Avec la fermeture d’un autre établissement, l’intensité du bras de fer que se livrent Couche-Tard et la CSN vient de grimper d’un nouveau cran. La bataille pour la syndicalisation des Couche-Tard pourrait bien durer encore plusieurs mois. La question : Alain Bouchard osera-t-il aller plus loin?
On se demandait depuis quelques semaines comment ce dossier allait évoluer.
Le coup de semonce
En 2009, un premier Couche-Tard s’était syndiqué à Beloeil. La direction de l’établissement avait alors agi comme elle vient d’agir avec celui situé à l’angle des rues Beaubien et Saint-Denis : on ferme.
Pas rentable, avait-on expliqué. Un an plus tard, le magasin était de nouveau en exploitation, sans syndicat toutefois. La version officielle était qu’une renégociation de bail avait permis de relancer l’entreprise. Personne ne niera cependant que la fermeture avait permis de se départir des éléments embarrassants…
Avec un magasin qui vient de se syndiquer, deux autres magasins en attente d’une reconnaissance d’accréditation (celui qu’on ferme était un troisième en attente), et la CSN qui courtise les étudiants dans les Cégep et collèges (la principale main-d’œuvre de Couche-Tard), il est facile de voir dans la fermeture annoncée aujourd’hui un message de la direction envoyé à tous ses autres employés : le syndicat peut rentrer dans votre établissement, mais il ne demeurera pas longtemps et sachez que vous sortirez avec lui.
Le message est nettement plus clair et menaçant que celui qu’avait une première fois livré il y a quelques semaines Alain Bouchard, dans une vidéo obtenue par notre collègue Stéphane Rolland.
Vidéo interne : Couche-Tard évoque la fermeture de dépanneurs syndiqués
On parlerait cependant davantage d’un coup de semonce. Quatre établissements font l’objet de démarches d’accréditation. Une seule fermeture est annoncée.
Pourquoi ne pas avoir frappé plus fort?
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Pourquoi ne pas avoir frappé plus fort?
C’est la question qui se pose.
L’intention de Couche-Tard n’est pas facile à décrypter.
Est-elle maintenant prête à accepter la présence d’un syndicat dans certains établissements, mais en train de clairement indiquer qu’il n’y a pratiquement pas d’espace de négociation pour de futures conventions?
Tente-t-elle plutôt de préserver son image de marque au Québec (un bon citoyen corporatif ne s’expose pas à une violation potentielle des lois) tout en souhaitant que le geste fera peur aux autres et qu’ultimement tout le monde retraitera? Après tout, Walmart vient de réussir à désyndicaliser son établissement de Saint-Hyacinthe.
Par feeling, on tablerait davantage sur la deuxième hypothèse, mais pas nécessairement sur ses chances de succès.
La CSN apparaît vraiment déterminée sur ce combat. Contrairement à un Walmart où il faut convaincre pas mal de monde, il est en outre plus facile de prendre le contrôle de petites unités décentralisées, particulièrement lorsque leur main-d’œuvre est majoritairement constituée de jeunes. C’est un moment de la vie où on est en effet généralement réceptif au discours syndical. Même Pierre Karl Péladeau lorsqu’il était en âge d’occuper dans un Couche-Tard, avait une pensée assez rapprochée de celle des « camarades ».
Bref, on voit mal comment Couche-Tard ne devra pas frapper plus fort. Et annoncer d’autres fermetures.
Couche-Tard est-elle à risque si elle frappe plus fort?
Couche-Tard est-elle à risque si elle frappe plus fort?
Tout dépend de ce dont on parle. Du risque économique corporatif, ou du risque de l’administrateur?
Le risque économique n’apparaît pas très important.
Le réflexe est de pointer le récent conflit au Journal de Montréal et de dire qu’il n’y a aucune inquiétude à y avoir pour Couche-Tard. L’appel au boycott avait plutôt donné de l’élan au lectorat du quotidien. L’exemple n’est cependant pas idéal. La cible du Journal de Montréal n’est en effet pas nécessairement celle qui se mobilise pour des revendications sociales, sauf lorsqu’elles sont d’une nature, plus, disons, démagogique. En d’autres mots, le lectorat de La Presse ou du Devoir apparaît plus sensible à ces enjeux et ne pouvait boycotter quelque chose qu’il n’achetait déjà pas.
C’est différent dans le cas de Couche-Tard. Tout le Québec passe par ses établissements, pas seulement un pan de population.
Là où ça se complique cependant pour les syndicats, c’est plutôt sur le précédent Jonquière de Walmart. Il y a quelques années, on avait aussi assisté à un appel au boycott à la suite de la fermeture de l’établissement. Or, on ne peut pas dire que l’appel ait été très suivi.
S’ajoute le fait que même avec un boycott réussi, on peut douter que Couche-Tard souffre beaucoup économiquement. Environ 70% de son profit brut provient aujourd’hui des Etats-Unis (sans compter les établissements du Canada anglais). Bref, c’est comme si la CSN amorçait aujourd’hui non pas un combat contre une société québécoise, mais contre une société américaine.
Le risque de l’administrateur
Reste le risque de l’administrateur.
Il vise les dirigeants de la société. Il s’agit du risque de réputation, qui pourrait potentiellement être accompagné d’un risque de responsabilité civile. C’est qu’en fermant sciemment des établissements rentables pour cause de syndicalisation, les dirigeants de Couche-Tard, monsieur Bouchard en tête, poseraient des gestes potentiellement illégaux, qui pourraient de surcroît ne pas être dans l’intérêt des actionnaires minoritaires.
La direction de Couche-Tard est-elle prête à risquer d’être étiquetée de « hors-la-loi »? Et à potentiellement engager sa responsabilité?
On n’est pas sûr de ça. Et c’est pourquoi, malgré les apparences, la CSN a peut-être une chance de succès.
Pour l'intéressante vision de ma collègue Diane Bérard sur le sujet: Couche-Tard et la CSN, une bataille perdant-perdant
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