Dessiner. Écrire. S'exprimer. Au nom de la Démocratie. Continuer. Ne pas s'arrêter. Au nom de la Démocratie.
Ce message véhiculé dans le monde entier est aussi celui du journal Les Affaires.
C'est avec la force de leurs «crayons» que tous les médias poursuivront leur oeuvre pour toujours s'élever au-dessus de la partisanerie et des lobbys. Notre «arme» est et sera toujours notre contenu, qu'importe sa forme. Un dessin, un texte, une vidéo...
Cette semaine, pour rendre hommage aux 12 disparus de Charlie Hebdo et encourager notre profession, nous ajoutons une photo à notre propos. Pas n'importe laquelle. L'oeuvre est signée Constantin Marinescu, de son nom d'artiste MARC.
La vie fait parfois bien les choses. Je réfléchissais à quel geste de solidarité Les Affaires pouvait poser, quand ce designer qui a déjà dessiné pour plusieurs grands médias et obtenu plusieurs grandes distinctions pour ses oeuvres - il a notamment obtenu la Médaille du jubilée de diamant de la reine Elizabeth II pour l'ensemble de ses réalisations - a surgi de nulle part.
Sans le savoir, je déjeunais avec sa fille, la communicatrice Ana Marinescu, la semaine dernière. Et c'est par hasard que je lui ai demandé si elle ne connaissait pas un caricaturiste, un dessinateur... sans trop savoir ce que je cherchais moi-même. «Ben, justement...» me dit-elle.
C'est ainsi que Constantin - aujourd'hui directeur artistique du Concours international d'arts visuels Juste pour rire - a débarqué à mon bureau 24 heures plus tard. L'homme, d'un âge vénérable, courte barbe et cheveux aux épaules, est arrivé avec plusieurs boîtes dans les bras et un sac poubelle. Drôle d'apparition. Puis il s'est présenté. Merveilleuse apparition. Avec une voix profonde et un ton particulièrement calme, il a commencé à raconter sa vie. Comment il avait quitté la Roumanie en 1988. Pour offrir une meilleure vie à sa famille. Comment il a décidé de conserver coûte que coûte son métier de designer. Après avoir fait un rêve. Comment il a choisi de s'appeler MARC plutôt que Constantin Marinescu. Parce que ça facilite l'intégration. Ou encore, comment il a quitté un emploi. Parce que sa liberté a été bafouée. «J'ai quitté la Roumanie à 40 ans pour qu'on arrête de me dire quoi faire, ce n'est pas ici qu'on va me donner des ordres !» nous raconte-t-il.
Échange rapide de regards avec Charles DesGroseilliers, notre directeur artistique présent lors de la rencontre. Inutile de se parler. Nous savions tous les deux que nous avions droit à une rencontre pas comme les autres.
C'est après cette longue présentation, le genre de présentation pendant laquelle tu ne regardes pas l'heure, que Constantin commence à déballer ses boîtes pour nous présenter ses oeuvres. Quelques dessins dans un premier temps. Que nous jugeons déjà très réussis. Puis quelques oeuvres en trois dimensions très intéressantes, provenant de son fameux sac poubelle. Enfin, l'artiste - qui sait déjà qu'il a gardé le meilleur pour la fin - exhibe un petit tube. Réflexe, on s'approche, curieux. C'est là qu'il sort ce fameux petit crayon, celui que vous voyez ici. Ce petit crayon bien enfoncé dans une cartouche d'arme à feu avec une pointe si fragile et si bien aiguisée à la fois. Un crayon, petit, mais sûr de lui. Tout était là. La combinaison exprimait parfaitement notre message. Le contenu, l'arme des médias. Inutile d'aller plus loin. Mon choix était fait.
L'histoire ne s'arrête pas là. Constantin n'est pas du genre à s'arrêter de penser. Le lendemain, un samedi, il me rappelle. «Tu sais Géraldine, j'ai une autre petite idée pour pousser le concept», me dit-il avec son charmant accent d'Europe de l'Est qui oblige à se concentrer un peu plus et à ne surtout pas le couper. Finalement, à être poli. Son idée est d'offrir à nos lecteurs le fameux petit-crayon-très-fort... en guise de signet de lecture. Pour ne jamais oublier. Brillant. Ce signet se retrouve en page 5 du Journal Les Affaires du 17 janvier. Vous avez juste à le découper.
Alors, pourquoi prendre tout ce temps pour vous raconter ma rencontre avec Constantin ? L'objectif est de marquer un temps d'arrêt sur ces gens de talent qui façonnent notre profession. J'aurais pu raconter l'histoire d'un vidéaste, d'un journaliste, d'un blogueur... Je suis tombée sur Constantin. Son oeuvre est un hommage aux 12 disparus de Charlie Hebdo. Et à tous ces hommes et ces femmes qui expriment chaque jour leurs opinions, chacun à leur manière. Au nom de la Démocratie.
Géraldine Martin
Éditrice adjointe et rédactrice en chef,
Groupe Les Affaires
geraldine.martin@tc.tc