Une forte tempête fait actuellement tanguer les cours de Caesars Acquisition(Nasdaq, CACQ), la société publique américaine de casinos que dirige Mitch Garber. Le dragon serait-il partant pour y réinvestir?
La question nous est venue à l'esprit la semaine dernière, alors que différents échos de presse faisaient état des problèmes juridiques et financiers que traverse actuellement une autre société, Caesars Entertainment. Contrôlée en partie par le nouvel actionnaire principal du Cirque du Soleil, TPG Capital, cette entreprise n'est pas officiellement liée à la société dirigée par Mitch Garber, mais c'est tout comme.
Caesars Entertainment a de nombreux créanciers à ses trousses, et, si ceux-ci obtiennent gain de cause sur certaines allégations, l'affaire pourrait théoriquement faire en sorte que les actionnaires de la société que dirige M. Garber perdent tout.
L'affaire est d'une haute complexité, et est l'illustration du bourbier qui peut se pointer lorsque Wall Street mélange beaucoup d'ingénierie financière avec encore plus d'effet de levier (emprunt) et qu'un marché qui devait se développer (celui des casinos) décide plutôt de battre en retraite.
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Nous n'allons pas entrer dans tous les détails, histoire d'alléger le texte. Mais pour ceux qui veulent un récit détaillé, le meilleur papier est dans le magazine Fortune de juin.
Le décor
On l'a dit, c'est complexe. Il est conseillé de lire les prochains paragraphes avec le graphique qui suit.
Essentiellement, la société dirigée par Mitch Garber (Caesars Acquisition) détient une participation de 42% dans une entité du nom de Caesars Growth Partners. C'est son seul actif. Tout ce qui arrive à Caesars Growth Partners fait varier la valeur de la société dirigée par M. Garber. Caesars Growth Partners a été créée en 2008 parce que le géant du casino Caesars Entertainment était en difficultés financières.
Caesars Entertainment s'était en effet portée caution de sa principale filiale (Caesars Entertainement Operating Company), qui battait de l'aile. Histoire de la renflouer, des casinos de la filiale furent transférés à Caesars Growth Partners en contrepartie d'une somme de 2 G$US, qui servit à payer de la dette.
Jusque-là, peu de problèmes.
Malheureusement, la transaction fut insuffisante. La dette de la filiale où étaient installés la majorité des casinos demeurait trop importante par rapport aux revenus. Un autre transfert de casinos s'opéra donc vers Caesars Growth Partners (rappel: le seul actif de la société dirigée par M. Garber) à l'automne 2013, en contrepartie d'une somme de 1,8 G$US. La somme servit à payer les créanciers de premier rang pour éviter un défaut. Au même moment, cependant, la caution que fournissait Caesars Entertainment à la filiale fut effacée.
Enfer et damnation. C'est ici que s'amorça le cauchemar. Les créanciers ordinaires, qui voyaient beaucoup de garanties au moment de leurs prêts initiaux à Caesars Operations, se retrouvaient maintenant sans rien. Les mises en demeure affluèrent, puis les poursuites s'amenèrent. Remplies de termes virulents, alléguant fraude, pillage et abus. À noter que les fonds Apollo Global Management et TPG Capital, les actionnaires contrôlant Caesars Enterntainment, sont aussi d'importants actionnaires de la société dirigée par Mitch Garber, qui, on le sait, a pour seul actif le placement dans la filiale où ont été transférés les casinos. Des allégations d'iniquité des prix obtenus lors des transferts des casinos afin d'avantager ces actionnaires sont aux procédures, malgré des évaluations présumées indépendantes.
Deux poursuites sont centrales, l'une à Chicago et l'autre à New York.
Ce qui menace la société dirigée par dragon Garber
Ce qui menace la société dirigée par dragon Garber?
On n'est pas expert en droit américain (ni même en canadien!), mais quelques scénarios sont envisageables.
Si les créanciers obtiennent gain de cause sur les allégations de «transactions frauduleuses», il est théoriquement possible que les actifs soient remis dans leur état original. C'est dire que les casinos de Caesars Growth Partner seraient retournés dans les autres sociétés en faillite, au bénéfice de leurs créanciers. Et que les actionnaires de la société dirigée par M. Garber (Caesars Acquisition) perdraient tout, l'intérêt de 42% ne valant plus rien.
C'est un scénario qui ne devrait pas se produire. D'abord parce qu'il y a des évaluations indépendantes de la valeur des actifs au dossier et que la preuve d'une fraude est conséquemment excessivement difficile. Ensuite parce qu'un tribunal sera vraisemblablement hésitant à y aller d'une décision qui aurait pour effet de faire tout perdre aux actionnaires de bonne foi de Caesars Acquisition.
Un autre scénario est que les créanciers réussissent à prendre le contrôle de Caesars Entertainment (le géant) par le rétablissement de la caution et sa mise en faillite automatique. Ils obtiendraient automatiquement la participation de 58% dans la filiale détenant le seul trésor restant (Caesars Growth Partners). Peut-être tenterait-on de vendre la participation de 58% à d'autres, peut-être essaierait-on aussi de mettre toute la société en vente de manière à tenter d'avoir une prime d'OPA. Dans l'une ou l'autre des situations, ce n'est pas dommageable pour les actionnaires de Caesars Acquisition (la société dirigée par M. Garber) et ça peut même être avantageux.
Il y a enfin un dernier scénario où les créanciers mordent la poussière et le statu quo reste en place. En théorie, il y a un projet d'acquisition de Caesars Acquisition par Caesars Entertainment qui serait réactivé. Mais ce projet, qui doit se faire par échange d'actions, est à revoir, dépendamment du prix auquel cotera Caesar Entertainment à ce moment.
Faut-il investir dans la société de Mitch Garber?
Nous voici de retour à la question initiale.
Le titre de Caesars Acquisition (CACQ, 6,63$ US) se négocie actuellement à près de 6,26 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA). C'est un multiple assez faible si l'on tient compte que les titres des grands acteurs de l'industrie du jeu se négocient autour de 12,6 fois le BAIIA 2015 et 10,8 fois 2016 (selon Union Gaming Research).
À l'évidence, le titre fait l'objet d'un important escompte lié à tout l'imbroglio actuel. Si jamais, les tribunaux ne font pas droit aux allégations de fraude (et qu'il n'y a pas rétrocession des casinos), le rebond potentiel semble important. BTIG, qui est la seule firme d'investissement à suivre le titre, a une cible à 12$ US. C'est en outre à peu près la valeur à laquelle se négociait l'action en 2013, juste avant que les troubles ne surviennent.
Le pari est tentant parce que l'hypothèse de la fraude (au sens de la loi sur la faillite) semble peu probable. Il n'est cependant pas sans risques d'importantes pertes et est hautement spéculatif.
Un peu comme au casino…
Avec la collaboration à la recherche de Yannick Clérouin.
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