Beaucoup de remue-ménage ces jours-ci, chez Bombardier. Alors que les changements se poursuivent à la direction, les rumeurs aussi continuent de courir quant à l'avenir de la division transport de l'entreprise. Que prépare le géant montréalais ?
L'agence Reuters rapportait il y a deux semaines que la société québécoise examinait ses options concernant ses activités ferroviaires, y compris la vente totale de celles-ci.
Étant donné le récent refinancement de Bombardier, certains se demanderont d'où vient l'urgence de s'engager dans un tel examen ?
On ne dirait pas qu'il y a urgence, mais on peut voir deux motifs qui poussent le conseil et l'équipe de direction à regarder de ce côté.
1. Malgré le refinancement, le niveau de dette de l'entreprise demeure élevé.
Le ratio varie d'un analyste à l'autre, mais la Banque Nationale, qui est pas mal mitoyenne, place sa dette nette à 5,2 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) 2015. Dans une situation de ressac économique qui pourrait survenir dans le futur, ce n'est pas un ratio où il est nécessairement facile de faire tourner une dette. Après le dernier épisode, il peut y avoir une motivation de prudence.
2- Ça bouge beaucoup dans le secteur ferroviaire.
Alstom vient de vendre ses activités d'énergie à General Electric (GE), ce qui lui donnera des liquidités pour procéder à des acquisitions et grossir.
Pendant ce temps, GE est en train de sortir GE Capital de ses activités, ce qui devrait aussi lui procurer éventuellement beaucoup de liquidités. GE fabrique toutes sortes de choses dans le secteur industriel, dont des locomotives.
Au début de l'année, Hitachi a acquis les constructeurs de trains et de signalisation AnsaldoBreda et Ansaldo STS.
Surtout, les sociétés chinoises CSR et CNR viennent de fusionner pour créer le plus important constructeur ferroviaire du monde. Cette fusion est d'autant plus inquiétante que le gouvernement chinois semble déjà signaler que les coffres de l'État seront au service de la nouvelle entité.
Voici deux exemples.
Même si le projet a été mis en veilleuse, CSR avait été choisie par le gouvernement mexicain pour la construction d'un train rapide. Tous les autres constructeurs concurrents sont réputés pour avoir été écartés de l'appel d'offres en raison des conditions de financement avantageuses offertes par l'État chinois.
L'an dernier, CNR a obtenu le contrat de construction de 342 nouvelles voitures pour le métro de Boston. L'entreprise s'est engagée à bâtir une chaîne de montage aux États-Unis. Elle est quand même réputée avoir soumissionné à un prix de 25 % inférieur à celui du concurrent le plus près et de 50 % en dessous de celui de Bombardier.
Il y a un non-sens dans tout cela, mais aussi un signal à l'effet qu'il vaut mieux gagner en rentabilité si on veut affronter les concurrents chinois. On comprend que le conseil sente le besoin d'un examen stratégique.
La division transport sera-t-elle vendue en entier ?
Si vous êtes un investisseur à court terme, c'est probablement ce que vous souhaitez. Les analystes spéculent autour d'une valeur de cinq milliards de dollars américains, ce qui, au net, voudrait dire un montant équivalent à 2,80 $ CA par action de Bombardier. C'est une valeur supérieure au cours actuel (2,67 $), qui pourrait théoriquement forcer le marché à accorder une valeur à la division aéronautique.
Si vous êtes un investisseur à long terme, vous êtes probablement moins enthousiaste.
Historiquement, les flux de trésorerie ont été plus stables dans la division transport, et lorsque l'aéronautique était dans un mauvais cycle, elle agissait comme un élément stabilisateur.
Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, fait en outre remarquer que le moment n'est pas optimal pour vendre la division transport.
La société vise à rehausser de 5 à 8 % la marge bénéficiaire (BAIIA) de ses activités au cours des prochaines années. On n'est pas loin d'une rentabilité qui peut doubler.
Selon lui, il ne faut pas voir non plus la menace chinoise (et celle d'autres regroupements) avec plus de force qu'elle n'en mérite.
Dans plusieurs juridictions, les Chinois devront avoir des chaînes de montage en raison de politiques locales (Buy American Act, par exemple). Il faudra donc du temps pour s'installer à l'international. Pour l'instant, CSR et CNR ne génèrent que 7 % de leurs revenus à l'extérieur de la Chine. Ces revenus (hors Chine) atteignent 2,3 G$ US, par rapport aux 9,6 G$ US de Bombardier Transport l'an dernier.
Bombardier conserve aussi plusieurs avantages. Elle est bien établie en Europe, où elle est un chef de file. C'est le marché mondial le plus important. Elle détient le portefeuille offrant le plus de solutions. Elle est le seul constructeur à avoir un joint-venture en Chine capable d'offrir des solutions complètes de train. Elle investit enfin beaucoup en R-D. Ses prix pourraient être plus élevés que ceux de ses concurrents chinois, mais, lorsque les coûts d'entretien seront pris en compte sur la durée de vie d'un projet, elle pourrait tout de même l'emporter.
Que fera l'entreprise montréalaise ?
Peut-être songera-t-on à une fusion avec Alstom ou Siemens, mais il serait étonnant que les autorités antitrusts européennes l'autorisent.
M. Doerksen évoque la possibilité de la création d'un joint-venture dans la signalisation ferroviaire. L'acquisition d'Ansaldo STS par Hitachi est survenue à 13 fois le BAIIA. C'est un multiple plus fort que les 7,5 actuellement accordés à Bombardier. Ce simple jeu de multiple permettrait de faire ressortir un peu de valeur (0,65 $ par action, selon les calculs de l'analyste).
Ça pourrait bien être ce à quoi l'initiative stratégique aboutira.