BLOGUE. Pour vous comme pour moi, il y a des décisions qui sont plus difficiles que d’autres à prendre, n’est-ce pas? Quand il s’agit d’acheter un ordinateur, de choisir une école pour son enfant, ou de planifier les vacances de la petite famille. Même chose au travail, dès qu’il est question de régler un différent entre deux collègues à propos d’un projet d’envergure, de trancher dans les dépenses, ou de régler un dossier qui traîne depuis des semaines. Nous savons pertinemment que le problème est épineux, ce qui le rend à nos yeux d’autant plus complexe à résoudre.
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Chacun a sa façon à lui de surmonter ces difficultés-là. L’un va amasser le plus d’informations possible pour étayer sa réflexion; un autre va prendre tout son temps pour étudier le dossier; un autre va prendre sa décision à la vitesse de l’éclair, en se fiant à son instinct; un autre encore, va tout faire pour ne plus y penser et oublier tout ça à jamais, étant un indécis de nature; etc. Mais - soyons honnêtes -, personne n’a de méthode infaillible.
Pourtant, il existe quelques trucs pour s’attaquer au mieux à des problèmes complexes. Certains sont connus et peuvent être réunis pour la plupart sous un même chapeau, celui de «la prise de distance psychologique». Cette dernière peut prendre différentes formes : le temps, l’espace, la distance sociale et l’«hypothéticalité», comme l’ont indiqué Yaacov Trope et Nira Liberman dans une étude parue l’an dernier dans la Psychological Review. Le principe est simple : une chose nous paraît complexe quand on a le nez dessus, mais dès qu’on la regarde d’une certaine distance, elle nous paraît moins impressionnante. Et cette prise de distance peut être effectuée par la pensée. Par exemple, on peut tenter de regarder la chose d’un œil neuf, c’est-à-dire autre que le sien, en se disant «Et si j’étais Napoléon Bonaparte, qu’est-ce que je ferais face à ce problème?»…
Il existe encore un truc plus simple, et semble-t-il tout aussi efficace! C’est du moins ce que j’ai découvert dans une étude passionnante intitulée Psychological distance and subjective experience : how distancing reduces the feeling of difficulty et signée par Manoj Thomas et Claire Tsai, tous deux professeurs de marketing, le premier à la Cornell University (Etats-Unis) et la seconde à la Rotman School of Management (Canada). Il suffit d’après eux de prendre un léger recul physique pour diminuer la difficulté ressentie face à un problème. Un peu comme au musée, il y a ceux qui se mettent à deux doigts des toiles des maîtres pour scruter chaque coup de pinceau et qui demeurent perplexes, et il y a ceux qui se mettent loin en face d’elles et qui se laissent emporter par la magie…
Ainsi, M. Thomas et Mme Tsai ont procédé à quatre expériences dans le but de savoir si notre position physique par rapport à un objet avait ou non une influence sur notre perception de la complexité de celui-ci. Je ne vais pas décrire toutes ces expériences, mais me contenter d’aller à l’essentiel. Il a notamment été demandé à une centaine d’étudiants de Cornell de se placer devant un ordinateur et d’exécuter au mieux les tâches demandées à l’écran. Cela consistait, entre autres, à lire à voix haute des séries de lettres, lesquelles pouvaient être simples (séries de mots communs) ou complexes (séries de mots incompréhensibles). Surtout, tout le monde devait accomplir ces tâches en restant le dos bien appuyé sur le dossier du fauteuil (placé à distance fixe de l’ordinateur), et c’est là que réside toute la subtilité de l’étude : parfois, le dossier était incliné vers l’avant (ce qui rapprochait le visage de l’écran), parfois, il était incliné vers l’arrière (ce qui permettait de prendre un peu de recul), sans pour autant créer de grande gêne physique (cf. les illustrations de la page 56 du PDF).
Résultats? Spectaculaires! Quand il fallait prononcer des séries de lettres complexes, ceux qui étaient penchés en arrière trouvaient cela nettement moins difficile à faire que ceux qui étaient penchés en avant. En revanche, la position physique n’avait aucune incidence en ce qui concernait la tâche d’épeler des mots communs.
Plus encore, face à une tâche complexe, ceux qui bénéficiaient d’un peu de recul par rapport à l’écran de l’ordinateur ressentaient moins d’anxiété que les autres. C’est-à-dire que le simple fait d’être un peu éloigné de son ordinateur suffit à moins appréhender le moment où l’on va s’attaquer à un problème que l’on sait difficile à résoudre.
Les deux chercheurs ont renouvelé l’expérience sous différentes formes, histoire de vérifier si d’autres facteurs que la position physique pouvaient avoir une influence sur les résultats obtenus. Ils ont aussi varié les tests, par exemple l’achat d’un ordinateur rendu plus ou moins complexe en fonction des données plus ou moins comparables fournies. Et ils en sont revenus chaque fois à la même conclusion : «Notre position physique a une influence indéniable sur notre perception de la complexité, et même sur notre anxiété».
Saisissant, non? Par conséquent, il peut nous suffire de nous reculer un poil de notre ordinateur pour que le dossier que l’on y étudie depuis de longues minutes nous paraissent tout-à-coup moins ardu. Une respiration. Un mouvement de relaxation des bras et du dos. Et le tour est joué.
Bien entendu, le problème rencontré, lui, ne va pas changer. S’il est complexe, il va le rester. Mais, notre perception de celui-ci, voire notre angoisse ou notre hantise, va diminuer. Du coup, notre réflexion va en être facilitée.
On peut peut-être aller plus loin dans le raisonnement, même si les deux chercheurs ne s’aventurent pas sur ce terrain-là : et si vous preniez le temps de faire une petite marche dehors, dans un parc voisin, pour vous changer les idées? Cela ne vous ferait-il pas le plus grand bien? Cela ne vous aiderait-il pas à réfléchir, à trouver la bonne solution et à prendre une grande résolution?
Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche disait déjà dans Le Crépuscule des idoles : «Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose»…
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