Ça peut être un employé qui traîne tout le temps des pieds, affichant une mine de zombie ; ou un autre qui répand de sales rumeurs sur les uns et les autres ; ou encore un autre qui tire sans cesse la couverture à lui à chaque succès de l’équipe dans laquelle il évolue… Les mauvais comportements sont innombrables au travail. Ils représentent même souvent un véritable fléau, contre lequel personne ne sait trop bien comment lutter. Pas vrai ?
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D’où le fait que mon attention ait été attirée par une étude intitulée Destructive behaviour in a fragile public good game. Celle-ci est signée par Frans van Winden, professeur d’économie à l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas), assisté de trois de ses étudiants, Maximilian Hoyer, Nadège Bault et Ben Loerakker. Et elle montre, comme je m’y attendais, qu’il y a bel et bien moyen de contrer les mauvaises velléités au bureau.
Ainsi, les quatre chercheurs ont demandé à 130 volontaires de bien vouloir se prêter à un petit jeu d’argent. Le principe était très simple : deux joueurs disposaient de jetons valant chacun 10 points et devaient, par la stratégie de leur choix, faire fructifier leur somme de départ, sachant qu’ils pouvaient à tour de rôle, lors de chacun des 35 tours de jeu :
- soit contribuer au pot commun. Les jetons qui y étaient déposés – pour un maximum de 7 par tour de jeu – étaient appréciés par les expérimentateurs selon un savant calcul (ex.: si chacun déposait 2 jetons, cela faisait non pas un total de 2x2x10=40 ponts, mais plutôt de 2x2x11=44 points). À la fin de la partie, bien entendu, le pot commun était équitablement réparti entre les deux joueurs.
- Soit retirer un ou plusieurs jetons du pot commun pour les mettre dans leur cagnotte personnelle. Et ce, avec un coût de transfert (ex.: chaque jeton de 10 points retiré ne valait plus que 8 points une fois dans la cagnotte personnelle du joueur). À noter que chacun ne pouvait retirer d’un coup qu’un maximum de 7 jetons.
Bon. Mais pour corser un peu plus le jeu, les quatre chercheurs de l’Université d’Amsterdam ont eu l’idée de mettre les joueurs dans l’une des trois conditions suivantes:
- Traitement symétrique. Au départ, chaque joueur avait dans sa cagnotte personnelle 7 jetons. Le pot commun en contenait, lui, 14. Du coup, chaque joueur pouvait d’emblée adopter une attitude destructrice, en retirant d’un coup le maximum permis de 7 jetons. Cela étant, quelques coups permettait aux joueurs de comprendre que l’attitude la plus payante pour eux était de coopérer, en contribuant à chaque tour de jeu à hauteur de 4 ou 5 jetons déposés dans le pot commun.
- Traitement encadré. Au départ, chaque joueur avait dans sa cagnotte personnelle 14 jetons. Le pot commun en contenait, lui, aucun ; il était vide. Là encore, l’attitude la plus payante pour chacun des joueurs consistait à contribuer au pot commun à hauteur de 4 ou 5 jetons à chaque tour de jeu.
- Traitement asymétrique. Dans ce cas-là, la valeur des jetons n’était pas de 10, mais de 11 points. Et lorsqu’on retirait son premier jeton du pot commun, la valeur de celui-ci n’était pas diminuée. Cette fois-ci, l’attitude la plus payante revenait à déposer 5 jetons dans le pot commun à chaque tour de jeu.
On le voit bien, chacun était sans cesse tenaillé entre l’ange et le diable. C’est-à-dire entre l’envie de contribuer au bien commun, sachant que la somme finale sera équitablement partagée, et celle, démoniaque, de s’enrichir sur le dos de l’autre, quitte à ce que ce soit au détriment du bien commun. Plus subtil encore, certains pouvaient se dire qu’ils allaient se comporter en ange au début de la partie, histoire d’endormir la méfiance de l’autre joueur, pour, en fin de partie, virer au diable en dépouillant allègrement le pot commun !
Résultats ? Tenez-vous bien, ils sont littéralement fascinants :
➢ 1 sur 2. Quelle qu’ait été le traitement de jeu, environ 1 joueur sur 2 a eu des comportements destructeurs pour le bien commun durant la partie. Autrement dit, la moitié des participants a fait le choix, à l’occasion, d’agir au détriment d’autrui dans l’espoir d’en dégager un petit profit personnel.
➢ L’occasion fait le larron. De manière générale, environ 10% des décisions prises par chaque joueur correspondaient à un comportement destructeur pour le bien commun. Plus précisément, cela a été le cas dans 11% des décisions dans le traitement symétrique, dans 7% des décisions dans le traitement encadré et surtout dans 21% des décisions dans le traitement asymétrique. Ce qui signifie que l’occasion fait le larron, puisque plus le traitement poussait à avoir un mauvais comportement pour le bien commun, plus les gens s’y sont essayé.
➢ Surtout les femmes. Une catégorie de participants a eu en général davantage de mauvais comportements que les autres, celle des femmes. Plus précisément, lorsque deux femmes jouaient entre elles, et par-dessus tout lorsqu’elles étaient soumises au traitement asymétrique, le plus propice aux comportements destructeurs pour le bien commun.
À présent, que retenir de tout cela ? C’est fort simple, me semble-t-il :
➢ Qui entend contrer les mauvaises velléités au bureau se doit d’apprendre à miser sur le Nous. Pour ce faire, il lui faut agir en deux temps. Il doit tout d’abord prendre conscience qu’absolument n’importe qui peut avoir, à l’occasion, un mauvais comportement dans le cadre de son travail – et en particulier, que ce n’est pas parce que quelqu’un affiche un joli minois qu’il ne dissimule pas pour autant un petit diable au plus profond de son être. Il doit ensuite veiller à ce que chacun ait le moins d’occasions possible de flouer l’ensemble de l’équipe, voire de l’entreprise, pour son petit profit personnel. Comment s’y prendre, au juste ? Eh bien, l’idéal est d’inciter chacun à collaborer au maximum avec les autres, autrement dit de faire comprendre à chacun que 1+1=3 quand on s'y prend bien, tandis qu'on aura beau multiplier 1 par lui-même plein de fois, ça ne fera jamais que 1 au final. Bref, il convient de miser non pas sur la performance individuelle (comme nous le faisons malheureusement si souvent…), mais sur la performance globale de l’équipe. Car le Nous mène toujours plus loin que le Moi.
En passant, l’écrivain français Jules Barbey d’Aurevilly a dit dans Les Ridicules du temps : «L’égoïsme, ce gros ventru, cette citrouille qui prend toute la plate-bande».
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