BLOGUE. Nous entendons de plus en plus parler de Chypre, et de ses banques. Les mauvaises nouvelles issues de ce pays ont fait écho partout à travers le monde, notamment parce que les banques vont faire payer les déposants les plus fortunés afin de respecter les conditions d'un plan de sauvetage offert par les autorités européennes.
Hier matin, de nombreux déposants attendaient dans des files d'attente dans l'espoir de pénétrer à l'intérieur de leur succursale pour obtenir un peu d'argent. Certains d'entre eux avaient probablement besoin de liquidités pour survivre!
Or, pour éviter que les gens vident la banque en peu de temps, d'importantes restrictions ont été imposées. Par exemple, on ne peut pas retirer plus de 300 euros par jour. Pour ceux qui devaient voyager à l'extérieur du pays, on prévoit l'accès à 1000 euros par voyage, preuves à l'appui. Les chèques et les transferts sont interdits. Dans ces conditions, on peut facilement comprendre l'angoisse des clients.
La question que nous nous posons réside au niveau des signes avant-coureurs. Pouvait-on voir venir le coup, et ainsi éviter de se retrouver dans une telle situation en tant que déposant?
Nous avons épluché les états financiers de la Bank of Cyprus, soit l'institution la plus importante au pays. Comme la société se transige en bourse, on peut observer facilement son évolution.
Pour l'exercice de 2011, la banque a perdu 1,34 milliards d'euros! Durant l'année 2012, les pertes continuèrent de s'accumuler. Pendant ce temps, le titre s'est effondré de façon spectaculaire. Au 30 septembre 2012, l'avoir net n'était que de 1,5G lorsque l'on retranche les intangibles de 482M ainsi que les impôts différés de 320M. Nous nous retrouvions donc avec une banque qui ne détenait que 1,5G d'euros pour supporter des prêts totaux de 26G! Le ratio des prêts sur l'équité nette s'élevait à 17 fois (nous estimons qu'un ratio supérieur à 10 s'avère dangereux).
Il suffit que 6% des prêts ne soient jamais remboursés à la banque pour que celle-ci se retrouve sans valeur nette. Or, quelles étaient les probabilités d'assister à un tel scénario? Les prêts douteux de la société s'élevaient à 3,1G d'euros. Parmi les prêts dont les paiements sont en retard, mais qui ne sont pas inclus dans la catégorie des ''prêts douteux'', nous retrouvons environ 2G d'euros de prêts dont l'absence de paiements excède au moins 3 mois. Si vos clients n'effectuent aucun paiement pendant trois mois consécutifs, ne seriez-vous pas nerveux?
Par conséquent, les prêts que nous qualifierions de ''douteux'' totalisaient la coquette somme de 5G d'euros. Or, les réserves mises de côté pour absorber ces pertes atteignaient 2,25G, ce qui laissait approximativement 2,75G de prêts douteux non couverts. Ce montant s'avérait presque deux fois plus élevé que l'équité nette de la banque, une fois tous les actifs intangibles retranchés.
Sachant que près de 18% des prêts peuvent être considérés comme étant en difficulté, il y avait de quoi s'inquiéter! Une banque avec aussi peu d'équité pour supporter ses prêts détient une mince marge de manoeuvre.
En outre, les problèmes à Chypre ne datent pas d'hier. La population savait fort bien que l'économie souffrait. En outre, les pronostics s'avéraient sombres. Dans cet article (cliquer ici pour le visionner), on entrevoyait une récession sévère. Cette annonce date du mois d'août de 2012, bien avant que l'on ne commence à entendre parler de Chypre partout à travers le monde.
Bien sûr, bien des épargnants ont accès à des garanties sur leurs dépôts. Toutefois, une garantie ne peut jamais être plus solide que la solidité de celui qui l'octroie. Les gens en ont obtenu la preuve : l'état avait considéré la possibilité de faire payer les petits déposants pour venir en aide aux banques.
Trop souvent, on se fie aux commentaires des élus pour nous rassurer sur la santé financière de l'état. Or, n'y a-t-il pas un important conflit d'intérêts? Imaginez un monde où les banques se contenteraient de la parole des emprunteurs pour connaître la situation de leurs finances, lorsqu'elles évaluent leur capacité de remboursement! À n'en point douter, les institutions financières ne survivraient pas bien longtemps si elles procédaient ainsi.
En conclusion, nous pensons qu'il existait bien des signes annonciateurs. Espérons que les épargnants d'autres pays en tireront une leçon : même les placements garantis peuvent devenir risqués lorsque l'économie tourne au cauchemar.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com