Aussi dommageable qu'elle puisse être, la suppression de 1 800 emplois n'est pas l'élément clé des dernières annonces de Bombardier.
La nouvelle, comme on le dit dans le jargon médiatique, c'est la réorganisation de la division aéronautique, qui comprendra désormais trois entités distinctes : les avions d'affaires (5 milliards de dollars de revenus), les avions commerciaux (1,25 G$) et Aérostructures et services d'ingénierie (550 millions de dollars). En même temps, c'est la fin de Bombardier Aéronautique que dirigeait depuis six ans Guy Hachey, 59 ans, qui a pris sa retraite immédiatement.
Désormais, les présidents des quatre divisions de Bombardier (les trois divisions du secteur aéronautique et Bombardier Transport, qui fabrique du matériel de transport ferroviaire de personnes) relèveront de Pierre Beaudoin, président et chef de la direction. Ayant précédé Guy Hachey à la direction de la division aéronautique, Pierre Beaudoin connaît bien les enjeux et les risques associés à ses activités.
Il y a de l'optimisation à faire dans ces entités, et c'est sous sa gouverne directe qu'elle se fera. Les 1 700 emplois, dont on avait annoncé l'abolition en janvier dernier, provenaient de la division aéronautique. Bombardier n'a pas donné de détails sur les nouvelles suppressions, mais on peut penser qu'elles proviendront cette fois-ci de toutes les entités de la société, y compris le siège social. C'est un signal clair, que Bombardier veuille contrôler davantage ses coûts.
CSeries : un coût de développement à la hausse
L'entreprise doit composer avec une dette élevée, mais la raison principale des mises à pied et de la réorganisation est sûrement le coût croissant de développement de la CSeries, qui a connu des difficultés (mise au point des systèmes électroniques et incendie dans un moteur, le 29 mai dernier). Après le premier essai en vol du premier avion de la série en septembre 2013, on prévoit maintenant sa mise en service dans la seconde moitié de 2015 (au lieu de septembre 2014). Quant au coût de développement du nouvel avion, il serait maintenant de 4,4 G$, au lieu des 3,5 G$ estimés lors du lancement du programme. Et il pourrait même dépasser les 5 G$ selon un analyste financier de Bank of America Merrill Lynch. Le problème de moteur a privé Bombardier de la présence d'un avion de la CSeries à l'important salon aéronautique de Farnborough et ne favorise pas les ventes de l'appareil.
Autre difficulté, la mise au point du nouveau jet d'affaires Learjet 85, qui s'avère elle aussi beaucoup plus compliquée que prévu. Le premier vol d'essai a eu lieu à Wichita en avril dernier avec un an de retard, et aucune date n'a encore été mentionnée pour sa mise en service.
Et comme si ce n'était pas assez, Bombardier est aussi frappée par la crise qui a éclaté en Ukraine. L'entente que Bombardier avait conclue en août 2013 avec les sociétés russes Rostec et Ilyushin Finance en vue de leur vendre 100 avions Q400 d'une valeur de 3,4 G$ et de bâtir une usine d'assemblage en Russie est maintenant remise en question à cause des sanctions prises par le gouvernement Harper contre Moscou, à la suite de l'intervention militaire russe en Ukraine.
Flexibilité accrue
Les difficultés rencontrées par les programmes de développement de produits de Bombardier ont aussi eu pour effet de nuire à la notation de crédit de ses titres de dette. Bombardier s'est donné plus de flexibilité financière le printemps dernier en prolongeant des échéances de lettres de crédit, en refinançant des emprunts et en émettant des billets non garantis. La société a également convenu des ententes avec EDC, Investissement Québec et UK Export Finance pour appuyer la vente d'avions de la CSeries.
C'est aussi dans un but de flexibilité que Bombardier a séparé la division aéronautique en trois entités. Il est certes trop tôt pour spéculer sur les prochaines étapes, mais il est certain que cette réorganisation fournira à la société la possibilité de vendre une des trois entités, ou plus vraisemblablement, d'associer un ou des partenaires à l'une de ces entités.
La décision que Bombardier pourrait alors devoir prendre dépendra soit de ses besoins de liquidités, soit de son désir de partager son risque, soit du prix qui pourrait être obtenu d'un partenaire stratégique ou financier, ou encore de sa volonté de se délester d'une division qui ne cadre plus avec ses activités principales.
Ce ne serait pas le premier désinvestissement de Bombardier, le dernier ayant été la vente de sa division des produits récréatifs à BRP inc., dans laquelle les familles Beaudoin et Bombardier et Bain Capital sont les principaux actionnaires.
La décision de faire entrer Bombardier dans le marché des moyens porteurs que convoitent aussi les géants Airbus (avec le A320neo) et Boeing (avec le 737 MAX) s'est avérée un enjeu plus grand que prévu.
La direction de Bombardier a montré par ses dernières décisions son leadership et sa capacité de gérer les risques qui se présentent. Elle mérite l'appui de ses parties prenantes.