Faut-il pendre la famille Bombardier-Beaudoin, limoger le conseil d’administration, bloquer l’aide gouvernementale, ou exiger de nouvelles garanties?
La discussion va ces jours-ci tout azimut à propos de Bombardier. Voyons voir quelques unes des questions qui animent les échanges.
Les gouvernements doivent-ils venir en aide à Bombardier?
Réglons dès le départ une chose : Québec et Ottawa ont la capacité financière de faire l’injection financière demandée, et éventuellement de la perdre, sans réellement torpiller la couverture sociale.
Une fois la chose tranchée, il ne reste guère plus que le débat philosophique sur la présence de l’État dans l’économie.
Qu’arrivera-t-il si les injections financières dont a besoin Bombardier ne sont pas fournies?
C’est assurément la fin du programme CSeries. Un peu plus tard aussi, vraisemblablement, la fin des jets régionaux. Le CSeries est l’appareil qui peut permettre à Bombardier de demeurer concurrentielle dans les avions commerciaux. Sans lui, il est douteux que les régionaux aient encore beaucoup d’avenir. Ils deviennent âgés et ont besoin d’un plus gros porteur, qui coûte moins cher par passager, avec lequel être éventuellement jumelé dans l’offre aux grandes lignes aériennes. C’est de l’érosion de leur potentiel qu’est d’ailleurs né le projet de CSeries.
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L’absence d’un soutien gouvernemental aurait des conséquences beaucoup plus grandes que la perte des 2 200 emplois québécois actuellement attachés au CSeries. Les emplois liés aux jets commerciaux sont aussi en jeu (on n’a malheureusement pas de chiffres confirmés).
D’accord pour une discussion sur le rôle de l’État lors d’un projet de création de nouveaux emplois. Mais, dans le cas actuel, on voit mal comment le dommage économique et social pourrait être réparé. La main d’Adam Smith fonctionne peut-être dans un grand tout, mais dans des situations un peu plus restreintes, elle n’est pas qu’invisible, elle est absente.
La famille doit-elle perdre le contrôle et le conseil être remplacé?
Dans une société sans actions multivotantes, il y a longtemps que la famille aurait perdu le contrôle et que des changements auraient été apportés au conseil d’administration. Personne ne contestera la chose.
Ce qui est agaçant, c’est le ton sur lequel se fait souvent cette discussion.
La famille Bombardier-Beaudoin, dont certains réclament aujourd’hui la destitution, a été une bénédiction pour le Québec. D’un point de vue social, malgré les déboires actuels, elle a construit l’une des entreprises canadiennes les plus créatrices de valeur ajoutée de l’histoire du pays.
Il y a trois ou quatre ans, en assemblée annuelle, Laurent Beaudoin avait échappé qu’à quelques reprises ils avaient été approchés pour vendre. Chaque fois la famille avait dit non. Une offre d’Airbus ou de Boeing à une Bombardier non contrôlée, et c’en était fait. Il n’y aurait eu personne pour dire non. Bombardier valait trop cher pour que la Caisse ou même Investissement Québec puissent prendre une position de blocage.
Sans la famille, la grappe aéronautique du Québec ne serait pas ce qu’elle ait aujourd’hui. Nous serions nettement moins riches, collectivement.
Le ton de la discussion devrait en tenir compte.
Sur la question du contrôle en lui-même, maintenant.
Oui, la famille et le conseil d’administration ont commis d’importantes erreurs. Trop de projets de développement ont été mis de l’avant en même temps, avec des évaluations de risque de marché et de risque de dépassements de coûts mal soupesées.
Il y a cependant aujourd’hui une nouvelle équipe de direction, dont la compétence est reconnue. Même par la Caisse de dépôt, qui, indirectement, est un peu à l’origine de toute cette discussion.
Étant donné le consensus sur la force de l’équipe de direction actuelle, lier l’octroi du financement gouvernemental à toute une refonte du conseil et une perte de contrôle de la famille est de peu de pertinence. Cela ne contribuerait qu’à déstabiliser davantage la direction de l’entreprise.
L’État intervient-il de la bonne façon?
L'État intervient-il de la bonne façon?
Monsieur Péladeau a raison lorsqu’il dit que la direction a bien joué ses cartes pour les actionnaires et que le gouvernement doit bien jouer les siennes pour le trésor public et les emplois.
Il a aussi probablement raison lorsqu’il dit qu’il aurait été préférable que Québec (et maintenant Ottawa) investisse dans Bombardier inc. plutôt que dans la société en commandites du CSeries. Le risque aurait été moindre.
Si on suit cette ligne, il faut cependant aussi se demander ce que ferait Bombardier avec le CSeries si les gouvernements demandaient à être directement au capital de Bombardier inc. plutôt que dans la société en commandite.
La réponse est qu’il y a fort à parier que la direction abandonnerait tout simplement le CSeries. Elle tirerait la plogue, vendrait ses brevets, et vraisemblablement sa division aéronautique commerciale (puisque sans le CSeries sa compétitivité à long terme est douteuse).
Comme le dit monsieur Péladeau, le rôle du conseil est de voir à l’intérêt des actionnaires. Agir ainsi serait moins risqué et potentiellement beaucoup plus payant pour les actionnaires que de diluer son capital-actions avec un projet à risque élevé. Dans le cas d’une injection au capital-actions de Bombardier inc. par les gouvernements, les actions des actionnaires actuels ne vaudraient pratiquement plus rien pendant longtemps. Cette réflexion, bien qu’elle n’ait curieusement jamais fait partie de la discussion publique, a assurément fait partie de la discussion privée.
L’État intervient-il de la meilleure façon? Non, côté mitigation du risque. Mais il est loin d’être évident qu’une autre façon existe sans que l’on mette en péril le projet du CSeries et qu’à terme, plusieurs emplois liés aux jets régionaux partent ailleurs suivant la recette des synergies qu’appliquerait un nouvel acquéreur. Ici aussi, donc, mieux vaut rester sur la formule convenue.
Faut-il protéger les emplois et le siège social?
Si on a bien suivi, c’est le point majeur auquel tiennent messieurs Legault et Péladeau. Cette fois, ils ont bien raison.
La récente annonce des mises à pied à venir chez Bombardier a de quoi faire sourciller. On ne peut pas à la fois demander l’aide de l’État, lui faire courir tous les risques financiers du projet de relance, et ne pas protéger, du moins en partie, les emplois sur son territoire.
Un plancher d’emploi est peut-être excessif comme demande. Bombardier doit pouvoir demeurer compétitive. Mais une garantie de production locale en dollars sur la valeur totale des appareils pourrait peut-être être une avenue mitoyenne. On fait déjà de tels calculs aux États-Unis dans plusieurs contrats d’approvisionnement publics (Buy American Act), pourquoi ne pas adapter la recette et la lier au financement gouvernemental?
L’affaire est probablement difficile à renégocier pour le gouvernement du Québec, qui s’est déjà commis. Ottawa a néanmoins toujours la possibilité d’agir.
Il y a aussi le dossier Aveos qui est dans la discussion. Le gouvernement du Québec paraît mal. L’affaire est cependant plus compliquée qu’on ne la présente généralement. Même si le jugement déclaratoire de la Cour d’Appel était confirmé par la Cour Suprême, il y a suffisamment de flou juridique dans cette histoire pour que l’on revienne à la Cour supérieure et que l’on reparte pour un débat juridique d’au moins 10 ans. Seulement pour déterminer le niveau d’emplois qu’il est nécessaire de maintenir au centre d’entretien d’Air Canada. Il est en outre loin d’être assuré que les salariés qui ont perdu leur emploi ont un droit personnel de retour dans leur poste, c’est une autre bataille juridique en vue.
L’injection des gouvernements dans le CSeries ne devrait pas être conditionnelle au dossier Aveos. C’est malheureux. Mais la cohorte d’emplois qui pourraient être perdus avec l’échec du CSeries est plus élevée que celle des emplois qui pourraient être retrouvés dans l’éventualité d’un gain judiciaire final chez Aveos.
Avec Republic Airways qui est sous la protection de la loi sur la faillite, et conséquemment une quarantaine de commandes CSeries potentiellement perdues, il ne faut surtout pas échapper la commande d’Air Canada.
Quant au siège social, la meilleure façon de le garantir serait probablement que le fédéral décrète qu’il considère l’entreprise comme névralgique pour le pays et ne permettra pas une prise de contrôle étrangère en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Compte tenu de ses agissements dans le passé, il serait étonnant que la famille Bombardier-Beaudoin s’oppose à la démarche. Elle peut de toute façon être unilatérale.
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