BLOGUE. À votre avis, quel est le pire cauchemar du joueur d’échecs? La réponse est très simple : une surprise. Oui, il n’y a rien de pire pour lui que de voir son adversaire jouer un coup auquel il n’avait pas pensé une seconde. Car cela signifie qu’il a fait une erreur dans ses calculs, et que la stratégie qu’il a soigneusement échafaudée jusqu’alors vient fort probablement de s’écrouler sous ses yeux éberlués…
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Une telle situation a sûrement dû vous arriver un jour. Pas besoin d’être un amateur d’échecs pour ça. Vous avez peut-être eu la mauvaise surprise de découvrir qu’un compétiteur venait de sortir un produit ou un service que vous rêviez de lancer un jour, dans un lointain futur; et vous vous êtes mis à trembler pour votre avenir. Vous avez peut-être eu la mauvaise surprise - que sais-je encore? - de vous faire poser une question qui tue, à un entretien d’embauche ou lors d’une réunion de bureau; et vous vous êtes mis à rougir.
Le problème : vous ne savez toujours pas comment vous sortir de ce genre de situation. Cette dernière a beau revenir de temps en temps, vous vous sentez à chaque fois aussi maladroit que la première fois où cela vous est arrivé. Pas vrai? C’est là que j'arrive avec une bonne surprise pour vous : il y a moyen de ne plus être victime de l’effet de surprise!
Quel moyen? Un moyen que j’ai déniché dans une étude passionnante, titrée The role of surprise : Understanding over- and underreactions using in-play soccer betting. Celle-ci est signée par Darwin Choi, professeur de finance de la HKUST Business School (Hong Kong), et Sam Hui, professeur de marketing de la Leonard Stern School of Business (New York). Elle indique que l’on peut prévoir la réaction des gens en proie à l’effet de surprise, et par suite, que l’on peut changer son propre comportement lorsqu’on est sous le coup d’une surprise…
Ainsi, les deux chercheurs ont voulu estimer si le fameux effet de surprise était bel et bien une réalité, ou une simple vision de l’esprit. Et le cas échéant, évaluer son impact sur des personnes qui doivent prendre des décisions importantes, tout en sachant qu’une mauvaise surprise peut intervenir à tout instant. Pourquoi ce questionnement? Parce que les deux s’intéressent aux boursicoteurs, c’est-à-dire à ceux qui passent leurs journées collés à un écran d’ordinateur pour acheter ou vendre des paquets d’actions boursières, en fonction de l’évolution des marchés financiers de la planète. Leur idée de départ est que ces mêmes personnes commettent peut-être des bourdes monumentales lorsqu’une mauvaise nouvelle tombe sur les fils de presse…
MM. Choi et Hui se sont alors penchés sur une base de données fort pertinente pour leur questionnement, celle de Betfair. Betfair est un site Web de paris d’argent en temps réel sur les matches de soccer. Le principe est simple : les parieurs peuvent parier «pour» ou «contre» une équipe lors d’un match qu’ils regardent en direct à la télévision (mettons, dans un pub…) ou sur le Web, les gains potentiels s’amenuisant à mesure que le temps s’écoule (de fait, il est plus facile de parier correctement sur l’issue d’un match à quelques minutes de la fin de celui-ci plutôt qu’à son tout début…).
L’intérêt pour les deux chercheurs, c’est que les réactions des parieurs sont enregistrées à la seconde près. Quand les favoris marquent un but, on peut voir si les parieurs accroissent leurs «pour» et «contre», ou pas. Et, plus intéressant encore, on peut observer ce qui se passe chez les parieurs quand les favoris, contre toute attente, se prennent un but. Un vent de panique souffle-t-il alors, ou pas, sur la communauté des parieurs en ligne?
En tout, 2 017 matches ont été scrutés à la loupe par les deux chercheurs. Des matches qui ont été joués entre 2006 et 2011 et qui concernaient des compétitions d’envergure, comme les coupes du monde de 2006 et de 2010, les cinq coupes de l’UEFA, et les championnats, entre autres, de la Liga (Espagne), de la Bundesliga (Allemagne) et de la Premier League (Angleterre). Résultats? Palpitants! Les voici résumés :
> À chaque but marqué, les parieurs mettent à peu près deux minutes pour réagir;
> Quand le but marqué était prévisible (les favoris marquent), les parieurs ont tendance à sous-réagir, c’est-à-dire qu’ils sous-estiment l’importance de l’événement qui vient de se produire et n’ajustent pas leurs paris comme ils le devraient, comme si la nouvelle information les confortait dans leurs choix;
> Quand le but marqué est une surprise (les favoris encaissent un but), alors là, les parieurs sur-réagissent, c’est-à-dire qu’ils accordent une importance disproportionnée à ce qui vient de se passer;
> Enfin, les réactions déclenchées par le but marqué, quelles qu’elles soient, disparaissent cinq à six minutes après que l’événement a eu lieu. Tout revient dès lors à la normale.
Fascinant, n’est-ce pas? Face à une bonne surprise, nous avons tendance, vous comme moi, à sous-estimer l’importance de celle-ci. Et face à une mauvaise surprise, nous lui accordons beaucoup plus d’importance qu’elle n’en a en réalité. Plus fort encore : après cinq minutes, à savoir une fois l’effet de surprise estompé, nous réussissons à reprendre tous nos moyens et à agir adéquatement.
Vous voyez certainement où je veux en venir. La meilleure stratégie pour résister à l’effet de surprise consiste par conséquent à :
1. Prise de conscience. Avoir conscience que lorsqu’un événement important se produit et nous touche directement, nous allons forcément mal réagir sur le coup.
2. Zen. Au moment précis où l’événement se produit, le mieux est… de ne pas réagir!
3. Temps mort. Ce n’est pas pour autant qu’il faut fermer les yeux comme si rien ne s’était passé. Non, il faut se dire que nous avons cinq minutes pour glaner le plus d’informations possible sur l’événement qui vient de survenir, en résistant à l’envie de sauter à des conclusions.
4. Saine réaction. Une fois les fatidiques cinq minutes écoulées, alors là, oui, vous pouvez enfin vous demander ce qu’il convient de faire. Vous aurez alors mis toutes les chances de votre côté, surtout par rapport à ceux qui ont commis l’erreur de réagir à chaud.
Bon, certains me diront que nous ne pouvons pas toujours avoir le luxe de prendre cinq minutes pour réfléchir. Lors d’un entretien d’embauche, par exemple, c’est difficilement envisageable. Pourtant, je maintiens qu’il est presque toujours possible de… temporiser. Regardez les politiciens quand ils se font poser une question piège en direct à la télévision : ils font une savante digression sur un sujet connexe («Votre question me fait justement penser à…»), en fait, le temps de trouver une réponse appropriée. Cette stratégie n’est pas idéale, j’en conviens, mais elle leur évite au moins de prononcer une énorme bourde, qu’ils traîneront des mois durant comme un boulet…
En passant, Boris Vian aimait à dire : «À quoi bon soulever des montagnes quand il est si simple de passer par-dessus?»…
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