BLOGUE. J’ai eu le privilège de rencontrer, cette fin de semaine, Denis Robert, un journaliste français devenu célèbre pour avoir déclenché ce qu’on a appelé «L’affaire Clearstream». À la suite d’une minutieuse enquête, il a montré que Clearstream, une chambre de compensation luxembourgeoise que l’on peut présenter comme «la banque des banques», agissait comme «la meilleure lessiveuse d’argent sale du monde». Une bombe. Qui lui a explosé dans les mains : il a vécu par la suite une saga judiciaire longue de 10 années, marquée par une soixantaine de procédures judiciaires et quelque 400 visites d’huissiers.
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Dix années d’une pression incroyable – il a été traîné dans la boue par d’autres médias français; il s’est retrouvé bien malgré lui au milieu des flèches destructrices de Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, chacun cherchant à «tuer» l’autre pour pouvoir briguer la présidence de la République; etc. – qui se sont terminées par un coup de théâtre : en février dernier, la Cour de cassation française, l’équivalent de la Cour suprême du Canada, a confirmé «le sérieux de l’enquête et l’intérêt général du sujet traité», renversant tous les jugements précédents qui avaient condamné le journaliste. Ce qui a définitivement cloué le bec de la haute-direction de Clearstream et de sa nuée d’avocats.
Comment un homme a-t-il pu tenir le coup? Seul face au colosse financier que représente Clearstream, qui au début de 2011 avait dans ses coffres l’équivalent de 11 400 milliards de dollars américains (c’est grosso modo l’équivalent de la dette publique des Etats-Unis…), surtout en obligations, mais aussi en actions et en or? «Je n’ai jamais vraiment craqué, car je savais que j’avais raison. Mon travail avait été bien fait, et j’étais convaincu qu’un jour ou l’autre, tout le monde le reconnaîtrait», a dit Denis Robert, à l’une des conférences du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).
«Bien entendu, ça n’a pas été facile tous les jours. Avant 2006, je remportais tous les procès qui étaient intentés contre moi. Mais après ça, j’ai commencé à en perdre, pour des enrtrevues accordées à des médias, ici et là. Et des journalistes ont commencé à dire des bêtises sur moi», a-t-il poursuivi.
Le jugement de la Cour de Cassation a tout changé. «J’ai été soulagé d’un poids énorme. C’était la fin de 10 années de combat judiciaire. C’était une décision historique, qui fait jurisprudence, car la Cour a reconnu qu’un journaliste pouvait commettre de petites erreurs si, comme moi, il est de bonne foi. «L’intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l’enquête, conduite par un journaliste d’investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux», ont noté les magistrats. Depuis, Denis Robert fait figure de héros dans la profession…
Outre sa conviction d’être dans le vrai, deux autres choses l’ont aidé à résister à la pression : d’une part, ses proches, et d’autre part, ses hobbies. «Mes amis m’ont toujours soutenus, et ont même créé un comité de soutien pour les fonds nécessaires à ma défense en justice. Et je me changeais les idées facilement, en me lançant corps et âmes, des semaines durant, dans ma passion pour la peinture et la bande dessinée», a-t-il dit.
Ce qui est arrivé à Denis Robert m’a fait penser à une étude que j’avais vu passer il y a quelques temps et que j’ai retrouvée hier. Celle-ci est intitulée Seeing the glass half full : Using a POS framework to teach leading under pressure et est signée par Lynn Perry Wooten, professeure de management à la Ross School of Business, et Erika Hayes James, professeure de gestion des affaires à la Darden School of Business. Elle montre que résister à la pression, ça peut s’apprendre…
Ainsi, les deux expertes de la gestion de crise ont eu l’idée de dresser un plan de cours pour tout enseignant de MBA qui voudrait traiter du leadership en période de turbulences. Elles ont établi les liste des principaux point à aborder, et ont illustré ceux-ci d’exemples lumineux.
Pour commencer, les deux professeures soulignent qu’il importe de réagir vite et bien face à une situation de crise. Des études indiquent, en effet, que les entreprises cotées en Bourse qui réagissent mal face à une crise voient leur titre perdre en moyenne 10% de leur valeur dans les semaines qui suivent, et 15%, un an après. Quant à celles qui réagissent adéquatement, elles perdent certes 5% dans les semaines qui suivent, mais au bout d’une année, elles récupèrent ces pertes initiales.
Puis, elles citent, entre autres, le cas exemplaire du vol 1549, connu comme le «miracle de l’Hudson». Le 15 janvier 2009, l’Airbus A320 qui avait décollé à 15h26 de l’aéroport new-yorkais de LaGuardia à destination de Charlotte/Douglas, en Caroline du Nord, s’est retrouvé en difficulté deux minutes après. À 2 800 pieds au dessus du Bronx, le pilote a rapporté qu’il venait de heurter des oiseaux (des bernaches, d’après les résultats de l’enquête) et qu’il ressentait depuis une forte baisse de puissance des réacteurs. Et aussitôt, l’avion s’est mis à piquer du nez pour amerrir, à 15h31, sur les eaux glacées de l’Hudson.
Comment le pilote, Chesley Sullenberger, a-t-il réussi à éviter une catastrophe en pleine ville? Il a choisi de garder le train d'atterrissage rentré et a dirigé l’appareil vers le fleuve pour s’y poser sans trop de dommages. L'avion a flotté, ce qui a laissé le temps d’ouvrir les portes avant et centrales de l'appareil pour l'évacuation. Des passagers se sont regroupés sur les toboggans d'évacuation, dont ils se sont servis comme de canots de sauvetage. D’autres se sont réfugiés sur les ailes de l’avion. Et différents navires se sont portés au secours des 150 passagers et 5 membres d'équipage. Tout le monde a été sain et sauf.
«La faculté du pilote de prendre des décisions sous pression et d’appliquer celles-ci sans broncher découle de son leadership et de l’entraînement qu’il a eu en cas de difficultés en plein vol, considèrent les deux professeures. M. Sullenberger, un ancien capitaine de l’US Air Force qui comptait une quarantaine d’années d’expérience, a passé des heures à s’entraîner à atterrir dans toutes sortes de conditions, y compris celles d’un amerissage forcé. Cet entraînement s’est déroulé sur des simulateurs de vol. À cela s’ajoutent tous ses atterissages réels, tant dans le militaire que dans le civil. Sans parler de sa large expérience professionnelle : il a été instructeur, il a été enquêteur sur des accidents, et il a même écrit un article sur les erreurs de pilotage pouvant résulter de mauvaises informations reçues par le pilote.»
De surcroît, le pilote n’a pas seulement dû faire preuve de sang froid en situation d’urgence, il lui a aussi fallu gérer en même temps la crise déclenchée au sein de son équipage et des passagers. «Il a coordonné les tâches de chaque membre de l’équipage et a donné les bonnes instructions aux passagers, avec calme et autorité. Ses mots sont restés gravés dans la mémoire de tous : «Acccrochez-vous parce que ça va secouer», a-t-il dit au micro, juste avant d’amerrir», racontent-elles.
Quelles leçons tirer du «miracle de l’Hudson»? Tout d’abord, qu’il ne s’agit pas d’un miracle, mais bel et bien de la prouesse exceptionnelle du pilote. Ensuite, que tout bon leader doit suivre cinq principes lorsqu’il est confronté à une situation extrêmement grave, d’après Mmes Perry Wooten et Hayes James :
1. Ne pas nier l’échec. Il faut avoir conscience que toute action comporte des dangers, qui peuvent, même si c’est peu probable, tourner à la catastrophe.
2. Ne pas simplifier. Quand un drame se produit, il y a toujours des signes avant-coureurs. Il faut savoir les percevoir et les identifier pour ce qu’ils sont, et surtout pas chercher à les minimiser.
3. Être alerte. Une fois le danger senti, il importe de réagir au plus vite. En pensée comme en action.
4. Être résilient. À l’origine, la résilience est un terme utilisé pour décrire la résistance des matériaux aux chocs. Adapté depuis quelques années à l’homme, il signifie la faculté que nous avons de résister à un choc, c’est-à-dire de prendre acte du choc et de réagir en conséquence.
5. Faire appel à toutes ses facultés. Nos divers talents doivent être mis en œuvre pour que notre réaction au choc ne soit pas que rapide, mais aussi adéquate.
«Le leadership en période de crise est une question de d’apprentissage, en particulier de nos erreurs. C’est une question de prise de décisions dans une situation extrême que l’on n’a jamais connue auparavant. C’est une question de direction d’équipe par l’exemple. C’est une question d’union des forces en présence, et de combat contre la possibilité de voir celles-ci se disperser en tous sens, sous le coup de la panique. C’est une question d’esprit d’équipe, de solidarité hors du commun. Le leadership en période de crise, c’est tout cela mis ensemble», martèlent les deux professeures.
Inspirant, n’est-ce pas?
Le poète grec Théocrite aimait d’ailleurs à dire : «En persévérant, on arrive à tout»…
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