Ce que je retiens de 2017 du point de vue de mon domaine de couverture?
L’emploi de plus en plus fréquent du mot «impact» dans le discours des gens d’affaires québécois.
L’univers de l’innovation sociale, que je couvre depuis cinq ans, l’utilise depuis longtemps déjà. C’est le moteur de ceux et celles qui cherchent des solutions durables aux grands enjeux de la planète. Cette préoccupation fait son chemin chez les organisations traditionnelles. Cela s’explique par plusieurs facteurs: la quête de sens des employés, le besoin de gagner l’adhésion sociale de la population, la nécessité de se différencier, la pression d’avoir une bonne histoire à raconter, etc.
Et si, au lieu de confier à un département (celui de la responsabilité sociale ou de la philanthropie) la tâche de réparer les dommages causés par le reste de l’organisation, on imaginait un modèle d’affaires qui génère un impact positif à travers les activités régulières?
Et on se demandait comment l’expertise de notre entreprise peut contribuer à régler des enjeux sociaux et environnementaux tout en générant des revenus récurrents?
C’est le concept d’impact appliqué aux affaires. Il s’agit de l’effet positif des décisions et des actions de l’organisation sur la société.
Comment cette idée d’impact évoluera-t-elle en 2018?
J’ai posé la question à trois intervenants qui appliquent ce concept au quotidien. Du Desjardins Lab: Clélia Cothier, connectrice sociale, et Ilias Be, catalyseur d’innovation ouverte. De Credo, Yann Pezzini, conseiller stratégique en impact social. Et j’y ai ajouté mes propres réflexions issues de mes lectures, rencontres et entrevues de l’année.
Cinq tendances de l’univers de l’impact1- L’impact créateur de valeur
En affaires, il faut créer de la valeur. Jusqu’à présent, les entreprises ont adopté une stratégie simple: vous vendez un produit ou un service qui génère des revenus. Votre gestion des coûts crée de la valeur en dégageant des profits.
Le concept d’impact élève la création de valeur à un autre niveau. Et si votre produit ou votre service était si nécessaire, s’il avait un tel impact positif sur la société, qu’il devenait incontournable? «On peut avoir une stratégie à court terme et faire de bonnes affaires, estime Clélia Cothier, du Desjardins Lab. Mais en injectant un impact social positif aux activités quotidiennes, on pérennise l’organisation.»
On assiste d’ailleurs à une multiplication d’ateliers et de séminaires où les entreprises s’inscrivent pour réfléchir à leur mission et à leur modèle d’affaires de façon plus holistique: d’un point de vue financier, social et environnemental. En 2017, Montréal est devenue la 101e ville à joindre le réseau Impact Hub avec une communauté au Salon 1861 sous la direction de Lotfi El-Gandhouri. Du côté de l'Esplanade, on amorce une autre édition du programme Impact 8 qui accompagne les entreprises désireuses d'aligner impact sociétal et modèle d’affaires, mission et profit, explique David Santelli, stratégie chez Rhizome et coach pour Impact 8.
L’édition 2017 du Coopérathon, par exemple,(ce défi où des professionnels travaillent en équipe bénévolement pour trouver des solutions technologiques à des enjeux sociaux ou environnementaux) a ajouté la catégorie «startups d’impact» pour les jeunes pousses désireuses d’apporter un impact social positif et durable à travers leurs activités.
Seize entreprises se sont inscrites à ce parcours. Certaines avaient une mission sociale au cœur de leur projet et souhaitaient solidifier le volet financier. Pour d’autres, c’était l’inverse. « En combinant l’aspect économique et l’aspect social, l’un devient un levier pour le succès de l’autre, souligne Ilias Be, du Desjardins Lab. Lorsqu’une entreprise fait du bien à la société à travers ses activités quotidiennes, elle se fait du bien à elle-même. Intégrer l’impact au modèle d’affaires force un examen plus holistique de l’organisation, pérennise celle-ci et facilite le storytelling. Il en résulte une création de valeur durable.»
Évidemment, comme toute tendance, on n’est jamais loin du blanchiment. Des glissements et des abus, il y en aura. Injecter un impact social positif à un modèle d’affaires existant ne se fait pas en criant «lapin».
2- Le progrès technologique, pour qui?
«On observe un scepticisme sain face aux nouvelles technologies, constate Yann Pezzini, de Credo. Quelle société ce progrès construit-il? Le rôle de la technologie est-il simplement d'apporter plus d’efficience dans la société ou bien, par exemple, de faciliter la démocratie, de retisser les liens sociaux? Yann cite, entre autres, les sorties publiques d’anciens dirigeants de Facebook sur les effets néfastes à long terme de cette plateforme.
«Des débats constructifs ont lieu autour de l’impact du secteur de l’intelligence artificielle (IA), poursuit Yann. L’apprentissage machine, par exemple, accentuera-t-il la concentration de la richesse? Et qu’en est-il de l’influence de l’IA sur la génération de fausses nouvelles et la diffusion de rumeurs? Comment s’assurer que l’IA n’accentue pas la culture de l’instantanéité, qu’elle ne réduise pas l’espace pour une argumentation rigoureuse reposant sur des faits?»
On questionne aussi le concept de ville intelligente. Sert-elle vraiment les collectivités qui y habitent?3- Du concret svp!
2017 a vu se multiplier les prises de position de dirigeants et de marques sur les questions sociales. Sophie Brochu, d’Énergir, a évoqué à maintes reprises la nécessité de réinventer le capitalisme. Guy Cormier, de Desjardins, a incité les gens d’affaires à contribuer à aplanir les inégalités en parlant de prospérité partagée. Louis Audet, de Cogeco, a insisté sur la responsabilité des gens d’affaires de contribuer au débat public.
«2018 sera-t-elle l’année du passage à l’action et de la cohérence entre les paroles et les gestes?», soulève Yann Pezzini. Il cite la popularité croissante de la certification B Corp, qui force l’entreprise à évaluer le fonctionnement de tous ses départements en fonction de critères financiers, sociaux et environnementaux. Cette certification, renouvelable aux deux ans, exige de la constance et de la discipline. À chaque renouvellement, il faut obtenir un pointage plus élevé. «Une quarantaine d’entreprises québécoises en démarrage ont exprimé leur désir d’entamer ce processus de certification », poursuit Yann.
4- Mon impact, ton impact, notre impact…
Le 15 novembre 2017, on annonçait le lancement de Co-Impact, une initiative regroupant de grandes fondations philanthropiques comme Rockfeller, Skoll et Bill and Melinda Gates. Ensemble, ces fondations investiront 500M$US dans trois secteurs: la santé, l’éducation et l’égalité des chances (economic opportunity). Ces fondations se regroupent avec l’intention de générer un impact systémique.
Peut-on imaginer d’autres collaborations génératrices d’impact systémique? «Si l’univers de la finance sociale et celui de la fintech se rapprochaient, la société y gagnerait, estime Clélia Cothier. Quand on y pense, plusieurs produits fintech visent à démocratiser la finance et l’investissement. C’est tout à fait l’état d’esprit de la finance sociale.»
Difficile aujourd’hui de parler d’impact positif sans évoquer la collaboration. Les acteurs se sont multipliés et les enjeux sociaux et environnementaux sont énormes. Pour en avoir une idée, je vous invite à jeter un œil aux 17 objectif de développement durable établis par les Nations Unies.
L’impact social a longtemps été l’apanage des OBNL. Depuis quelques années, les entrepreneurs sociaux ont joint le mouvement. Aujourd'hui, le secteur privé de s’y intéresse aussi. Cette multiplication d’acteurs engendre un nouveau rôle: les connecteurs. Un mandat aussi stimulant qu’inconfortable.« On ne fait partie d’aucun monde, confie Clélia Cothier. Trop sociaux pour le secteur privé. Trop corporatistes pour le secteur social… » Ilias Be ajoute, «Parfois, on se sent comme des parias… »
Le sentiment de Clélia et Ilias incarne l’enjeu de toute collaboration, « Il faut se donner un langage et des objectifs communs. Chez les acteurs de l’écosystème d’impact, c’est loin d’être chose faite», constate Yann Pezzini.
On garde un œil sur l’initiative Impact City, lancée en novembre 2017. Elle testera la maturité de l’écosystème d’impact montréalais. Ce projet, piloté par Credo, veut déterminer les indicateurs associés à une ville d’impact pour ensuite mesurer où Montréal, et d’autres métropoles, se situent par rapport à ces indicateurs. Pour y arriver, il faudra que les intervenants (fondations, accélérateurs d’impact, entreprises, OBNL) s’entendent.
5- De la charité à l’investissement
«Nos clients du secteur philanthropique souhaitent avoir un impact plus mesurable et significatif, reposant sur des données. Ultimement, cela implique de mesurer et communiquer son impact plutôt que sa performance», constate Yann Pezzini. La performance se mesure en dollars attribués annuellement à des causes caritatives. L’impact présente le changement qui résulte de l’injection de ces dollars. En quoi l’argent a-t-il amélioré la vie, la santé ou le niveau de bonheur des bénéficiaires?
Ce virage pose un casse-tête aux OBNL. Comment démontrer qu’en offrant un petit déjeuner ou de l’aide au devoirs à des enfants de 3e année on augmente leur chance de décrocher leur diplôme de secondaire dans huit ans? De plus en plus d’OBNL et d’entreprises sociales s’associent à des chaires universitaires pour trouver des éléments de réponse.
Le mot de la fin
«Comme individu et comme entreprise, nous sommes tous des sources d’externalités positives et négatives. Il nous reste à trouver comment bouger l’aiguille du côté positif.» Clélia Cothier
C’est ce que je nous souhaite tous pour 2018.
Joyeux fêtes, remplies d'amour et de bulles!