ANALYSE DU RISQUE — Les tensions sont plus vives que jamais entre la Chine et les États-Unis dans la Mer de Chine méridionale, où Pékin affirme de plus en plus sa souveraineté sur des îlots de cette zone stratégique. Ce qui accroît le risque d'affrontement entre les deux pays dans la région Asie-Pacifique.
Ce scénario n'est pas de la science-fiction, mais un rique bien réel, soulignent plusieurs analystes. Comme les contacts sont de plus en plus rapprochés entre l'armée chinoise et l'armée américaine (par exemple, le survol d'une zone interdite par la Chine aux avions américains), le risque d'un dérapage à la suite d'un incident est bien réel, affirme The Economist.
L'origine de ce bras de fer? Depuis plusieurs mois, l'armée chinoise construit de manière accélérée des îles artificielles dans la Mer de Chine méridionale, et ce, au grand dam des pays riverains, des États-Unis, et de ses alliés dans la région comme le Japon.
La Chine prétend ne pas avoir de mauvaises intentions.
Pékin affirme ne vouloir que défendre ses intérêts politiques et économiques dans cette partie du monde où transite une partie importante du commerce international.
Bref, il ne faudrait pas s'inquiéter outre mesure, fait valoir le gouvernement chinois.
Une position partagée par certains analystes, ici même au Canada, qui affirment que les critiques des Occidentaux à l'égard de la Chine ne sont qu'une autre manifestation de la peur historique du « péril jaune ».
Cela dit, pour la plupart des spécialistes de l'Asie-Pacifique, Pékin a plutôt commencé à jouer une longue partie d'échecs géopolitique.
Le géant asiatique consteste graduellement l'ordre géopolitique mis en place par les Américains dans cette région après la défaite du Japon, en 1945.
« Il est clair que la Chine est insatisfaite de la domination des États-Unis en Asie de l'Est », déclarait récemment au Devoir Benoît Hardy-Chartrand, spécialiste des questions de sécurité en Asie-Pacifique au Centre for International Governance Innovation (CIGI).
Le président chinois Xi Jinping a même récemment fait allusion à une « Asie pour les Asiatiques ».
Cela ne vous rappelle-t-il rien? Eh oui, je parie que vous avec fait un lien avec les États-Unis. Voici pourquoi.
On ne peut manquer en effet d'y voir un parallèle historique avec la fameuse doctrine Monroe (l'Amérique aux Américains), qui a caractérisé la politique étrangère des États-Unis au 19e siècle et au début du 20e siècle.
Cette doctrine condamnait toutes interventions des puissances européennes dans les affaires des Amériques, car Washington considérait le continent comme sa sphère d'influence.
Il faut toujours être prudent avec les comparaisons historiques. Mais il est difficile ne pas faire de parallèle avec la crise actuelle entre la Chine et les États-Unis, qui pose tout un défi à la paix régionale et mondiale.
Le hic, c'est que ni Pékin et ni Washington ne veut perdre la face ou céder du terrain.
La Chine peut-elle accepter le maintien de l'ordre géopolitique de l'après-guerre, alors qu'elle est devenue une puissance économique, politique et militaire?
Pour leur part, les États-Unis peuvent-ils accepter de quitter graduellement l'Asie-Pacifique, comme l'ont fait les puissances européennes dans les Amériques, au 19e et au début du 20e siècle?
Difficile de répondre positivement à ces deux questions, d'où la complexité de cette crise qui pourrait durer très longtemps.
Chose certaine, le statu quo est « probablement insoutenable », faisait récemment remarquer avec justesse le Financial Times de Londres.
Quel est le juste milieu?
Un ordre géopolitique à mi-chemin entre la Pax Americana et la Pax Sinica?
Et si Pékin et Washington ne veulent pas vraiment se faire la guerre (du moins pour l'instant), pourront-ils du reste l'éviter à long terme?
Historiquement, la montée d'une nouvelle puissance a provoqué la plupart du temps une guerre, car l'arrivée d'un nouveau joueur sur l'échiquier géopolitique entraîne une résistance des puissances dominatrices.
C'est ce qui s'est passé au 20e siècle, avec le déclenchement de la Première, mais surtout de la Deuxième Guerre mondiale, rappellent les historiens.
La montée en puissance de l'Allemagne et du Japon a provoqué un affrontement avec les puissances dominantes de l'époque, soit la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.
La rare exception est la montée en puissance des États-Unis au 19e siècle et au début du 20e siècle.
Les puissances européennes l'ont acceptée parce que les États-Unis appartenaient à la même civilisation qu'elles (la civilisation occidentale) et que la nation américaine était aussi une démocratie.
Or, les spécialistes en relations internationales soulignent que les démocraties se font rarement la guerre, même s'il y a des exceptions comme la guerre anglo-américaine de 1812, qui a opposé les États-Unis à l'Empire britannique (incluant le Canada).
Quant à la Chine et aux États-Unis, ces deux pays appartiennent à deux civilisations différentes. De plus, la Chine communiste est un régime autoritaire, tandis que les États-Unis sont une démocratie.
Mais si les États-Unis et l'ex-URSS ont pu éviter de s'affronter directement durant la guerre froide, les États-Unis et la Chine peuvent aussi y arriver, font remarquer des analystes.
Une guerre sino-américaine n'est donc pas inévitable, mais le risque est réel.