Que diriez-vous si, du jour au lendemain, on vous annonçait que votre résidence valait de trois à quatre fois plus que ce que vous ne pensiez ?
C'est la surprise qu'ont eue la plupart des analystes, il y a quelques jours, lorsque La Baie (Tor., HBC, 24,05 $) a annoncé qu'elle avait obtenu un financement de 1,25 G$ US en donnant en garantie le terrain de son magasin phare de New York, le Saks de la Cinquième Avenue.
Parallèlement à l'annonce, la direction a fait savoir qu'une évaluation indépendante attribuait une valeur de 4,1 G$ à l'immeuble.
À combien les analystes évaluaient-ils jusqu'alors la propriété ? Entre 1 et 1,6 G$ !
Mieux encore, les dirigeants précisaient que cette évaluation indépendante concluait que «la valeur de l'immeuble n'atteignait pas la moitié de la valeur de tous les immeubles de la société».
Pourquoi «mieux encore» ?
Parce que l'affirmation signifie que le parc immobilier de la Compagnie de la Baie d'Hudson serait d'au moins 8,3 G$. Un chiffre à mettre en perspective avec sa valeur actuelle (en incluant la dette), qui tourne autour de 4 G$. À lui seul, le parc immobilier de l'entreprise pourrait valoir le double de la valeur qu'accorde le marché à l'ensemble de la société. Du coup, c'est une action qui pourrait aussi valoir le double.
Précipitons-nous et achetons les yeux fermés, est la première réflexion qui vient à l'esprit.
Ce n'est malheureusement pas aussi simple. Voici que La Baie semble engagée dans ce qu'on appelle le labyrinthe du trophée de chasse.
Qu'est-ce que cette histoire de trophée de chasse ?
Il y a deux façons de considérer un actif.
Sa valeur peut être déterminée sur la base des bénéfices qu'il génère. Elle pourra varier grandement selon les espoirs de croissance des bénéfices dans l'avenir. Mais elle bougera en fonction de l'évolution de la rentabilité.
L'autre façon de voir, plus rare celle-là, est d'ordinaire présente sur le marché de l'art. La valeur accordée n'a rien à voir avec un flux monétaire, elle est plutôt fonction des caractéristiques propres à l'oeuvre et à l'engouement qu'il génère. C'est ce qu'on a baptisé le trophée de chasse.
Le magasin Saks semble entrer dans cette catégorie.
Portons attention aux calculs de Perry Caicco, analyste chez Marchés mondiaux CIBC.
Dans le marché immobilier d'aujourd'hui, les locateurs commerciaux demandent généralement un rendement des revenus sur le prix payé (cap rate) de 6 %. Histoire de donner une chance au prix, M. Caicco postule plutôt un taux de 4 %. À 4,1 G $, cela voudrait dire un loyer de 165 M$ par année pour le grand magasin.
L'analyste évalue cependant que le bénéfice d'exploitation (avant intérêts, impôts, amortissement et loyer) se situe plutôt à 120 M$. À sa face même, on voit la difficulté de la situation. On ne peut raisonnablement payer un loyer de 165 M$ si le bénéfice avant impôts, intérêts et loyer n'est que de 120 M$.
S'ajoute une autre complication. Les locateurs deviennent généralement nerveux lorsque plus de 25 % du bénéfice du locataire va à son loyer (parce que d'autres coûts doivent être pris en compte).
Soyons optimistes et postulons qu'un éventuel nouveau propriétaire du Saks de New York soit prêt à accepter un loyer qui représente 50 % du bénéfice de l'occupant. C'est-à-dire un loyer de 60 M$. À un rendement demandé de 4 %, cela donne une valeur à l'immeuble de 1,5 G$. On est loin des 4,1 G$ de l'évaluation indépendante.
Conséquence : la valeur de 8,3 G$ suggérée par la direction pour l'ensemble des immeubles de HBC est également sujette à caution. Au plan économique, l'immeuble phare semble valoir nettement moins, et on ne sait trop si certaines propriétés du reste du parc immobilier ne se trouvent pas dans la même situation.
Que prendre : la valeur économique ou celle du trophée de chasse ?
Devant deux valeurs estimées affichant des écarts importants, laquelle devrait-on utiliser pour déterminer le prix de l'action de La Baie ?
Le plus sûr est de tabler sur la valeur économique. Dans le secteur du détail, la valeur d'un actif immobilier peut difficilement tenir dans le temps si le locataire n'est pas en mesure de verser un loyer qui la justifie. Un exemple patent : l'aventure du Québécois Robert Campeau. En 1986 et 1988 il avait, coup sur coup, mis la main sur Allied Stores et Federated Department (Bloomingdales) en tablant sur la valeur des actifs immobiliers. Peu de temps après, tout s'était écroulé.
Combien vaut HBC ?
Pour le savoir, il faut accorder une valeur aux activités de détail (en diminuant leur rentabilité du prix d'un loyer) et leur ajouter la valeur immobilière. En accordant une valeur de 6,7 G$ au parc immobilier, Canaccord Genuity en arrive à une cible de 29 $ pour l'action. CIBC, de son côté, accorde une valeur de 4,4 G$ aux immeubles et en arrive à une cible à 23 $.
On pencherait davantage pour l'évaluation de CIBC. Bien qu'à première vue on semble suggérer un titre qui pourrait doubler de valeur, celui-ci est bien évalué.
Sur le radar
La Baie (Tor., HBC, 24,05 $)
Les recommandations des analystes qui suivent le titre de La Baie
2 Conserver
2 Acheter
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1 Sous-performance
Cours cible : 25,80 $