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On vous dit aux urgences d'un hôpital que l'attente sera de 12h. Votre réaction initiale sera vraisemblablement négative. Finalement, vous n'attendez que 8 heures. Poussez-vous un soupir de soulagement? Probablement.
Votre enfant veut faire une sortie, et vous demande 50$, sachant que vous estimerez ce montant élevé. Vous sursautez, et demandez des explications. Finalement, vous vous entendez pour 25$ et vous vous considérez satisfait d'avoir pu rajuster ce montant à la baisse. Mais si l'enfant s'attendait à 25$ dès le départ, il en sera très heureux. Quelle ironie! Comment deux partis opposés peuvent-ils croire qu'ils ont gagné dans une même transaction?
Il n'est pas rare de voir des détaillants fixer des prix élevés pour des biens, mais de consentir des rabais significatifs sur une base régulière. Bien des gens préfèrent inconsciemment payer 200$ pour un manteau en solde de 50% (coût initial : 400$), que 180$ pour un même manteau qui n'a jamais été en solde.
Quel principe relie tous ces exemples? Bien sûr, il s'agit du fameux ancrage dont nous discutons souvent dans le cadre des investissements boursiers. Dans le premier exemple, on surprend ou décourage le patient. Cependant, une fois que le patient s'est résigné à attendre les 12 heures de temps (point d'ancrage), tout allègement de ce temps d'attente constitue une bonne nouvelle. Utilisons le procédé inverse. Si on avait signifié à ce patient qu'il aurait eu à attendre 6 heures, imaginez sa réaction une fois ce délai excédé. Le simple fait de créer un ancrage quelconque produit un effet différent sur la personne qui agit en fonction de cette unique information.
Les enfants peuvent parfois s'avérer de fins négociateurs. Demander plus que ce que l'on espère constitue la clé en négociation. Par conséquent, lorsque l'enfant demande 50$ à son père pour effectuer une sortie entre amis, il s'efforce de créer un ancrage artificiel. Après un certain temps à argumenter, le parent peut penser que son enfant accepte une importante concession en se contentant de la moitié du montant demandé. L'utilisation de l'ancrage a permis une négociation dans laquelle les deux parties ont le sentiment d'avoir gagné.
Voici un autre exemple dans le cadre de la vente d'une voiture usagée. Supposons que vous espérez 5000$ pour votre véhicule. La stratégie consiste à laisser l'acheteur potentiel fixer un prix de départ. Si vous lui dites tout de suite que vous voulez vendre à 5000$, un ancrage à ce prix sera déterminé dès le début Or, peut-être que l'acheteur est prêt à offrir 7500$ pour commencer. Comme vous ne pouvez pas le savoir d'avance, vaut mieux laisser l'autre parler. Si effectivement il débute la négociation avec 7500$, vous connaissez déjà le point d'ancrage. Tout bon négociateur doit prétendre ne pas aimer la première offre. Même si vous vous dites ''7500$, c'est excellent!'', vaut mieux réagir en disant d'un air déçu ''Est-ce vraiment votre meilleure offre?''. Si finalement la négociation aboutit au prix de 8500$, vous aurez empoché un montant nettement supérieur à vos attentes. L'acheteur ne sait pas dans son esprit que vous espériez 5000$. Mais s'il l'avait su, il en aurait fait le point d'ancrage. Il aurait été improbable qu'il accepte de payer 8500$.
Alors, si l'investisseur à la bourse se retrouve souvent victime de l'ancrage, avec qui négocie-t-il? Lorsque l'on paie 8$ pour des actions qui se transigeaient à 10$ un mois plus tôt, mais dont la valeur réelle oscille plutôt autour de 5$, on se berne soi-même! Il faut donc retenir ceci : il existe toujours un point d'ancrage dont on se sert comme référence. À la bourse, on doit s'assurer que ce fameux point correspond à la valeur intrinsèque des actions de l'entreprise. Comme cette valeur change de trimestre en trimestre, on doit la recalculer régulièrement. En affaires, on doit s'assurer d'utiliser l'ancrage à son avantage lorsque l'on discute avec la partie adverse. Nous vous recommandons vivement de lire des ouvrages sur la négociation, si vous ne l'avez pas déjà fait. Finalement, nous avons vu plus haut que ce principe s'applique également dans la vie quotidienne. Nous ne pouvons donc nous empêcher de conclure que si nous rejettons ou ignorons son existence, nous subissons alors ses effets pervers!
P.S.: Voici un autre article sur l'ancrage, spécifiquemment pour la bourse