S'agit-il d'un autre ballon d'essai du gouvernement Couillard ou d'une tentative du ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, d'attirer l'attention sur autre chose que les 215 000 $ de primes discutables reçues pour la prise de patients «orphelins» quand il était député de l'opposition ?
Quel que soit le motif de lancer l'idée de réduire de 50 % le financement des écoles privées, ce serait une mauvaise manoeuvre pour plusieurs raisons. Ce n'est pas pour rien que les gouvernements péquistes n'ont jamais osé le faire, même si une bonne partie de leur clientèle (militants péquistes et syndicats) a généralement été en faveur de cette proposition.
Le modèle québécois de financement de l'école privée a fait ses preuves. Il permet à des familles de la classe moyenne de donner à leurs enfants de meilleures chances d'accéder aux études supérieures et de bénéficier d'une mobilité sociale ascendante.
Ce modèle fait aussi économiser beaucoup d'argent au gouvernement. Le fait que les parents paient 44 % du coût de l'éducation secondaire de leurs enfants représente des économies certaines pour l'État. Selon ses propres chiffres, le gouvernement ne finance les écoles privées qu'à hauteur de 42 %. Quelque 14 % de leurs fonds viennent de la location de locaux, de la fondation de l'école et d'activités de financement auxquelles les parents sont fortement associés.
Les droits de scolarité payés par les parents sont d'environ 4 000 $ par année. S'ajoute à cela le coût du transport scolaire, qui s'est accru cette année d'environ 200 $ à la suite de la réduction de la subvention gouvernementale à cet effet.
Bien sûr, le ministre Bolduc n'osera jamais couper tout le financement gouvernemental des écoles privées comme le voudraient les tenants du plus petit dénominateur commun (tout le monde serait égal, mais en égalisant par le bas). Le gouvernement vérifie plutôt l'acceptabilité d'une hausse des droits de scolarité de 2 000 $ par élève, ce qui les porterait à 6 000 $ (12 000 $ pour une famille ayant deux enfants au privé).Effet majeur sur la fréquentation
Une telle hausse aurait un effet majeur sur la fréquentation des écoles privées et, par ricochet, sur les finances publiques.
Selon une étude réalisée en 2013 auprès de 9 618 parents de toutes les régions du Québec et dirigée par des professeurs de l'Université de Sherbrooke, une hausse de 1 000 $ à 1 999 $ des droits de scolarité amènerait 32 % des parents à retirer leur enfant de l'école. Si la hausse était inférieure à 1 000 $, 31 % des parents feraient de même. En d'autres termes, 63 % des parents sont très sensibles au coût de l'école privée.
S'il en est ainsi, c'est certainement parce que plusieurs familles font déjà d'importants sacrifices pour donner le meilleur à leur enfant. De plus, s'ils se serrent la ceinture pour y arriver, ce n'est pas par mépris pour les enseignants de l'école publique, mais plutôt parce qu'ils croient que leur enfant bénéficie d'un meilleur encadrement dans le secteur privé.
Selon l'échantillon des parents consultés pour cette étude, 7 % de ceux qui envoient un enfant à l'école privée avaient un revenu familial brut de moins de 50 000 $, 21 % en avaient un de 50 000 $ à 99 999 $ et 29 %, de 100 000 $ à 149 999 $. Ce sont ces 57 % des parents envoyant un enfant au privé qui seraient les plus vulnérables à une hausse du coût de l'école privée pour leur enfant.Clivage sociologique accru
Il est vrai que l'école privée contribue à une certaine différenciation des groupes sociaux, mais les auteurs de l'étude ne semblent pas s'en formaliser. Selon eux, «une hausse substantielle des frais de scolarité aurait l'effet d'un tsunami sur le clivage sociologique entre la composition des ménages dont les enfants fréquentent le secteur public et le secteur privé, réduisant pratiquement ce dernier à une clientèle de ménages particulièrement nantis et éliminant de facto la présence d'enfants en provenance de la classe moyenne».
Ainsi, les écoles privées qui continueraient d'exister se retrouveraient avec une petite élite d'enfants provenant seulement des familles les plus nanties. Ils auraient moins d'occasions de fraterniser avec des jeunes de la classe moyenne.
Autre effet négatif, un exode le moindrement important d'enfants du privé vers le public accroîtrait la clientèle des écoles financées entièrement par l'État. Pire, celui-ci devrait acquérir un certain nombre d'écoles privées pour accueillir cette nouvelle clientèle.
Le gouvernement a-t-il fait une étude coûts-bénéfices d'une telle hypothèse ? Malheureusement, l'histoire nous enseigne que des décisions gouvernementales négligent parfois des facteurs importants dans le but de justifier une décision politique. C'est ainsi que les coûts des garderies, de l'assurance médicaments et de l'assurance parentale ont explosé après leur mise en oeuvre.
Voilà pourquoi le gouvernement libéral doit oublier cette fausse bonne idée, que tous les gouvernements péquistes n'ont jamais craint d'écarter.