Un autre coup de tonnerre s'est fait entendre en début de semaine. Après le Cirque du Soleil, Manac, l'un des joyaux beaucerons et des plus importants symboles de l'entrepreneuriat québécois, est à vendre.
Le communiqué de presse parle d'un examen d'options stratégiques afin d'accroître la valeur de l'entreprise. On y précise que la suite des choses pourrait inclure la vente de la société, sa fusion ou un regroupement d'entreprises.
C'est bien connu dans le milieu financier, les examens stratégiques surviennent lorsqu'une entreprise est mise en vente. C'est la façon de signaler à tout le monde d'amener leurs offres.
Manac compte deux usines de fabrication de remorques aux États-Unis et une en Colombie-Britannique (récente acquisition de Peerless). Elle en compte surtout une à Saint-Georges, en Beauce. Des 1 275 employés qui travaillent pour l'entreprise, plus de 700 sont à l'usine beauceronne.
Évidemment, la réaction n'a pas tardé. Trois inquiétudes se sont rapidement manifestées.
1- C'est d'abord un autre siège social qui pourrait disparaître.
2- Ce sont ensuite 700 emplois qui deviennent menacés.
3- Enfin, si les deux premières inquiétudes se concrétisent, c'est un important symbole qui risque de s'effriter. Manac est l'un des plus puissants symboles de l'entrepreneuriat québécois. En 1966, un jeune entrepreneur du nom de Marcel Dutil avait lancé la production dans une grange située derrière sa maison. Il avait cette année-là fabriqué 11 remorques. Il s'en fabrique aujourd'hui plus de 7 000 par année.
Ces inquiétudes ne sont pas dénuées de fondement. En 1998-1999, Marcel Dutil avait une première fois vendu Manac. De mémoire, ce n'était pas de gaieté de coeur. Canam-Manac avait à l'époque une dette importante qu'il valait mieux alléger.
L'acquéreur, le géant Great Dane (numéro deux de l'industrie, derrière Wabash), avait cependant à un moment signifié qu'il n'entendait pas respecter certaines clauses de protection des emplois en Beauce. La réaction de M. Dutil avait été immédiate : pas de respect des clauses de protection des emplois, pas de vente.
Et c'est ainsi que la vente à Great Dane avait été annulée. Cinq ans plus tard, Manac était vendue, mais cette fois à un consortium québécois au sein duquel on retrouvait notamment la famille Dutil, la famille Bourgie et le Fonds de solidarité du Québec.
Que se passe-t-il donc chez Manac ?
Compte tenu de ce qui précède, la question se pose.
Depuis 2013 et le retour en Bourse de la société, deux actionnaires principaux contrôlent Manac : Marcel Dutil et le fonds new-yorkais American Industrial Partners (AIP). Le Fonds de solidarité FTQ et la Caisse de dépôt ont des participations importantes, respectivement de 18,8 % et 12 %, mais grâce aux actions à droits de vote multiples, les deux principaux actionnaires détiennent à parts égales 94 % des voix.
On s'est demandé si le fonds américain ne cherchait pas à s'assurer un rendement intéressant sur son investissement et n'était pas en train de forcer indirectement la main du conseil d'administration.
Depuis son retour en Bourse et l'arrivée d'AIP, le titre vivote. Mais les perspectives semblent cette fois sur le point d'amener une intéressante progression de rentabilité. À la fin de décembre, le carnet de commandes de l'entreprise atteignait 173 M$. Il était à 121 M$ au troisième trimestre et à 78 M$ il y a un an.
C'est une belle fenêtre pour vendre ses actions, alors qu'on force l'acquéreur à payer une prime pour l'embellie et une prime d'OPA.
Le chef de la direction de Manac, Charles Dutil, soutient cependant que non, il n'y a pas de pression du fonds américain.
Il insiste aussi pour dire avec force que les intérêts de la Beauce sont fortement présents à son esprit et à celui des membres du conseil. «Chez mon père et chez moi, les considérations communautaires restent importantes. Je suis né ici, je vis ici et je vais être enterré ici. Le conseil doit aussi tenir compte des employés et de la communauté», lance-t-il.
Il atténue le risque pour les employés de l'usine de Saint-Georges. Au début des années 2000, l'usine n'était pas aussi performante qu'elle l'est aujourd'hui et fabriquait aussi moins de produits spécialisés, dit-il.
Soit, mais pourquoi vendre maintenant ?
M. Dutil répétera que les intérêts de la région sont importants. Impression personnelle : en 1998-1999, Marcel Dutil n'avait pas encore 60 ans. Il lui restait alors plusieurs bonnes années en affaires. À 73 ans aujourd'hui, il est possible qu'il effectue une certaine planification familiale et qu'il juge nécessaire de clarifier certaines valeurs (l'industrie de la remorque est cyclique).
Combien vaut Manac (MA, 9,10 $) ?
Un seul analyste suit le titre. Avant l'annonce, sa cible était à 11 $. Le prix d'une OPA ne devrait pas normalement arriver sous cette cible. À la vue des multiples appliqués à des sociétés imparfaitement comparables, il est aussi concevable qu'une offre arrive à un plus haut niveau encore, si les acheteurs croient que le carnet de commandes de Manac peut se maintenir pour un temps. On aimerait mieux que Manac ne devienne à la remorque d'aucune autre.