BLOGUE. Les étudiants québécois sont en grève depuis trois mois et demi et peut-être n'est-ce qu'un début… Le gouvernement Charest et les représentants des organisations étudiantes ne se parlent plus que par médias interposés, et se traînent même l'un l'autre devant les tribunaux. Jour après jour, c'est l'escalade, si bien que tout le monde spécule sur la tournure que va prendre le conflit. De nouvelles élections? La démission du premier ministre? Et pourquoi pas l'immolation par le feu d'un étudiant pour dramatiser le tout?
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On le voit bien, le cœur du problème est la montée de l'extrémisme entre les deux groupes. D'un côté, les étudiants manifestent de plus en plus nombreux et de plus en plus souvent. De l'autre, le gouvernement répond par la fermeté, en multipliant les arrestations de manifestants et même en tentant d'interdire le droit de manifester au Québec. Qui va gagner à ce jeu-là? Il y a peut-être moyen de le savoir…
La gestion des conflits est en effet une marotte des chercheurs universitaires, car il est toujours utile de savoir comment une personne va se comporter dans ce genre de situation. Un exemple : le fameux «équilibre de la terreur» qui, à l'époque de la Guerre froide, a empêché les États-Unis et l'Union soviétique de déclencher une guerre nucléaire, car si l'un des deux déclenchait les hostilités – et donc rompait l'équilibre dit de Nash – il s'exposait à être lui-même détruit. Les chercheurs n'ont cessé depuis de peaufiner ces modèles théoriques, et j'ai mis la main sur une étude riche en enseignements pour le sujet qui nous intéresse.
Intitulée Extremism drives out moderation, elle est signée par deux professeurs d'économie, Bettina Klose, de l'University of Zurich (Suisse), et Dan Kovenock, de la Chapman University (États-Unis). Elle se penche sur le cas où deux groupes de personnes agissent ensemble de manière conflictuelle, l'un étant radical et l'autre, centriste. Qu'entendent-ils au juste par ces deux termes?
> Radical : personne disposée à ne pas compter à la dépense pour obtenir gain de cause.
> Centriste : personne qui n'est pas radicale.
Les deux chercheurs ont étudié deux sortes de conflits. L'une correspond à une vente aux enchères classique, où celui qui offre la plus grosse somme l'emporte toujours. L'autre est un peu plus complexe, car elle a une dimension de loterie : celui qui mise la plus grosse somme a une probabilité plus grande de l'emporter que les autres, et donc aucune certitude de gagner. Et ils ont procédé à différents calculs économétriques visant à déterminer ce qu'avaient de mieux à faire les uns et les autres.
Résultats? Voici les principaux:
> Avantage aux extrémistes. Dans le cas de la vente aux enchères classique, la situation est propice à la surenchère, et donc favorable à ceux qui veulent gagner à tout prix. Les radicaux ont dès lors le gros bout du bâton. L'extrémisme l'emporte sur la modération.
> Avantage encore aux extrémistes. Dans le cas de la «loterie», les radicaux n'ont de vraie chance de gagner que si la somme de leurs dépenses dépasse celle de l'ensemble des centristes. C'est-à-dire que s'ils sont prêts à risquer plus que tous les autres. En effet, dès lors que les centristes constatent que les radicaux s'apprêtent à miser plus qu'eux, ils cèdent et se retiennent de dépenser quoi que ce soit. L'extrémisme l'emporte donc encore, mais à condition d'être… vraiment extrême.
> Avantage ultime aux centristes. Cela étant, toujours dans le cas de la «loterie», il suffit d'introduire une donnée supplémentaire dans l'équation pour tout changer. Cette donnée, c'est de décréter que les sommes que l'on peut dépenser sont limitées. Si jamais la somme que les radicaux veulent dépenser pour gagner ne parvient pas à dépasser celle des centristes (par exemple, s'il y a 10 radicaux et 1000 centristes), alors la modération l'emporte sur l'extrémisme.
Revenons maintenant à notre grève étudiante. Qui sont ici les extrémistes? Et qui sont les centristes? Je ne vais pas m'avancer sur ce terrain glissant, mais je ne vais pas non plus me défiler. Je vais poser le problème autrement…
Les radicaux l'emportent la plupart du temps s'ils réussissent à se montrer extrémistes, s'ils parviennent à «faire peur» aux centristes au point que ces derniers préfèrent plier plutôt que de risquer de perdre tout ce qu'ils ont. Pour l'instant, nous assistons à une escalade de surenchères de la part du gouvernement Charest et des organisations étudiantes. Chacun tente de passer pour le radical, et de ravaler l'autre au rang de centriste.
Mais voilà, nous évoluons dans un monde où les ressources pour impressionner autrui sont limitées (une chance!), puisque nous sommes en démocratie. On peut raisonnablement dire que l'un comme l'autre ne peuvent guère maintenant aller plus loin que ce qu'on a déjà vu. Du coup, nous nous retrouvons dans le cas de figure de la «loterie» où les sommes à miser sont limitées (et déjà presque toutes dépensées). Que nous dit l'étude? Que la modération l'emporte alors sur l'extrémisme.
Voilà pourquoi je peux avancer – sans trop risquer de me tromper – que le conflit est sur le point de se terminer. Celui des deux qui va le premier changer de stratégie – c'est-à-dire que va changer de rôle, en abandonnant celui du radical pour celui du centriste – va gagner. Et la victoire sera quasi-instantanée.
On parie?
En passant, l'écrivain français Pierre Drieu La Rochelle a dit dans Les Chiens de paille : «L'extrême civilisation engendre l'extrême barbarie»…
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