Devrait-on commenter sur cette affaire? La question nous est venue à l'esprit, en début de semaine, au lendemain des commentaires du nouveau dragon de Radio-Canada, Mitch Garber, sur la valeur créée par Pierre Karl Péladeau lors de son séjour aux commandes de Québecor.
Devant l'ampleur qu'a pris le débat (La Presse fait sa une économique avec l'affaire jeudi), on a finalement décidé d'ajouter notre grain de sel à la discussion.
Replaçons d'abord l'affaire.
Dimanche, dans le cadre de l'émission Tout le monde en parle, Mitch Garber déclare sommairement ce qui suit, au sujet de monsieur Péladeau:
"Depuis qu'il est PDG ou l'actionnaire majoritaire de Québecor, la performance est très mauvaise. C'est l'un des pires taux de croissance dans le domaine des communications au Canada et en Amérique du nord. S'il doit gérer mon économie, je veux juste qu'il gère mieux que depuis que son père est mort".
Le lendemain, Québecor vole au secours de son actionnaire contrôle avec un communiqué de presse qui défend son travail et parle de l'exceptionnelle transformation qu'il a accomplie.
Le débat est lancé: PKP a-t-il été un gestionnaire remarquable ou a-t-il plutôt livré une performance "très mauvaise"?
Depuis des années on suit d'assez près la société. De toutes, c'est probablement celle que l'on connaît le mieux.
Disons au passage que l'on connaît aussi professionnellement monsieur Péladeau, avec qui on a parfois eu des vues convergentes, parfois totalement divergentes.
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Notre agacement a grimpé d'un cran en semaine lorsque monsieur Garber a lancé sur Twitter un graphique des performances comparatives des titres de BCE, Rogers et Telus depuis 2000, époque de l'arrivée de PKP aux commandes. Les courbes soutiennent assez bien ses prétentions. Il ne fait pas de doute que, sur la période, ces entreprises ont créé plus de valeur que Québecor. Entre juillet 2001 et le 8 mai 2013 (départ de monsieur Péladeau), le titre de Québecor a grimpé de 94%, alors que ceux de BCE, Telus et Rogers ont respectivement avancé de 105%, 244% et 428%, calcule le confrère Francis Vailles, de La Presse, dont la dernière chronique est recommandée.
Où on arrête de suivre
C'est néanmoins ici que l'on arrête de suivre.
"C'est une chose bien fallacieuse que le succès, sa fausse ressemblance avec le mérite trompe l'homme", écrit Victor Hugo dans un de ses ouvrages.
Le passage mérite réflexion en tout, et particulièrement lorsque l'on évalue la performance d'un dirigeant d'entreprise.
La cote boursière d'une société est une chose, le défi à relever en est une tout autre.
Il n'est jamais facile de créer de la valeur, mais il est des situations où c'est plus facile que d'autres. Bien loin l'idée de dénigrer les performances des directions de Rogers et Telus (celle de BCE est somme toute comparable à celle de Québecor). Elles sont sans doute pleinement méritées, mais on n'a jamais suivi d'assez près les sociétés.
Ce qui s'est passé chez Québecor est cependant fort intéressant.
À l'époque, le premier grand défi de Pierre Karl Péladeau fut de décider s'il achetait Vidéotron ou pas.
C'était une de ces situations "damned if you do, damned if you don't", comme disent nos amis anglophones. Monsieur Péladeau n'était pas convaincu de l'avenir des médias papiers et des activités d'impression. Il faisait cependant face à un marché des télécom très cher. Qui était en fait en bulle, mais, par définition, une bulle est quelque chose dont on acquiert la certitude qu'après éclatement.
S'il y a une grande erreur que l'on peut lui reprocher, c'est peut-être ici. Le statu quo n'était pas une option, mais peut-être aurait-il dû diversifier dans un secteur moins cher.
Là n'est cependant pas le point de monsieur monsieur Garber, qui fait porter sa critique sur une douzaine d'années de gestion.
Voyons donc voir quel était le défi du gestionnaire Pierre Karl Péladeau lorsqu'il amorça son séjour à la barre de Québecor, après avoir piloté l'acquisition de Vidéotron.
Au mois d'août 2001, un analyste faisait remarquer que la participation de 28,5% de Québecor dans l'imprimeur Quebecor World représentait une valeur de 25,50$ par action de Québecor. Le titre du holding, lui, se négociait à… 25,75$!
Autrement dit, le marché n'attribuait aucune valeur à la division Québecor Media et à Vidéotron. Toute la valeur de Québecor reposait sur World.
World était malheureusement dans une position plus ou moins enviable. Des années de sous-investissements, la plaçait dans une situation compétitive difficile. La décision de monsieur Péladeau fut d'investir assez massivement dans la modernisation des imprimeries.
C'était défendable. Il aurait certes pu choisir de sortir de l'imprimerie, mais pour aller où? Avec l'acquisition de Vidéotron qui demandait beaucoup d'apprentissage et d'énergie, il était somme toute logique que Québecor reste dans son "core business" encore pour un temps. D'autant qu'il n'est pas facile de vendre quand on est le numéro un mondial: il n'y a pas une foule d'opérateurs capables de vous acheter.
Survint, la crise financière de la fin des années 2000. World tomba.
Certains diront que c'est parce qu'elle avait été mal gérée. On ne peut pas totalement écarter la prétention. Mais on a personnellement toujours plutôt considéré que c'est le refinancement de World qui était arrivé à un bien mauvais moment.
Le marché du crédit était en train de geler pour tous, mais on ne s'en rendait pas tout à fait compte (tous les refinancements n'arrivent pas en même temps). Quelques mois plus tard, le refinancement de World se serait probablement opéré. Les bailleurs de fonds étaient à l'époque davantage en mesure de réaliser que le problème n'était pas intimement lié à World mais macro. Le Fonds de solidarité et la Caisse firent notamment preuve dans les mois suivants d'une salutaire audace avec certaines sociétés de Québec inc, et s'exposèrent à des ratios et des risques qui avaient été courus dans le passé, mais que la plupart hésitaient désormais à prendre.
Au final?
Sachant que Québecor World est aujourd'hui disparue, et qu'elle représentait la totalité de la valeur du holding Québecor en 2001, il faut que monsieur Péladeau ait réussi à créer vraiment beaucoup de valeur en télécommunication pour générer un rendement de 94% sur la période. Il devait en outre le faire avec une société très fortement endettée, qui n'avait pratiquement pas de capacité de réinvestissement.
Dans le contexte, la critique de monsieur Garber est fort discutable. Le dragon crache trop vite son feu. Souhaitons qu'il soit moins expéditif et plus clairvoyant dans sa nouvelle émission.
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