Il y a quelque temps, j'évoquais dans cette même tribune mon désaccord avec la hausse du coût des garderies. Je suis même persuadée qu'une gratuité de ce service serait beaucoup plus rentable pour le gouvernement, et surtout pour notre économie, même à court terme. Depuis, les coupes budgétaires se poursuivent et elles n'épargnent ni les soins de santé, ni les commissions scolaires, ni la télévision publique, ni même les CLD, et j'en passe...
Cette politique de soi-disant rigueur pourrait paraître noble et indispensable si elle était animée par une réelle vision de ce que devrait être le Québec de demain. Ce n'est pas le cas. La vision de notre gouvernement semble se limiter à un mandat au terme duquel il veut à tout prix présenter une réduction de la dette et des comptes équilibrés, peut-être dans le seul objectif d'être réélu. Il est plus facile d'effectuer des compressions budgétaires dont les résultats sont immédiatement quantifiables que d'investir dans une politique de relance économique véritable dont les effets ne se feront sentir que dans quelques mois ou quelques années, mais qui sera solide et durable.
Malheureusement, cette attitude n'est pas propre au parti libéral ni au gouvernement actuel. Elle est devenue une ligne de conduite pour la plupart des partis. J'avoue regretter l'ère des grands hommes politiques, les vrais. Ces tribuns qui, portés par une grande idée du Québec et une vision largement ouverte vers l'avenir, savaient soulever les foules et susciter les passions. On se souviendra d'eux comme des visionnaires, fiers de leur province et capables de grandes réformes...
Et si 70 000 femmes abandonnaient leur emploi ?
Pour en revenir aux CPE et à cette décision gouvernementale qui consistera à moduler le prix en fonction du revenu des parents, j'entrevois là une déviation très dangereuse de nos modes de fonctionnement, et surtout, je redoute un impact très négatif sur notre économie et sur le dynamisme de nos entreprises. Les foyers qui disposent des revenus les plus élevés contribuent déjà largement au financement des CPE par l'intermédiaire de leurs impôts, et ce, même et surtout s'ils n'ont pas d'enfants. Et s'ils en ont et que leurs tout-petits sont en âge de fréquenter ces garderies, c'est quasiment une double facturation qui leur sera imposée. Autre motif d'inquiétude, compte tenu du faible pourcentage de Québécois qui ont des revenus supérieurs à 100 000 $ par an, c'est essentiellement la classe moyenne qui fera les frais de cette politique qui pourrait s'avérer rapidement très préoccupante.
Imaginez un seul instant une famille de classe moyenne de trois enfants, installée sur la Rive-Sud et dont les deux parents travaillent à Montréal avec des horaires différents... Il lui faudra débourser de 3 000 à 6 000 $ de frais de garderie par an. Somme à laquelle s'ajouteront les frais inhérents aux véhicules et aux futurs péages qu'on ne manquera pas de nous imposer un jour ou l'autre pour franchir le fleuve. Conséquence probable : nombre de femmes préféreront rester à la maison et s'occuper de leurs enfants. Un effet contraire à celui obtenu à l'instauration des garderies à 5 $, qui avait permis à 70 000 femmes de rejoindre le marché du travail. À moins que les familles ne décident tout simplement d'abandonner leur rêve d'avoir un enfant de plus. Un comble, dans une province à la population vieillissante et qui affiche un net déficit de natalité.
À l'encontre des règles élémentaires
Ce qui m'inquiète le plus, c'est que cette proposition ouvre la porte à un système qui, si on l'accepte, nous ferait payer un service ou un produit, non pas en fonction de sa qualité ou de ses bénéfices, mais en fonction de notre capacité de le payer. Une décision politique qui va à l'encontre des règles les plus basiques de l'économie, du commerce et de la concurrence.
Imaginez un seul instant, et ce n'est pas de la science-fiction, que demain vous soyez obligés d'acheter un produit ou un service à un prix établi en fonction de votre déclaration de revenus... L'essence, le câble, votre abonnement téléphonique, vos assurances, et pourquoi pas votre pain et votre lait ! Pourquoi voudriez-vous que des gens se surpassent pour réussir si à la fin du mois, il ne leur en reste pas plus dans la poche que dans celle de leur voisin qui se contente de se laisser vivre. Pourquoi voudriez-vous que nos jeunes fassent des études supérieures, en ayant même parfois du mal à les financer, si en fin de compte ils ne vivent pas mieux que cet autre qui a décroché dès le début du secondaire ? Ce serait balayer d'un revers de main des valeurs aussi précieuses que l'ambition, le travail, la persévérance, l'envie de réussir, ou encore cet esprit entrepreneurial que l'on se bat pour éveiller.
Bien sûr, il y a la vocation. Bien sûr, il y a l'estime de soi... Mais que diable ! Allons-nous enfin avoir un jour l'honnêteté de parler positivement d'argent ? Que ce soit clair, ce n'est pas à la richesse que je fais allusion. Gagner plus d'argent n'est plus un luxe aujourd'hui, c'est devenu une nécessité. Et dans le cas de l'entrepreneur, l'argent n'est qu'un outil qui lui permettra d'investir, de développer des ressources qui le rendront plus concurrentiel, et probablement de mieux rémunérer ses collaborateurs. Mais à quoi cela servira-t-il, si...
En regardant nos jeunes grandir, on ne peut s'empêcher de les imaginer dans 10 ou 20 ans, évoluant dans un Québec que nous souhaitons en paix, créatif, dynamique et prospère. Cette vision n'est pas idéaliste, nous avons tout pour la concrétiser. Malheureusement, la vision de nos politiciens est un peu plus terre-à-terre et un peu plus limitée dans le temps. Seule la réussite de leur mandat semble importante. Pour la grandeur du Québec, on verra ça plus tard, peut-être !
Joyeux temps des fêtes, chers lecteurs !
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.