BLOGUE. Jamie Dimon restera chez JPMorgan. Une majorité d'actionnaires, dont la Caisse de dépôt, ont décidé de voter contre une résolution demandant à ce que les rôles de président du conseil d'administration et de chef de direction soient dorénavant séparés. Une mauvaise nouvelle pour nous tous.
Monsieur Diamon est un super banquier new yorkais qui dirige une super banque d'affaires. L'institution est l'une des rares qui n'ait pas vraiment eu besoin de l'aide du gouvernement pour se sortir de la crise de 2008.
Ces dernières années, elle n'en a pas moins fait face à quelques problèmes de gouvernance. Le dernier en liste est le fameux scandale de la « baleine de Londres », pseudonyme d'un courtier qui a fait perdre 6 G$ US dans des placements réputés sans risque. Mais il y a plus. Le gestionnaire des régimes de retraite de la Ville de New York (position de 550 M$) faisait mardi matin remarquer que JPMorgan avait fait face à près de 16 G$ US de sanctions réglementaires ces dernières années.
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C'est une importante défaite que viennent de subir les tenants d'une meilleure gouvernance d'entreprise. La défaite est d'autant amère que la résolution requérant la séparation des pouvoirs n'a récolté que 32% des voix, alors qu'elle en avait récolté 40% l'an dernier.
Au Québec, elle est décevante du fait qu'elle a reçu la caution de la Caisse de dépôt, qui a appuyé avec tout le poids de son investissement de 341 M$.
Les arguments contre
Les arguments contre
Il ne fait pas de doute que la décision de Jamie Dimon de « mettre son siège en jeu », pour reprendre l'expression d'un ancien premier ministre, a eu un impact sur le suffrage exprimé.
Il fallait entendre en matinée les commentateurs de CNBC cuisiner le représentant du régime de retraite de la Ville de New York.
-Est-il dans l'intérêt de vos épargnants de voir le titre de JPMorgan reculer de 10% ou même davantage parce que Jamie Dimon s'en ira?, demandait-on avec défiance.
-Nous n'avons qu'un seul président aux États-Unis, a-t-on besoin d'un autre président pour surveiller le président? Et si le président du conseil était plus petit en envergure que Diamon et l'avait empêché de poser les actions qu'il a posées?
Ces arguments sont dépourvus de sens.
Il est fort peu probable qu'une prime Jamie Diamon existe dans le titre de JP Morgan. D'ordinaire, lorsque des gens de talent dirigent des entreprises, c'est plutôt un « escompte de succession » que choisit d'appliquer le marché. C'est notamment le cas avec Berkshire Hathaway et Warren Buffett. Un recul du titre aurait plutôt été attribuable à l'incertitude entourant la succession de monsieur Diamon. Or, le patron de JPMorgan est âgé de 57 ans et quittera un jour l'entreprise. Son retrait demandera une nouvelle recherche d'un chef de direction. Bref, on ne fait que repousser dans le temps une situation d'incertitude. Évidemment, il peut être argué que monsieur Diamon aura à ce moment préparé sa succession. Il peut cependant aussi être répliqué qu'il est celui qui a le moins intérêt à mettre en place un plan de succession.
La comparaison de l'absence d'un président pour surveiller le président des États-Unis est par ailleurs tout simplement farfelue. Et revient à dire que l'on pourrait aussi se passer des conseils d'administration.
L'argument de la Caisse est plus solide et a au moins le mérite de ne pas focaliser sur la performance à court terme.
Elle dit avoir été rassurée par la nomination d'un administrateur principal indépendant désormais chargé de veiller au déroulement efficace des travaux du conseil.
Puis, avoir ensuite suivi sa politique d'exercice de droit de vote. Celle-ci stipule: Bien que favorisant, d’un point de vue théorique, le partage des fonctions entre le président du conseil et le chef de la direction, la Caisse estime que chaque cas doit être examiné à son mérite, en fonction des divers contextes, notamment en raison du partage de responsabilités entre les dirigeants, de leur évaluation, des plans de succession et autres mécanismes de fonctionnement de l’entreprise, de sa taille, de même que des coûts reliés à ce partage ou d’autres circonstances pertinentes.
La Caisse estime qu’il appartient au conseil d’administration de revoir et d’évaluer régulièrement l’opportunité du recours à un ou deux postes et d’en faire rapport à l’assemblée annuelle des actionnaires, qui devraient être appelés à se prononcer sur le cumul lorsqu’il est recommandé par le conseil.
Une erreur
Une erreur
Il est vrai que les études actuelles ne concluent pas qu'une structure corporative où les pouvoirs sont séparés amène une plus grande création de valeur. Mais le champ est encore en friche et d'autres études sont à mener.
Bien qu'elle n'assure pas l'éthique et la bonne conduite des affaires, la séparation des pouvoirs renforce le système de surveillance et de règlement des problèmes. On peut se demander combien de temps de plus il aurait fallu avant que le chat ne sorte du sac chez SNC-Lavalin si les pouvoirs n'avaient pas été séparés et, surtout, comment le conseil aurait réagi en l'absence d'un leader reconnu pré-identifié jugé capable de rapidement ramener le navire.
Il est loin d'être clair que dans l'esprit de tous, un administrateur principal indépendant ait l'autorité d'initiative d'un président de conseil (sûrement pas dans celle monsieur Diamon puisqu'il ne démissionnera pas…).
Ce vote ne visait pas des individus, il visait à doter la société d'une structure de fonctionnement plus efficace, avec des garde-fous plus solides. Des rambardes supplémentaires, dont, comme l'illustre les fréquentes actions des autorités réglementaires, l'ensemble du secteur financier a bien besoin.
Le monde institutionnel vient de manquer l'occasion de s'unir pour envoyer un important signal. Et la Caisse de dépôt de commettre une erreur.
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