BLOGUE. «Quand vous faites un choix, votre tête n’en fait qu’à sa tête». Cette phrase n’est pas de moi, elle est de Jason Zweig. Jason qui? Jason Zweig, un nom que vous connaissez sûrement si vous vous intéressez aux finances personnelles, et qui vous est inconnu sinon. Sachant que votre prédilection va au management et au leadership, je me permets de vous indiquer qu’il s’agit d’un chroniqueur financier du Wall Street Journal, réputé pour ses propos aussi percutants qu’intelligents. Il a le chic pour expliquer le plus simplement du monde des concepts complexes, et dans son tout dernier livre, Investir dans un marché en montagnes russes (Éditions Transcontinental, 2012, à paraître le 24 janvier), il traite ainsi du «contrôle mental»…
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Le «contrôle mental»? Un notion primordiale pour qui est amené à prendre des décisions importantes, pour son équipe, ou tout bonnement pour soi. ««Au moment même où vous croyez prendre une décision entièrement rationnelle, vous vous laissez peut-être guider par vos émotions plutôt que par votre intellect. Vous pourriez être sous l’emprise d’émotions qui vous sont complètement étrangères, ce qui vous mènera à faire des choix que vous regretterez plus tard», indique-t-il dans son livre.
M. Zweig fait ici référence à certaines «bizarreries de l’esprit humain», comme les ancres, les cadres et autres halos…
> Levez l’ancre
Pour comprendre ce qu’est une «ancre», l’auteur propose un petit exercice ludique… Prenez les trois derniers chiffres de votre numéro de téléphone, puis ajoutez y 400. (Ex.: 342 devient 742.) Maintenant, répondez aux deux questions suivantes : Gengis Khan a-t-il fondé l’empire des Mongols avant ou après l’année correspondant au résultat de votre calcul? Et quelle est l’année exacte où il a fondé son empire, à votre avis?
Bien entendu, comme moi, vous ne connaissez pas la date de la fondation de cet empire. Voici la réponse : 1206. L’intéressant, c’est qu’«en règle générale, plus les derniers chiffres de votre numéro de téléphone sont élevés, plus tardive sera la date que vous associerez à la fondation de l’empire mongol», avance-t-il. Curieux, n’est-ce pas?
«Voilà l’influence des ancres, explique-t-il. Dans l’incertitude, vous vous accrochez au premier nombre qui vous vient à l’esprit pour cerner une valeur numérique inconnue. Vous savez très bien qu’il n’y a aucun rapport entre les téléphones et les Mongols, mais les chiffres composant votre numéro de téléphone influeront néanmoins sur votre jugement.»
Idem, «si on vous fait visiter une maison inabordable d’entrée de jeu, son prix se fixera dans votre esprit, de sorte que toutes les autres que vous verrez ce jour-là vous sembleront des aubaines comparativement à la première», illustre-t-il, en soulignant que «les ancres ont un effet magnétique, quasi magique».
Comment résister à ce phénomène? «Si vous vous emballez pour un quelconque [bien] simplement à cause de son prix, vous vous laissez influencer par une ancre. Enlevez-vous cet hameçon de la tête et repartez à zéro, en vous concentrant uniquement sur la valeur réelle [de celui-ci]», conseille M. Zweig.
> Changez de cadre
«Que préféreriez-vous manger : un hamburger fait de viande maigre à 90% ou un hamburger dont la viande contient 10% de matières grasses? À moins que vous ne soyez végétarien, vous salivez probablement déjà à l’idée de bouffer le premier, alors que le second vous fait penser à une avalanche de gras. Pourtant, les deux hamburgers sont identiques, mais différents. Et même si vous vous en rendez compte, cela ne suffira pas à dissiper l’effet de leurs descriptions sur vous.» (…)
«On vous a présenté les mêmes faits de deux façons différentes, mais ces deux présentations – ces deux cadrages – suscitent des réactions émotives bien différentes», poursuit-il.
Dans le cas présent, il est possible de contrer ce phénomène par un «recadrage». «Quand un spécialiste du marketing ou de la finance vous débite son boniment, renversez systématiquement les statistiques qu’il vous présente. Si on vous parle d’un taux de réussite de 90%, posez-vous automatiquement cette question : suis-je prêt à accepter le risque que présente un taux d’échec de 10%? Si on vous dit que vous pourriez doubler votre mise en faisant le bon choix, demandez combien vous risquez de perdre en faisant le mauvais choix», considère M. Zweig.
> Concentrez-vous sur les nombres
«Le jugement que vous portez sur un aspect de la personnalité [d’une personne que vous connaissez] changera votre opinion de tous les autres aspects de celle-ci. Par exemple, si on vous demandait de noter mon physique et que j’obtenais une note parfaite de 10, automatiquement, vous auriez une meilleure opinion de mes capacités intellectuelles et athlétiques (cela devrait aussi vous inciter à consulter un oculiste, mais c’est là une autre histoire…).
«On a donné à ce phénomène le nom d’«effet de halo», puisque l’évaluation d’un seul élément entourera les éléments évalués plus tard d’une sorte de halo.»
D’après l’auteur, on peut, si on le veut vraiment, remédier à l’effet de halo. Pour ce faire, il convient de se concentrer uniquement sur les nombres. «En ne tenant compte que des données numériques brutes, vous agirez de façon plus objective, car vous serez moins susceptible de vous laisser influencer par un effet de halo, que celui-ci émane d’un directeur général, des produits d’une société donnée ou de toute autre source», dit-il.
> Combattez la manie des prévisions
«Un des aspects les plus remarquables du cerveau humain, c’est sa capacité de saisir les relations existant entre diverses caractéristiques. Nous faisons souvent appel à cette capacité sans même en être conscients. Avant même que la frappeur ait touché la balle, par exemple, un voltigeur commencera à se diriger là où elle est susceptible de tomber. Un ambulancier reconnaîtra les signes d’une crise cardiaque avant même de se servir de son matériel de monitorage. Aux échecs, un grand maître n’aura qu’à jeter un coup d’œil sur l’échiquier pour connaître le nombre de coups menant à la victoire.
«Cette aptitude remarquable peut toutefois se transformer en fléau. (…) C’est que le cerveau se base sur des tendances à très court terme pour tirer des conclusions hâtives à propos des tendances à long terme. Des neuroscientifiques ont montré qu’il suffit qu’une chose se répète deux fois pour qu’on en déduise qu’elle se répètera probablement une autre fois. Voilà pourquoi les gens disent «ce titre boursier va monter» quand, en vérité, tout ce qu’ils savent, c’est qu’il a été en hausse depuis tant de temps. (…) De même, ce n’est pas parce qu’une pièce est tombée côté face deux fois de suite qu’elle tombera sur face au prochain coup.» (…)
«La meilleure façon de lutter contre [la manie des prévisions], c’est de faire le suivi de vos prévisions. Chaque fois que vous avez l’impression étrange qu’une [chose] se comportera de telle ou telle façon, couchez votre inspiration sur papier. Notez tous les détails relatifs à votre prévision, par exemple ce qui est sensé se passer et quand cela devrait se produire. Vous apprendrez ainsi que : soit vous êtes assez doué pour devenir un [voyant], soit vous devriez jeter l’éponge de la divination.»
> Supprimez le point aveugle de votre cerveau
Quel est la plus dangereuse «bizarrerie» de votre cerveau? «Votre certitude de n’en avoir aucune», lance M. Zweig. C’est ce qui correspond au point aveugle de notre cerveau.
«La psychologue Emily Pronin, de Princeton, a montré que les gens identifient de façon relativement précise les biais susceptibles d’influer sur le jugement des autres, mais peinent à reconnaître les biais qu’ils manifestent eux-mêmes. (…) Imaginez le scénario suivant. Après avoir passé une journée infernale, vous vous défoulez en engueulant quelqu’un – un serveur, un commis, votre conjoint, un de vos enfants, peu importe. Après vous être calmé, que vous dîtes-vous? Probablement pas ceci : «Mince, je suis vraiment un malpoli!» Vraisemblablement, vous vous direz plutôt quelque chose de ce genre : «Mince, j’ai vraiment pété les plombs!»
«Imaginez maintenant que vous voyiez un homme engueuler un serveur, un commis ou un membre de sa famille. Quelle conclusion en tireriez-vous : «Mince, ce mec a vraiment pété les plombs!» ou «Mince, quel malpoli!»? Il est presque certain que vous concluriez ceci : [dans le cas vous concernant, que] vous vous êtes emporté ; [dans l’autre cas, que] l’homme en question était un malpoli. Par contre, il serait très étonnant que vous songiez à ce qui est pourtant une évidence, [à savoir que] quand c’est vous qui êtes en cause, vous vous concentrez tout naturellement sur les circonstances particulières dans lesquelles vous vous trouvez, et quand vous observez autrui, vous ne savez rien des circonstances dans lesquelles il se trouve.»
C’est bien simple, «ni autrui ni vous ne pouvez voir vos propres biais».
Et M. Zweig de clore son chapitre sur le contrôle mental par l’idée suivante : «Une conclusion simple s’impose : aucun d’entre nous ne pense parfaitement rationnellement. Nous faisons tous des erreurs intellectuelles. Mais on peut les compenser et se donner pour objectif d’en faire moins. Et la seule façon d’y arriver, c’est de reconnaître nos propres faiblesses humaines. Il est bien plus difficile de se connaître soi-même qu’on peut se l’imaginer»…
En passant, François de La Rochefoucauld, un moraliste du XVIIe siècle, disait : «Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s’en apercevoir qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent»…
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