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Prix de l'or : le nouveau complot

Par François Pouliot


Édition du 15 Février 2014

Le prix de l'or est actuellement manipulé par les banques centrales qui font face à une importante pénurie du précieux métal. L'opération ne pourra toutefois résister encore bien longtemps, et le cours de l'or devrait rebondir en 2014.


Telle est la théorie d'Eric Sprott, fondateur bien connu de Sprott Asset Management, une maison canadienne qui investit abondamment dans les métaux précieux. C'est notre collègue Dominique Beauchamp qui a attiré notre attention sur sa sortie curieusement peu médiatisée, il y a quelques jours.


Le dernier signe de cette manipulation, dit le gestionnaire, est survenu au milieu d'août 2013, avec la décision de la Banque centrale de l'Inde de bannir toute importation de pièces d'or ou de médaillons et de forcer les acheteurs locaux à payer comptant. Dans les mois précédents, le gouvernement indien avait progressivement instauré des droits d'importation sur l'or qui a atteint 8 % au moment du bannissement.


Officiellement, le gouvernement indien dit avoir agi ainsi parce que la ferveur des Indiens pour le métal augmentait le déficit commercial du pays et mettait de la pression sur la roupie.


Douteux, rétorque M. Sprott. La balance commerciale n'est pas le véritable motif. Le gouvernement aurait pu agir bien autrement pour régler son problème. La Suisse, par exemple, un autre important importateur d'or, ne considère pas le métal comme un «bien», mais comme un outil d'investissement, et elle dévoile sa balance commerciale sans y inclure les métaux précieux.


La raison du bannissement, plaide-t-il, est plutôt qu'il y a présentement un manque flagrant d'or physique sur le marché, et qu'en raison de la chute des prix, les Indiens achetaient trop massivement. En mai, tandis que l'once d'or décrochait, l'Inde avait importé 162 tonnes à elle seule, et ce, au moment où la production mondiale mensuelle n'était que de 182 tonnes.


Le gestionnaire avance quelques exemples qui donnent à penser que le marché a un problème d'approvisionnement physique.


- En janvier 2013, la banque centrale d'Allemagne annonce qu'elle va rapatrier son or des voûtes de la Fed à New York. Un total de 300 tonnes sur les 6 200 que dit détenir l'institution. Une opération qui devrait normalement se faire relativement aisément. Mais la Bundesbank annonce du même souffle que le retrait s'effectuera sur sept ans. Si l'or est vraiment dans les voûtes, ne devrait-on pas être en mesure de le transférer plus rapidement ? Il ne s'agit en fait que de 4,8 % du tout.


- En mars 2013, ABN Amro annonce à ses clients aurifères que le retrait d'or physique de leur compte sera désormais impossible.


- En avril 2013, des échos de presse font état de retraits massifs d'or physique chez UBS et Scotia.


- Quelques jours plus tard, l'expert aurifère Jim Sinclair indique qu'un de ses amis s'est vu refuser un retrait d'or physique d'une banque suisse (et a été dédommagé en numéraire), conformément à une directive de la banque centrale suisse.


Pour M. Sprott, il est clair que la situation actuelle est orchestrée par les autorités monétaires des différents pays. Elles cherchent à faire tomber le prix de l'or pour que les investisseurs liquident leurs positions et augmentent la liquidité du marché. Jusqu'à présent, la chose a fonctionné, alors que les Fonds négociés en Bourse (des FNB qui détiennent de l'or et émettent des unités dont la valeur est équivalente à celle de l'actif) ont vu les investisseurs liquider leurs participations. Mais la chose ne peut durer encore longtemps puisque, au rythme actuel (930 tonnes par année), ils seront vides dans moins de deux ans.


Qu'en penser ?


Il n'est pas impossible qu'un marché affiche des prix déprimés sur les places de négociation, mais qu'il se trouve en même temps en pénurie physique.


Le marché de l'aluminium est un exemple patent. Le prix du métal blanc a rarement été aussi déprimé sur les places de négociation, les stocks, rarement aussi élevés. Et pourtant, les producteurs d'aluminium reçoivent toujours une prime lorsqu'ils livrent leur aluminium, parce que celui-ci est rare.


Bien qu'il y ait du flou, la situation semble s'expliquer en bonne partie par des achats passés massifs d'acteurs financiers, qui sont assis sur leurs positions. Ils achètent au prix spot et revendent immédiatement à un prix plus élevé à terme, tout en conservant le métal pour garantir une éventuelle livraison.


La difficulté avec l'or, c'est qu'on ne retrouve actuellement cette prime physique nulle part dans le marché. Si le métal jaune est en pénurie physique, des joailliers auraient vraisemblablement commencé à offrir des primes.


Il est vrai que M. Sprott ne parle encore que d'une pénurie en développement et de manigances préventives des autorités. Mais la thèse d'une opération concertée manque de force. À voir toutes les difficultés de coordination qu'éprouvent les banques centrales pour essayer de remettre l'économie mondiale sur les rails, on peut vraiment se demander comment elles auraient si bien réussi à s'entendre sur le prix du précieux métal.