouvaient et la sensation du temps qu'ils avaient.
Résultat? Ceux qui ont regardé la première pub, c'est-à-dire ceux qui étaient en état d'admiration, n'ont pas vu le temps passer. En revanche, les autres, ceux qui ont eu un moment de bonheur en regardant la seconde pub, avaient vu leur perception du temps inchangée.
2e expérience – Comment devenir moins impatient
Cette fois-ci, 86 étudiants ont couché par écrit le récit, tout d'abord, d'«une expérience de vie qui avait littéralement changé leur façon de voir le monde».
Puis, la moitié d'entre eux ont été mis en condition d'admiration avant de raconter «une expérience qui les avait cloué sur place». L'autre moitié, elle mise en état de bonheur, a rédigé «une expérience qui leur avait procuré une immense sensation de joie».
Enfin, les participants ont rempli un questionnaire lié d'une part à leur sentiment présent d'impatience, d'autre part à leur envie immédiate d'œuvrer pour une bonne cause, si on le leur demandait.
Là, les trois chercheuses ont découvert que le fait d'être en état d'admiration permettait de réduire l'impatience d'une personne et d'accroître l'envie de faire du bien autour de soi (sans pour autant aller jusqu'à délier les cordons de sa bourse…). Ce qui ne se vérifiait pas pour ceux qui étaient heureux.
3e expérience – Comment influencer une prise de décision
Maintenant, 105 personnes ont lu un texte et indiqué par la suite comment, d'après elles, le héros se sentait à la fin de celle-ci. Pour certains, l'histoire racontait l'ascension à pied d'un homme au sommet de la Tour Eiffel; pour d'autres, l'ascension d'une tour anonyme dans un pays inconnu.
Elles ont rempli un questionnaire à propos de leur perception du temps. Puis, elles ont fait des choix entre des biens matériels et des expériences de vie d'une valeur financière similaire (ex.: entre une montre et un billet de spectacle à Broadway). Pour terminer, elles ont rempli un nouveau questionnaire, sur leurs sensations présentes en matière d'anxiété, de calme, de peur, d'ennui, etc.
Mmes Aaker, Rudd et Vohs ont ainsi appris qu'être en état d'admiration rend les gens plus disponibles et ouverts aux expériences de vie nouvelles pour eux. Et même, globalement plus satisfaits de vivre l'instant présent. En conséquence, cet état d'esprit est susceptible d'influencer une prise de décision.
«Ces trois expériences montrent, sans l'ombre d'un doute, que cultiver la capacité de chacun à être en état d'admiration peut permettre d'améliorer son quotidien», soulignent-elles dans leur étude. Être admiratif favorise, entre autres :
> La faculté de vivre l'instant présent;
> La réduction de l'agressivité;
> La diminution de la distraction;
> La capacité d'être moins impatient;
> L'ouverture aux autres et aux nouveautés;
> Etc.
Cela étant, cet état ne comporte pas que des avantages, comme l'indiquent les trois chercheuses : «Un risque peut consister en une vision tronquée de notre environnement immédiat, voire de soi-même, tant on attache d'importance à l'objet de notre admiration», disent-elles.
Voilà. Ces trouvailles invitent à la réflexion, vous ne trouvez pas? Une idée, comme ça : quel est, d'après vous, le premier geste que l'on fait lorsqu'on admire? À mon avis, on porte les yeux au loin, par souci d'introspection. On braque notre regard vers une zone de flou, histoire de permettre à nos pensées de plonger «en dedans de nous», comme disait Montaigne. Bref, on lève les yeux au ciel.
D'où ma suggestion de départ : et si vous vous mettiez à regarder en l'air un peu plus souvent? Que se passerait-il? Eh bien, vous vous émerveilleriez davantage. Tout simplement. Et par suite, vous ressentiriez une onde de calme vous envahir graduellement, et, l'air de rien, le temps se mettrait à moins peser sur vos épaules, et peut-être même s'arrêterait.
Alors, envie d'essayer? Chiche!
En passant, l'écrivain français Paul Morand aimait à dire : «Que de temps perdu à gagner du temps!».
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