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Pourquoi votre idée géniale ne vaut rien

Par Julien Brault

Publié le 23/09/2015 à 14:01

Alors que l’échéance pour s’inscrire au Défi Start-up 7 approche (vous avez jusqu’au 4 octobre), je réponds à de plus en plus de questions en provenance d’aspirants entrepreneurs. L’une des questions qui revient le plus souvent, et qui ne manque pas de m’exaspérer, est la suivante : « Si je partage mon idée, je ne risque pas de me la faire voler? ».


La réponse courte est que oui, il est factuellement possible qu’on vous vole votre idée. En effet, une idée ne peut pas être protégée par un brevet ou une marque de commerce. Cela dit, les idées géniales ne permettent pas à quiconque de devenir riche et, contrairement à ce que vous pourriez croire, elles ne sont pas rares. Même que, dans le merveilleux monde des start-ups, il y a une surabondance d’idées, mais une rareté d’ingénieurs, qui ont souvent eux aussi des idées géniales, à cause desquels nombre d’entre eux décident d’ailleurs de ne pas travailler à concrétiser les idées géniales des autres.


Vous ne me croyez pas quand j’affirme que les idées géniales ne valent rien? Je vais vous en donner quelques-unes et on verra si l’un d’entre vous me les volera. Ce serait déjà surprenant, car je suis sûr que vous avez déjà vos propres idées géniales. Et si vous me volez une de mes idées géniales, je doute fort que vous en fassiez une entreprise multimillionnaire, que vous la vendiez, et que vous achetiez une île déserte dans quelques années. Si vous y parvenez, n’hésitez pas à m’envoyer un courriel sardonique à partir de votre île, avec un lien vers ce billet, ou un chèque, si vous vous sentez généreux. Sachez toutefois que si y parvenez, je ne m’attends à rien, car vous ne devrez votre succès qu’à l’efficacité de votre exécution.


Dans les faits, l’exécution compte pour beaucoup plus que l’idée en affaires. Shopify, une start-up fondée à Ottawa en 2004, a été créée par un développeur, mécontent des plateformes existantes permettant de bâtir un site transactionnel. À l’époque, il existait de nombreuses plateformes de ce type et l’idée de Tobias Lütke, qui était d’en bâtir une meilleure, n’était pas géniale. On aurait pu lui dire, et avec raison, que plein de gens avaient eu cette idée avant lui et que ses concurrents avaient une longueur d’avance et plus de capital que lui. Son exécution a toutefois été exemplaire et il a non seulement su développer une des meilleures plateformes sur le marché, mais aussi, une communauté vibrante de développeurs d’applications compatibles et de clients, laquelle explique pourquoi Shopify est aujourd’hui valorisée à près de trois milliards.


Voici donc quelques-unes de mes idées géniales, qui ne le sont sans doute pas tant que ça, mais qui sont assurément meilleures que celle qu’a eu Tobias Lütke en 2004. N’hésitez pas à me les dérober. Sérieusement, je ne serais pas peu fier si l’un d’entre vous me volait l’une de ces idées :



  1. Un Airbnb des bureaux commerciaux à louer la nuit. En effet, le parc immobilier commercial n’est souvent utilisé qu’au tiers de sa capacité, soit entre 9h et 17h. Ça permettrait de densifier le tissu urbain, d’économiser de l’énergie et de réduire les frais de location tant pour les locataires de jours que pour ceux de nuits.

  2. Une plateforme de consultation en ligne basée sur le modèle de 99designs, où les clients soumettent leurs problèmes et où des consultants professionnels ou amateurs proposent leurs solutions. L’auteur de la meilleure solution se voit ensuite décerner un montant en argent prédéterminé par le client.

  3. Une université accréditée par le gouvernement du Québec ou tout autre gouvernement respecté, qui offre de vrais crédits universitaires pour des cours complétés sur Coursera, à condition de passer un examen dans un lieu physique.


La suite : Une idée volée vaut déjà plus qu’une idée secrète


Une idée volée vaut déjà plus qu’une idée secrète


Si vous aspirez à vous lancer en affaires, sachez que vous devrez partager votre idée des milliers de fois pour vous rapprocher de votre but. Et vous devrez le faire très tôt, bien avant d’avoir lancé votre produit, enregistré une marque de commerce et breveté une invention s’il y a lieu. Vous devrez d’abord le faire pour obtenir des rétroactions initiales et pour pratiquer vos arguments, qui vous serviront à persuader des associés potentiels, des investisseurs ou des clients initiaux. Si vous adoptez l’approche Lean Startup, vous devrez aussi partager votre idée avec au moins une centaine de clients potentiels, de manière à vous assurer de développer un produit qui répond à un besoin.


Aussi, si vous pensez que vous allez faire signer des accords de non-divulgation (NDA) à tout ce beau monde, vous vous mettez le doigt dans l’oeil. Déjà que ce n’est pas facile d’obtenir des rendez-vous avec des gens occupés (vos clients potentiels), les convaincre de signer un contrat risque d’être encore plus difficile. Qui plus est, aucun investisseur n’acceptera de signer un accord de non-divulgation pour prendre connaissance de votre idée. Et c’est sans compter les accélérateurs, les bourses et les concours, dont les organisateurs ne signeront pas d’accord de non-divulgation pour avoir le privilège d’examiner votre candidature.


Dans les faits, si vous croyez sincèrement qu’un autre pourrait voler votre idée et parvenir à en faire un succès à vos dépends, c’est peut-être que vous n’êtes pas la bonne personne pour transformer votre idée géniale en start-up comme, manifestement, les frères Winklevoss (qui ne savaient pas programmer) n’étaient pas les bonnes personnes pour bâtir Facebook.


Au contraire, si vous croyez être la meilleure personne qui soit pour bâtir une start-up autour de votre idée, vous devriez voir d’un bon oeil ceux qui vous imitent. Dans les faits, si vous visez un marché assez grand, être le premier entrant (et le plus compétent) devrait vous permettre de rester le numéro un de votre créneau. Qui plus est, contrairement à ce que vous pensez, les investisseurs voient d’un très bon oeil la compétition.


Les investisseurs cherchent généralement à investir dans des start-ups dominant leur créneau (par exemple, à investir dans Uber plutôt que dans Hailo), mais encore faut-il qu’ils croient que ce créneau soit un marché potentiellement profitable. Aussi, avoir des compétiteurs est une forme de validation de marché, puisque ça prouve que vous n’êtes pas seul à voir une occasion d’affaires là où vous la voyez. Et c’est sans compter que vous pourrez apprendre énormément de vos compétiteurs, en vous inspirant de leurs bons coups tout comme de leurs moins bons.


Cessez donc de garder pour vous cette idée géniale qui vous turlupine. Partagez-la sur Facebook, devant la machine à café ainsi que dans les 5 à 7, et cessez d’avoir peur des voleurs d’idées, qui sont sans doute les seuls voleurs dont les méfaits pourraient vous enrichir. Après tout, ne dit-on pas que l'imitation est la forme la plus sincère de flatterie?