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Quand des entreprises prospères disparaissent

Par Danièle Henkel


Édition du 15 Novembre 2014

En parcourant la presse, en écoutant les nouvelles ou même lors de mes rencontres avec certains acteurs du monde des affaires, je suis toujours étonnée, pour ne pas dire effarée, de la facilité avec laquelle nous jonglons avec les millions et les milliards. Une véritable valse des zéros et des coûts vertigineux qui me semblent trop souvent incompatibles avec un chiffre plus facilement vérifiable... nous ne sommes que huit millions d'habitants au Québec, et ce sont souvent nos taxes qui viennent financer ces projets pharaoniques. J'ai parfois l'impression que le niveau d'expertise des différents intervenants n'est plus évalué en fonction de la qualité de leurs prestations, mais plutôt en fonction du coût et du délai de réalisation d'un projet. Plus c'est cher, plus c'est long et compliqué à réaliser, et plus c'est bon !


Qui ne se souvient pas du coût insensé du programme d'informatisation de notre réseau de soins de santé ? Du gâchis occasionné par la destruction du registre des armes ? Des 14 millions de dollars engloutis par le site Internet de la SAQ ? On croit rêver, pourtant ce n'est que triste réalité, et, comme souvent, une fois ces chiffres connus et commentés, nous sommes passés à autre chose.


Alors que le Québec doit composer avec une dette qu'il traîne comme un boulet depuis des années, la tendance est à la rigueur et aux compressions budgétaires. Malheureusement, alors que me reviennent en mémoire les cas ci-dessus cités, c'est finalement aux services destinés aux citoyens qu'on préfère s'attaquer... aux garderies, à l'éducation, au régime de soins de santé, ou encore au transport, avec l'instauration future de différents péages et possiblement de nouvelles taxes. Des mesures qui frappent de plein fouet la culture, le bien-être et le pouvoir d'achat des uns et des autres. Ce qui n'est pas sans conséquence sur l'essor économique de la province.


Les entrepreneurs ne sont pas épargnés. Bon nombre de travailleurs indépendants, de PME et de grandes entreprises peinent à garder la tête hors de l'eau, sans parler de celles qui, ignorées par la une des médias, disparaissent discrètement chaque jour.


Créateurs plutôt que repreneurs


Le ralentissement des affaires n'est pas toujours la cause de ces fermetures. Le Québec fait face également à un véritable problème de relève entrepreneuriale, puisque la moitié de ceux qui songent à partir à la retraite préfèrent fermer les portes de leur entreprise plutôt que d'essayer de la vendre. C'est ainsi que le gouvernement du Québec prévoit que d'ici 2018, l'entrepreneuriat diminuera de près de 14 %. Non pas que la fibre entrepreneuriale n'existe pas au Québec, bien au contraire ! Chaque jour, je rencontre des gens, la tête pleine de projets et prêts à se lancer en affaires, mais... en créant leur propre entreprise, plutôt qu'en en reprenant une !


Même si les entrepreneurs sonnent l'alarme depuis un bon moment, l'impact économique que représentent la relève et le transfert d'entreprise a été trop longtemps occulté. Cet impact frappe doublement l'économie des régions, puisqu'avant même de prendre la décision de mettre la clé sous la porte, une personne qui approche de la retraite aura tendance à assurer le maintien de son entreprise plutôt que de développer de nouveaux marchés, d'innover ou d'augmenter sa productivité. Du coup, plus les propriétaires actuels tardent à transférer leur PME, plus l'économie se voit privée d'une injection de capitaux et d'une croissance cruellement nécessaires.


Faut-il rappeler que le tissu entrepreneurial québécois est composé à plus de 99 % par des PME qui génèrent la moitié du PIB et contribuent au maintien de près de 60 % des emplois ? L'absence de relève et la disparition de ces PME seront d'autant plus graves que cette situation risque de se produire dans l'ensemble des régions du Québec, alors même qu'on estime que d'ici 10 ans, nous aurons un déficit de près de 40 000 repreneurs.


Les entrepreneurs prennent de plus en plus conscience du fait que le transfert d'entreprise se prépare de façon graduelle et qu'il faut de deux à huit ans pour qu'il réussisse. Un véritable défi pour lequel ils ont besoin d'aide.


Encourager la relève et le transfert des entreprises, c'est contribuer au maintien des emplois dans les régions, mais c'est aussi assurer une certaine pérennité du tissu entrepreneurial québécois afin de favoriser la croissance économique et la compétitivité du Québec. Cette responsabilité, les entrepreneurs estiment qu'ils doivent la partager avec le gouvernement, alors même que pour beaucoup de ces entrepreneurs, elle ne semble pas être une priorité pour celui-ci, même si diverses mesures gouvernementales existent. Probablement pas suffisantes, et en tous cas la plupart du temps méconnues.


Pour assurer la pérennité de leur entreprise, ces propriétaires ont bien sûr besoin de conseils et d'accompagnement, mais aussi d'aides financières sous forme de subventions, de mesures fiscales ou encore de financement. S'ils préfèrent avoir recours à des professionnels et à des spécialistes pour les accompagner dans leur processus de transmission, ils espèrent aussi pouvoir compter sur une aide gouvernementale pour les appuyer et soutenir la démarche des repreneurs. Éponger une dette et retrouver un bon équilibre passe aussi par la croissance, et au strict minimum, par le maintien de celle-ci. Il semble qu'on veuille plutôt privilégier les augmentations de taxes et autres péages et les compressions budgétaires tous azimuts. Encore faut-il qu'elles soient faites aux bons endroits !


Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.