Blogue. Faudrait-t-il créer une véritable société d'État commerciale du gaz ou repousser l'exploitation des gaz de schiste québécois à dans 25 ans?
L'interrogation nous est venue hier à la lumière d'une dépêche indiquant que les municipalités du Québec réclament des redevances pour l'exploitation des gaz de schiste
La nouvelle précise "qu'il n'est pas question de se contenter de simples compensations pour réparer les chemins".
Un de plus. C'est dans le ton ces jours-ci, chacun réclame son dû dans ce dossier. Il n'y a pas que les municipalités. Il y a aussi une assez nombreuse cohorte de citoyens qui accusent leur gouvernement d'avoir mis en place un régime qui brade la ressource et qui ne tient pas le chemin.
Qui recevra l'argent?, dit-on en chœur. Notre préoccupation est plutôt inverse: mais qui mettra donc l'argent pour développer le gaz de schiste québécois?
Le problème
On en parlait il y a quelques jours, mais revenons sur l'état des lieux actuel.
Pour reprendre l'expression d'un vétéran du secteur minier, le Québec n'a actuellement "qu'un bon trou": le puits de Saint-Édouard de Questerre et Talisman, dans Lotbinière.
La plupart des experts estiment qu'il faudra au moins une trentaine de puits horizontaux supplémentaires avant que l'on puisse déterminer avec assurance que le schiste québécois est économique.
Or, au rythme où vont les choses, on peut se demander pourquoi les sociétés multinationales auraient intérêt à venir forer ici.
On a rarement vu autant d'activité du côté des forages de schiste aux État-Unis et dans l'Ouest canadien. Il y avait l'an dernier 665 foreuses actives, il en est cette année près de 1000, selon les chiffres de Global Hunter Securities.
Malgré des prix du gaz qui se promènent au niveau incroyablement bas de 3,75$-4$ US le millier de pieds cubes, et mettent plusieurs sociétés du gaz à perte, les Américains et les Canadiens continuent de forer et menacent de faire passer ce printemps le marché du gaz naturel à un niveau de surplus assez important.
Il en coûte apparemment environ 10 M$ pour forer un puits ici. C'est la moitié moins ailleurs. L'écart s'explique par l'absence d'une masse critique au Québec (peu de forages à effectuer, manque d'équipements et équipes insuffisantes, etc.). Mais il tient aussi à un manque de connaissances scientifiques et pratiques sur la façon dont notre schiste réagit. Chaque schiste est en fait différent.
Qui viendra forer au Québec si les coûts y sont plus chers et que le marché du gaz naturel affiche un surplus qui ne permet pas aux prix de remonter significativement?
L'exemple Talisman
Il ne s'agit pas de dire qu'assurément personne ne viendra forer. Mais il s'agit pour le Québec de se préparer à agir si personne ne vient forer.
Talisman a repoussé au printemps le forage de deux puits québécois, et Gastem devrait aussi y aller de trois puits à ce moment. Mais au-delà, force est de constater qu'il n'y a guère d'incitatif. Talisman vient d'ailleurs d'y aller d'une acquisition (en joint venture avec Statoil) de 1,3 G$ dans le secteur de Eagle Ford (Texas). Elle est déjà solidement présente dans les riches zones de Montney et Marcellus. En suivant la logique qui veut que l'on aille de ce qui coûte le moins cher vers ce qui coûte le plus cher, il pourrait bien s'écouler plusieurs années avant qu'elle ne soit vraiment intéressée par le Québec.
Que faire?
On peut toujours attendre à dans plusieurs années. Il y a le risque que l'on reste collé avec nos stocks de gaz si des énergies alternatives prennent le marché, mais, étant donné le bas prix auquel devrait demeurer la ressource, c'est peu probable (les énergies alternatives devraient se développer plus lentement). Les stocks seront toujours là et leur potentiel économique devrait s'améliorer.
Si l'on souhaite exploiter la ressource prochainement et éventuellement profiter d'une remontée de prix plus tard dans l'avenir, il faut dans ce cas bien réfléchir à notre politique de redevances et ne pas y aller trop fort (nous ne sommes pas dans la même situation que l'Ouest et les USA), ni surtout en promettre à tout le monde.
Dans son amalgamation d'Investissement-Québec et de la SGF, le gouvernement du Québec devrait peut-être penser à la création d'une véritable société d'État du gaz en donnant de l'envergure à Soquip, sa société québécoise d'exploration gazière et pétrolière.
Celle-ci pourrait alors développer son expertise, devenir partenaire des différentes sociétés privées québécoises à l'œuvre sur le territoire, faire un pont technique et scientifique entre elles, et contribuer au financement des forages nécessaires à l'atteinte d'une masse critique.
Il y a évidemment un important risque sur l'investissement et les premières années livreraient sans doute des états financiers marqués d'un rouge assez foncé. Comme en fait dans le minier et en biotech. Mais on pourrait rétribuer favorablement le risque couru en aiguillant vers Soquip une bonne partie des redevances à venir.
Jusqu'à ce qu'on ait récupéré les pertes initiales et assurer un fonds de roulement pour la poursuite du développement.
Après coup, si l'aventure est réellement porteuse économiquement, on pourra penser à rémunérer le communautaire par des redevances aux municipalités.
Faire l'inverse, c'est mettre la charrue devant les bœufs. Pour l'instant, l'argent potentiellement à venir du gaz de schiste devrait être réservé au développement du gaz de schiste.