C'est à la fois un vent d'enthousiasme et de réprobation qui souffle sur le Québec depuis l'annonce, la semaine dernière, d'une cimenterie de 1G$ à Port-Daniel, en Gaspésie. Qui a raison?
Deux questions sont particulièrement intéressantes à discuter.
1-Le projet de Port-Daniel sera-t-il rentable?
2-S'il l'est, la participation de l'État est-elle raisonnable?
La rentabilité de Port-Daniel
Laurent Beaudoin et la Caisse de dépôt n'ont pas l'habitude de mettre leurs billes dans des projets qui n'envoient pas de signaux de rentabilité.
Mais l'erreur est humaine et le plan d'affaires n'est malheureusement pas public.
Une étude parrainée par les cimentiers concurrents du Québec (qui sont pour la plupart propriété de multinationales) envoie pendant ce temps un signal douteux de rentabilité.
Les auteurs, Colin Sutherland et David Chereb, notent que la demande en ciment a été en 2013 de 17,2 millions de tonnes métriques dans le nord-est de l'Amérique du nord. Le chiffre est à mettre en relation avec une capacité de production de 20 à 21,5 millions de tonnes, selon que les cimenteries du secteur tournent à 90 ou 95% de leur capacité.
Selon l'étude, le marché du ciment est en nette surcapacité de production. Et il ne reviendra en équilibre que vers 2020-2021.
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C'est beaucoup plus loin que le milieu de 2016, où l'on prévoit la mise en service de Port-Daniel. C'est dire que la nouvelle cimenterie risque de venir ajouter de l'offre dans un marché encore en surcapacité pour quelques années. Et qu'elle devra casser les prix pour prendre du marché. Il ne s'agit pas de dire que la rentabilité est impensable, mais, pour les premières années du moins, on ne peut pas réellement parler d'un fort signal. Le doute est important.
Évidemment, cette étude est contestée par les promoteurs. Ciment McInnis voit plusieurs cimenteries américaines fermer dans les prochaines années, en raison des investissements environnementaux nécessaires. L'étude ne postule aucune fermeture. En revanche, elle ne postule pas non plus l'arrivée des 2 millions de tonnes supplémentaires qu'amènera Port-Daniel. Sur une base macro, la situation de surcapacité jusqu'en 2020-2021 semble donc quand même se défendre.
Attention à la macro-économie, renchérit cependant Ciment McInnis. Toutes les régions ne tournent pas à la même vitesse dans le nord-est des États-Unis. En certains endroits, la demande est bonne et l'offre moins bonne. Le ciment est un produit qui voyage mal de manière terrestre. Port-Daniel entend plutôt alimenter par bateau les zones côtières les plus intéressantes. Du 1G$ que coûte le projet, 200 M$ sont réservés pour le réseau de distribution nord-américain et serviront principalement à la construction de terminaux et d'entrepôts portuaires.
Cette stratégie micro est intéressante. Malgré la surcapacité actuelle, le plus gros acheteur de ciment au Québec, Béton Provincial, est réputé importer à peu près tout son ciment par bateau, parfois même de l'Asie. Si l'Asie est capable de s'en venir vendre du ciment de façon concurrentielle au Québec, on voit mal comment Port-Daniel, avec des distances à parcourir nettement moindre, ne serait pas en mesure de le faire avec une meilleure marge.
Cette stratégie n'est cependant pas sans soulever une autre question. Près de 50% de la demande mondiale en ciment origine actuellement de la Chine. C'est insoutenable. Un pays qui pèse pour 20% de la population mondiale ou 11% du PIB ne peut éternellement continuer à afficher une telle demande. La Chine passe à une économie de consommation et la Deutsche Bank soutenait récemment que la demande en ciment allait bientôt atteindre un sommet pour ensuite reculer. C'est dire que viendra un moment où un excédent de capacité se présentera en Asie et que plus d'offre pourrait bien prendre la direction de l'Amérique. Un très mauvais signal pour les prix.
À cela McInnis répond toutefois qu'il n'y a pas 2% de la production de ciment dans le monde qui soit en position côtière. Dit autrement, Port-Daniel, grâce à ses installations modernes et à sa position géographique, demeurerait avantagée.
Que conclure?
Il semble effectivement y avoir un bon signal d'investissement à long terme dans ce projet. Mais le risque d'exécution est important et les premières années risquent d'être difficiles. Il n'est pas à exclure que de nouveaux apports en capitaux soient nécessaires, ce qui pourrait occasionner une perte d'investissement à certains, dont le gouvernement.
Ce qui nous amène à la deuxième question.
2-L'investissement de l'État est-il raisonnable?
2-L'investissement de l'État est-il raisonnable?
Les concurrents n'ont pas tort de se plaindre. Le ciment de McInnis ne viendra peut-être pas au Québec, mais il pourrait bien influencer le jeu de l'offre et de la demande dans le nord est américain. Or, il est estimé que les usines du Québec produisent 30% du ciment de la Nouvelle-Angleterre et dans le nord de l'État de New York. Dans les maritimes, McInnis concède déjà en outre qu'elle tentera de prendre du marché à ses rivaux. C'est de la compétition qui s'amène et qui est financée avec leurs impôts.
Investissement Québec prête 250 M$ à McInnis et injecte pour 100 M$ en actions. C'est le tiers du financement du projet.
Ce qui nous a le plus surpris, lors de l'annonce de vendredi, c'est la déclaration de Laurent Beaudoin à l'effet que c'est le gouvernement qui avait demandé à avoir une participation en actions dans le projet. Autrement dit, la famille Beaudoin et la Caisse ne croyaient pas en avoir besoin.
Va pour le 250 M$ de prêts. Investissement Québec joue son rôle de catalyseur de l'activité économique, et, bien que la grogne soit justifiée, l'intervention peut se défendre. En tenant compte du chantier à venir, les retombées collectives sont plus importantes que les inconvénients.
On est cependant moins sûr du 100 M$ en actions. Cet argent doit être emprunté, et il n'était pas nécessaire à la réalisation du projet. Investissement Québec ne joue plus son rôle de catalyseur de développement économique, puisque l'argent n'était pas nécessaire pour que le projet puisse aller de l'avant.
Québec semble ici avoir confondu sa mission en raison du débat sur les redevances minières. Ce débat est réglé. Les redevances sont au niveau où elles doivent être. Le rôle de l'État n'est pas de mettre de l'argent à risque lorsque l'argent est déjà disponible.
Sur ce 100 M$, on aurait dû s'abstenir.
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