Non il n’y a pas de faute de frappe dans mon titre et de grâce chères « Janette » ne me tirez pas dessus, je ne veux surtout pas rouvrir vos vielles blessures car, vous l’aurez remarqué, j’ai écris Bell sans « e » à la fin. Vous l’aurez compris il s’agit ici de la décision de Bell de se saisir de vos données personnelles afin d’en tirer un bénéfice, bénéfice que Bell ne peut ignorer car pour une entreprise au centre des télécommunications, c’est de cette donnée que viendra, d’ici peu, le gros de ses profits. Cette décision entrera en vigueur cette semaine.
Il y a deux ans, dans un livre écrit en collaboration avec Ariane Krol, éditorialiste à La Presse, nous soulignions déjà que le marketing et plus particulièrement la publicité, se déclinaient désormais au singulier, un client à la fois, le tout grâce à une capacité à rejoindre chaque consommateur de manière individuelle et personnalisée.
Cette capacité qu’ont désormais des entreprises telles que Google, Facebook ou Twitter à connaître votre profil de consommation (possiblement mieux que vous ne le connaissez vous-même) en ont fait les rois de la publicité. Cette approche personnalisée représente maintenant près de 30% de l’ensemble des dépenses publicitaires en Amérique, soit près de 60 G$. Or cette industrie est contrôlée par très peu de joueurs, des joueurs qui il y a à peine 10 ans n’existaient même pas. A elle seule, Google affichait, en 2012, des revenus de plus de 50 G$ dont plus de 70% provenaient de la publicité. Nul doute que cette entreprise peut aujourd’hui être considérée comme le medium publicitaire le plus important mais surtout le plus efficace au monde.
Or ce n’est pas juste parce que cette entreprise est une incontournable sur le Web qu’elle est si efficace. C’est parce qu’elle permet à chaque annonceur qui utilise ce medium d’être plus efficient en parlant aux bons consommateurs un à la fois tout en lui présentant l’offre la plus adaptée à ses besoins. Tout cela parce que Google possède des tonnes d’informations sur nous, principalement nos habitudes de navigation et donc, par conséquent, ce que qui nous intéresse, ce que nous achetons, à quel endroit et quand. Mais contrairement à ce que l’on pense, les Google, Facebook et Twitter de ce monde ne vendent pas l’information. Ce serait l’équivalent pour eux de tuer la poule aux œufs d’or. Non, ils se servent de l’information qu’ils ont sur nous - et que souvent nous leur donnons sans broncher - pour « nous livrer pieds et poings liés » aux annonceurs qui saurons, grâce à l’aide de ces intermédiaires, mieux nous séduire.
Ce qui échappe encore à bien des analystes c’est la raison pour laquelle Bell se doit d’aller dans cette direction et d’imiter de telles pratiques. La réponse tient en peu de mots. Ils n’ont juste pas le choix.
Au cours de dernières année Bell s’est lancée, tout comme Vidéotron d’ailleurs, dans une stratégie de convergence. Acquisition de journaux, création et acquisition de chaînes télé, développements de sites Web, le tout de manière organique ou par l’acquisition d’autres firmes telles que Astral. Paradoxalement cette stratégie de croissance n’a pas fait de Bell un géant du Web, pas encore du moins. Pire encore, les média dans lesquels Bell a investi au cours des dernières années sont en perte de vitesse quant à leur capacité à générer des revenus publicitaires. A elle seule, la publicité dans les journaux ne représentera plus, d’ici 2015, que 80% de celle affichée sur vos téléphones mobiles qui elle-même dépasse déjà les investissements publicitaires faits à la radio . Quant à la publicité de plus en plus personnalisée faite sur le Web on en est déjà aux deux tiers de celle faite à la télé. Quand la majorité des télés seront branchées à Internet, ces deux chiffres ne feront plus qu’un.
Bref ce n’est plus en possédant des médias que Bell a des chances de faire le plus d’argent, mais bien en aidant les annonceurs à mieux placer leurs publicités dans les média virtuels et hautement personnalisés. Que ce soient leurs propres média ou ceux de leurs concurrents d’ailleurs. Bref Bell se destine à être une firme spécialisée dans l’intermédiation, tout comme le sont déjà Google, Twitter et Facebook. Et comme elle est au centre de la vie de la majorité des Canadiens, pourquoi s’en priverait-elle.
Bien entendu vous me direz que Bell pourrait toujours compter sur la téléphonie afin de faire de gros profits. Vous souhaitez m’en parler? On se rejoint sur Skype? Profitons-en, c’est gratuit! Et en plus nous pourrions y voir et bientôt y entendre des publicités tellement personnalisées.
De quoi se faire Bell et de se taire
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Notes:
1-Contrairement à ma dernière chronique lors de laquelle j’ai parlé de Gretsky plutôt que de Gretzky. Je tiens à remercier un lecteur anonyme et fidèle de me l’avoir fait gentiment remarqué. (Merci François, je suis fier d’être ton père).
2-Nantel, Jacques et Ariane Krol (2010) “On veut votre bien et on l’aura: la dangereuse efficacité du marketing” Éditions Transcontinental.
3-eMarketer (October 2013) “The Global Media Intelligence Report “
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Jacques Nantel enseigne à HEC Montréal depuis 1981. Au sein de HEC Montréal, il fut successivement directeur du service de l'enseignement du marketing, titulaire de la Chaire de commerce de détail Omer DeSerres et directeur des programmes. En 2002, il devient le premier titulaire et fondateur de la Chaire en Commerce Électronique RBC Groupe Financier. De 2007 à 2012 il a occupé les fonctions de Secrétaire général de cette institution.
Jacques Nantel est membre ou a été membre de plusieurs conseils d'administration d’entreprises et d’organismes dont : Groupe Vidéotron, PLB international, Groupe Renaud-Bray, Groupe Pierre Belvédère, Hotels Germain, BMO Advisory Board on Retirement, de l’OACIQ ainsi que de Centraide du Grand Montréal.