Alors, où en est-on avec Bombardier ? Longuement attendue, la conférence téléphonique de la direction sur les plus récents résultats trimestriels, il y a quelques jours, aura finalement permis de faire le point sur l'état de situation.
Essayons d'y voir plus clair.
Quel est l'impact du retard du CSeries sur les liquidités ?
C'est l'une des principales inquiétudes qui flotte depuis la remise de l'entrée en service en deuxième moitié de 2015. Les coûts supplémentaires engagés dans le développement de l'appareil forceront-ils l'entreprise à renégocier ses conventions de crédit avec ses banquiers ?
À première vue, Bombardier a amplement d'encaisse (3,4 G$ US), mais 2 G$ de ces liquidités ne peuvent en réalité être dépensés en raison des conventions de crédit.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, on n'est pas réellement parvenu à savoir combien le retard allait ajouter au coût du CSeries. La direction parle maintenant d'un programme qui coûtera 4,4 G$ US, selon les normes comptables IFRS. Au dernier énoncé, le coût était à 3,9 G$ US. Cela laisse entendre un dépassement de 500 M$, mais, apparemment, les deux chiffres ne sont pas réellement comparables.
Une chose est claire : il reste encore 750 M$ US à dépenser en développement et 300 M$ US d'intérêts à capitaliser. Ces chiffres ne sont toutefois pas très éclairants pour l'instant.
Assez curieusement, la bonne nouvelle quant au risque que Bombardier manque de liquidités vient presque de la décote de Moody's, survenue la semaine dernière. La maison de notation estime que Bombardier brûlera au total 750 M$ US en 2014, et que son encaisse (3,4 G$ US) et ses lignes de crédit (1,4 G$) seront adéquates pour répondre aux besoins de développement.
C'est donc OK pour les liquidités à court terme (sur la prochaine année), mais les craintes ne se dissiperont pas totalement. Avec la décote de Moody's et celle de Standard & Poors, les débentures de Bombardier restent dans la catégorie «spéculatif» et ne sont plus qu'à un cran du niveau «hautement spéculatif».
Il ne faudrait pas un nouveau report.
Comment le retard touchera-t-il la rentabilité future du CSeries ?
Une autre question qui flotte dans les esprits. Les coûts de développement sont capitalisés et seront amortis lorsque les livraisons de CSeries s'amorceront. Jusqu'à quel point ces dépenses reportées supplémentaires grugeront-elles le bénéfice futur que l'on attend de l'appareil ?
Comme la direction ne donne pas réellement d'explications sur le coût supplémentaire de l'appareil, il est difficile d'estimer.
Pierre Beaudoin a cependant quelques fois répété que, même avec les coûts supplémentaires, le programme demeurait à l'intérieur des hypothèses de rentabilité du plan d'affaires.
Il faut faire un acte de foi ici. On est personnellement porté à le faire.
Dans le pire des cas, on semble être en présence de coûts supplémentaires de 500 M$ US. Il y a quelques semaines, on avait fait quelques calculs maison hautement hypothétiques à propos d'un dépassement de 1 G$ US. Ceux-ci pointaient vers une diminution des bénéfices espérés pour le CSeries de l'ordre de 7 % à 15 %. C'était significatif, mais pas dévastateur. Avec un dépassement qui semble de moitié moindre, la situation n'est donc pas si préoccupante. Si les ventes du CSeries confirment les hypothèses, le report de l'entrée en service n'influera pas tellement sur sa rentabilité.
Pourquoi le titre recule-t-il ?
Les résultats ne sont pas au rendez-vous et la foi des investisseurs faiblit. Dans la réalité, les choses s'améliorent, mais pas avec la force espérée par le marché. La direction indique qu'en 2014 ses revenus devraient être plus élevés (notamment du côté de l'aéronautique où il se livrera plus d'appareils) et ses marges, nettement s'améliorer.
La marge du bénéfice avant intérêts et impôt (BAII) de la division aéronautique devrait passer de 4,1 %, en 2013, à 5 %. Celle de la division transport, grimper de 5,8 % à 6 %.
Malheureusement, les projections des analystes tenaient compte d'une marge de 6 % dans l'aéronautique et de plus de 7 % dans le transport.
La direction de l'entreprise est elle-même responsable de cette situation. Un retour à sa journée des investisseurs en mars 2013 permet de voir qu'elle indiquait que sa marge bénéficiaire serait de 6 % en 2014 dans l'aéronautique (un point de trop) et de 8 % dans la division transport (deux points de trop).
Qu'en tirer ?
Le bénéfice de 2014 devrait être plus élevé que les 0,33 $ par action réalisés en 2013, mais plus faible que les 0,45 $ US prévus par le consensus. Le consensus semble maintenant se diriger vers un bénéfice attendu de 0,38 $ US (0,42 $ CA).
La question est de savoir quel multiple appliquer. Il serait étonnant que, dans le contexte actuel, le marché aille bien au-delà de 10 fois le bénéfice, ce qui mettrait au mieux le titre à 4 $-4,50 $ (actuellement à 3,60 $). Bombardier continue de soutenir que ses marges dans le transport s'amélioreront à l'avenir et devraient à terme atteindre 8 %. Une mise au point devrait être faite à la fin de 2014 à ce sujet. Mais avec les dernières déceptions, ça n'aidera pas le multiple. La foi est désormais trop chancelante.
Devant le faible nombre de catalyseurs en vue, il semble bien que le titre de Bombardier demeurera sur le tarmac pour la prochaine année.