Serait-il temps de miser sur le secteur pétrolier ?
La question nous est venue à l'esprit, en arrêtant à un poste d'essence où, ce jour-là, le prix était particulièrement élevé.
Pour quelqu'un qui fait plus de 40 000 kilomètres par année, c'est une forme d'arbitrage qui, à défaut d'être payante, peut à tout le moins amortir les coûts. Temps de miser sur le pétrole, donc ? Pas sûr.
On semble croire la demande forte, mais...
Le prix du baril de pétrole (WTI à 100 $ US, Brent à 110 $ US) porte à croire que les éléments fondamentaux de l'industrie sont assez favorables aux pétrolières.
Rien n'est moins certain, dit cependant BMO Marchés des capitaux.
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Il est vrai que les stocks mondiaux de pétrole ont reculé avec régularité au cours de 2011. C'est le premier motif des «bulls», qui voient l'or noir continuer à grimper dans les prochains mois.
Voici trois raisons pour lesquelles il vaudrait mieux être prudent avant de sauter dans le train des optimistes.
1- L'Europe est un leurre. Une bonne partie de la diminution des stocks est survenue en... Europe. Si, avec tous les troubles qu'il connaît, le continent voit ses stocks baisser, c'est un fameux signal que tout va bien. Pas vraiment. Les stocks ont reculé, parce que la Lybie a en bonne partie arrêté de produire et qu'il y a eu des problèmes de production en mer du Nord. En réalité, la demande en produits pétroliers est stable en Europe. Le plus difficile reste cependant à venir.
2- C'est pire dans les pays industrialisés. La demande dans les autres pays de l'OCDE n'est pas plus forte qu'en Europe. En fait, elle recule. Et, avec le développement des véhicules hybrides, il n'est pas certain qu'elle augmentera au cours des prochaines années.
3- Il y a du brouillard dans les pays émergents. La demande y est en croissance. C'est ce qui permet à la demande mondiale de continuer d'augmenter - 89,7 millions (M) de barils par jour au troisième trimestre de 2011 par rapport à 88,8 M au premier. Mais cette croissance pourrait bien être en train de ralentir. Un regard sur certaines marges bénéficiaires de raffineries fait douter de sa force. Par exemple, les raffineries de Singapour ont affiché des marges négatives en novembre et en décembre, une première depuis 2002.
Pourquoi les prix sont-ils forts ?
Si la demande est bien moyenne, pourquoi le prix du pétrole est-il parti de 80 $ US, en septembre, pour grimper au niveau actuel ?
Si la demande est bien moyenne, pourquoi le prix du pétrole est-il parti de 80 $ US, en septembre, pour grimper au niveau actuel ?
Certainement pas parce que la capacité mondiale est inapte à répondre à la demande. Elle en est tout à fait capable. BMO calculait au début de janvier que, pour y répondre en 2012, l'OPEP ne devrait augmenter sa production que de 100 000 barils par jour (b/j). Une goutte d'eau quand on sait qu'elle produit 30 M b/j et que sa capacité excédentaire est d'environ 4,7 M b/j.
L'explication de la hausse est en fait assez simple : le marché a peur.
Parce qu'ils craignent que l'offre ne vienne à se raréfier, les acheteurs pétroliers sont prêts à payer la prime demandée par les vendeurs. La grande crainte : l'Iran.
La décision de l'Union européenne de mettre en place un embargo pétrolier comme sanction à son armement nucléaire vient raviver les craintes. L'Iran a déjà menacé de bloquer le détroit d'Ormuz. S'il met sa menace à exécution, le prix du pétrole pourrait doubler du jour au lendemain.
Les craintes sont-elles justifiées ?
Pas tellement. L'Iran n'a pas vraiment avantage à bloquer le détroit. Il ne faudrait pas très longtemps avant que des forces armées coalisées y débarquent. Les derniers régimes qui se sont aventurés sur la voie de la défiance n'ont pas eu une fin heureuse.
Les relations de l'Iran ne sont pas si tendues avec certains pays, notamment avec l'Inde. Il y a fort à parier qu'elle tentera plutôt d'y rediriger sa production en vendant à escompte sur le prix du marché.
Pendant ce temps, l'Arabie saoudite a fait savoir qu'elle allait augmenter sa production afin de compenser les approvisionnements européens.
Évidemment, on peut décider de voir que les 600 000 à 700 000 barils par jour qui seront nécessaires pour relayer l'Iran viendront abaisser la flexibilité de l'OPEP à répondre à tout imprévu à partir de sa capacité excédentaire (4,7 M de barils).
On peut aussi cependant constater que, si les choses se déroulent normalement, il y aura bientôt plus de pétrole sur le marché, avec un acteur qui offrira de l'escompte.
La probabilité d'un recul semble plus élevée que celle d'une progression. Certains analystes estiment que les titres des pétrolières escomptent un prix du baril à 80 $ US. Ce qui laisse entendre qu'ils ne souffriraient pas nécessairement d'un recul. Mais quelque chose nous dit qu'un recul du prix du pétrole ferait aussi reculer les cours. Lorsque la marée baisse, généralement, tout baisse.
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