BLOGUE. Hier, je suis tombé par hasard sur un morceau de musique qui est en train de devenir un phénomène incroyable : «Why This Kolaveri Di» («Pourquoi ce regard assassin?», en français). Et il m’est devenu impossible de le faire sortir de ma tête depuis…
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De quoi s’agit-il? D’une bande-son composée à la va-vite et sans prétention aucune pour un film tamoul intitulé «3» qui, à la surprise générale, est devenu un tube mondial : la vidéo de l’enregistrement en studio a été mise en ligne sur YouTube le 18 novembre dernier, et elle a déjà été visionnée pas loin de 19 millions de fois.
Comment expliquer un tel succès? De toute évidence, le refrain est terriblement accrocheur. Chanté en tanglish (anglais à la sauce tamoule) par l’acteur Dhanush, on le retient aisément. On y sent aussi de l’autodérision, une insouciance qui fait plaisir à voir, alors que nombre de hits sont aujourd’hui orchestrés par les maisons de disque. D’ailleurs, l’auteur du morceau, Anirudh Ravichander, assure l’avoir composé en 10 minutes à la demande d’Aishwarya Dhanush, la réalisatrice de «3» et épouse de Dhanush, qui voulait «une chanson drôle et légère sur le thème de la peine de cœur». Enfin, la musique donne envie de bouger. La mélodie, les percussions tamoules, le tout est irrésistible.
Mais cela suffit-il pour faire un tube? Qu’est-ce que ce morceau a que d’autres n’ont pas? Son auteur lui-même a du mal à se l’expliquer : «C’est peut-être dû aux paroles humoristiques, chantées dans un mauvais anglais, et à sa musicalité. Mais, pour dire la vérité, je ne vois pas vraiment la recette de cette magie», a confié aux médias indiens Anirudh Ravichander.
Des chercheurs se sont aussitôt penchés sur le phénomène, et l’un d’eux en a tiré des enseignements très enrichissants en matière de management, me semble-t-il. Divya Singhal, professeure de management du Goa Institute of Management (Inde), a cherché ce qui pouvait caractériser un tube musical. Elle a ainsi consulté le travail de James Kellaris, professeur de marketing de l’University of Cincinnati (Etats-Unis), lequel considère que tous les morceaux de musique qui ont le chic pour imprégner notre cerveau durant des minutes, des heures, voire des jours entiers, sont :
- répétitifs,
- d’une grande simplicité,
- et parsemés de ruptures rythmiques.
Un exemple? «Who let the dogs out? Who, who, who, who, who let the dogs out?»…
Un autre chercheur, Bill Thompson, professeur de psychologie de l’University of Toronto (Canada), abonde dans le même sens. Un tube musical doit être :
- simple,
- répétitif,
- et doté d’une structure circulaire (couplet / refrain / couplet / refrain).
L’an dernier, Philip Beaman et Shirley Williams, deux professeurs de la School of Psychology de l’University of Reading (Grande-Bretagne), ont mesuré la redoutable efficacité des hits : des 103 personnes qui ont participé à leur expérience, toutes, oui toutes, ont mémorisé ceux qui leur étaient passé. Et une très grande majorité (88%) ont indiqué que les morceaux de musique écoutés leur sont restés en tête pendant plusieurs heures, voire plus longtemps.
D’après John Colombo, professeur de psychologie à la Kansas University (Etats-Unis), notre cerveau est friand des raccourcis. Quand nous apprenons à faire une chose – comme se brosser les dents –, il nous est par la suite très difficile de changer notre manière de faire. Nous avons la fâcheuse tendance de faire une chose comme nous l’avons toujours faite. La version extrême de ce phénomène est le «Toc», à savoir le trouble obsessionnel compulsif : se laver sans cesse les mains, compter tout le temps les carreaux de la salle de bain, répéter le même mot à l’infini, etc. Appliqué à la musique, ça donne les hits, ces morceaux que l’on ne peut se retenir de chantonner dans notre tête…
On le voit bien, «Why This Kolaveri Di» a le profil parfait du hit. Simple. Répétitif. En boucle. Avec ce petit je-ne-sais-quoi de rigolo qui fait qu’il attire une sympathie immédiate. D’où l’idée géniale de Mme Singhal d’appliquer cette recette à toute opération de communication au sein d’une organisation. Quand le PDG veut faire passer un message important à ses lieutenants. Quand un leader répercute celui-ci à son équipe. Quand un employé le répète à un autre. Etc.
Pour avoir un énorme impact, un message doit donc, selon la professeure indienne, jouer sur :
> La répétition. Insérer plusieurs fois le même mot dans votre message, pour ne pas dire le marteler, est on ne peut plus efficace. D’ailleurs, que retient-on aujourd’hui de la campagne présidentielle de Barack Obama menée en 2008? Eh oui, seulement du «Yes, we can!».
> La simplicité. C’est la clé pour rendre efficace la répétition.
> L’incongruité. Le message doit être plus que surprenant ou inattendu, si l’on veut qu’il ait vraiment un gros impact. Il faut qu’il soit de prime abord perçu par les auditeurs comme déplacé, ou inconvenant. Il doit déranger. C’est ce qui fera qu’il sera retenu de tous. Dans le cas de «Why This Kolaveri Di», c’est probablement l’usage du tanglish qui est l’élément déterminant.
Intéressant, n’est-ce pas?
Mais attention tout de même à ne pas chercher à tout prix à lancer des messages forts aux autres. Car cette opération est, à mon avis, très périlleuse… Les hits finissent tous, ou presque, de la même manière : détestés, haïs, exécrés, abominés, pour ne pas dire vomis. Passé l’instant magique où le charme opère, ils commencent à devenir irritants, et si jamais ils ont le malheur de persister dans notre conscience, ils nous herrissent le poil vite fait. Pas vrai?
En passant, Montesquieu a dit dans ses Pensées : «Il semble qu’il n’y ait point de milieu entre l’excellent et le détestable»…
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