Un intéressant bras de fer est actuellement en cours chez certains analystes au sujet d'Air Canada (AC.B, 3,24 $). Vers un atterrissage ou un décollage ?
À la mi-janvier, RBC Marchés des capitaux ramenait sa recommandation de " surperformance " à " performance de marché " et abaissait sa cible à 4 $.
À la fin du mois, Canaccord Genuity surprenait avec une recommandation d'achat et une cible à... 9,25 $.
Perspectives divergentes, peut-on dire.
D'abord les craintes.
CE QUE REDOUTE RBC
Walter Spracklin prévoit que des vents contraires souffleront au cours des prochains mois.
- Le carburant coûtera plus cher. Avec la reprise qui se dessine, se profi le également pour les transporteurs la menace d'une hausse des cours pétroliers. Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), le coût du carburant de l'industrie aérienne mondiale devrait grimper de plus de 8 % en 2011. Le carburant est la seconde dépense en importance d'un transporteur, et Air Canada n'est protégée qu'à hauteur de 13 % de ses besoins sur les marchés à terme.
- Beaucoup de bruit syndical à venir. L'entente de 21 mois sur le gel des conventions arrive à échéance à la fi n mars. Air Canada devra renégocier de nouvelles ententes et faire face à cinq syndicats. L'analyste prévoit une augmentation annuelle de 3,5 % des salaires et avantages sociaux. Dans un contexte où la rentabilité devrait fortement croître, il redoute que les demandes soient plus élevées que cela.
- Combien de capacité s'ajoutera ? Qui dit croissance de l'économie et de la demande dit aussi croissance de l'offre. Bien que l'industrie doive agir de façon ordonnée, les taux d'occupation et de rendement baisseront sans doute.
- Les derniers résultats sont un peu dopés. Les dépenses d'entretien ont respectivement diminué de 21 % et de 14 % depuis les deux derniers trimestres, une situation que la direction attribue en partie à la remise ultérieure de l'entretien lourd. Cet entretien (et ces dépenses) devraient s'effectuer en 2011...
LA RÉPLIQUE DE CANACCORD
Voici la réplique de David Tyerman, de Canaccord.
- Le risque lié au carburant est mitigé. L'impact d'une éventuelle hausse de prix du carburant devrait être moins important que redouté puisque le dollar canadien grimpe lui aussi. La hausse devrait effacer une bonne partie de l'augmentation. En outre, la plupart des concurrents d'Air Canada ne bénéfi cient pas de la hausse et auront surtout tendance à augmenter les prix dans la situation actuelle, ce qui devrait faciliter le transfert de la facture aux clients.
- Les négos pourraient générer des gains. M. Tyerman reconnaît que le renouvellement des conventions fera augmenter les coûts, et anticipe même une hausse de 3,4 % des salaires et avantages. Il estime cependant qu'Air Canada pourrait peut-être négocier des hausses salariales plus élevées en échange de gains de productivité, et gagner au fi nal en rentabilité. Un exemple : les pilotes de WestJet travaillent un nombre d'heures beaucoup plus grand que ceux d'Air Canada. Les pilotes d'Air Canada pourraient toucher une compensation intéressante et travailler davantage.
- La position concurrentielle s'améliore. Sur l'ajout de capacité redoutée et les baisses de rendement, l'analyste n'est pas trop inquiet. Il soutient que son taux de rendement attendu au quatrième trimestre est à 1,5 %, par rapport à 3,4 % au trimestre précédent. Le risque de mauvaise surprise lui apparaît donc faible. Il note en outre que le dollar canadien donnera encore ici un avantage à Air Canada sur ses concurrents.
Quelque 200 M $ d'économies à venir. Déjà, 300 M $ d'économies ont été réalisés par rapport au plan de transformation de 530 M $ d'Air Canada prévu d'ici la fin 2011.
QU'EN PENSER?
Qu'en penser?
À l'évidence, les deux analystes n'envisagent pas le même niveau de rentabilité dans les prochains mois. M. Spracklin prévoit une perte de 0,55 $ par action en 2011, alors que M. Tyerman anticipe un bénéfice de 0,32 $ (Canaccord le voit doubler l'année suivante à 0,75 $).
Le consensus de la douzaine d'analystes qui suivent le titre est d'un profit autour de 0,35 $ en 2011. On collerait à l'hypothèse. Les employés d'Air Canada feront sans doute beaucoup de bruit. Ils savent cependant aussi que leur employeur est toujours lourdement endetté et qu'il aurait bien de la difficulté à traverser un autre cycle difficile. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Il ne devrait pas y avoir de grève et le règlement devrait être raisonnable.
Étant donné l'endettement d'Air Canada et le risque associé à la durée du cycle économique qui semble s'amorcer, il serait étonnant de voir le titre valoir plus de 12 fois le bénéfice attendu dans les prochains mois. Cela donne une cible à 4,20 $.
Pour un investisseur prêt à spéculer, c'est tentant. On attendrait cependant peut-être encore quelques semaines pour le début des négos, histoire de voir si une occasion plus intéressante ne surgira pas.
francois.pouliot@transcontinental.ca