Une des choses les plus pénibles pour un chroniqueur comme moi qui écrit régulièrement depuis des années est de relire ses vieux textes. C'est une façon de développer une bonne dose d'humilité.
Par exemple, il y a plus de 15 ans, j'ai écrit un texte élogieux sur la société Semi-Tech, un conglomérat dont le siège social était situé à Toronto, mais dont une grande partie des activités se déroulaient en Asie. Quelques années plus tard, son président est «disparu dans la brume», laissant les actionnaires avec une perte totale.
Malheureusement, ce genre d'erreur est pratiquement inévitable pour un chroniqueur, un peu comme c'est le cas pour un investisseur. Vous écrivez sur tellement de sociétés qu'inévitablement une fois ou deux (hum, soyons peu modeste), vous commettrez une mégagaffe !
Toutefois, ce n'est pas ce genre d'erreur que je veux confesser cette semaine. C'est davantage une erreur dans mon approche qui a biaisé un grand nombre de mes chroniques. C'est mon attitude généralement négative à l'égard des acquisitions.
Pendant de nombreuses années et jusqu'à récemment, lorsque j'ai écrit à ce sujet, c'était souvent pour les décrier, en soulignant les risques et les coûts élevés des transactions. Toujours en me montrant sceptique à l'égard des chances de réussite.
Mes débuts
Et ce travers de chroniqueur n'est que le reflet de ce même biais chez l'investisseur que je suis. Celui-ci se retrouve aussi dans mes deux livres sur la Bourse. Par exemple, j'ai écrit en page 91 de mon premier livre Investir à la Bourse et s'enrichir : «La croissance par acquisitions est suspecte et je vous conseille de vous en méfier.»
Cela vous donne une idée.
Ce préjugé tenace envers ce type de transaction a probablement pris naissance lors de mes premières années comme journaliste. J'ai commencé en 1986, en pleine euphorie REA et au coeur d'un marché haussier. Quelques mois plus tard, le krach brisait bien des rêves d'épargnants qui croyaient qu'il était facile de faire de l'argent en Bourse. Plusieurs entreprises se sont également heurtées à un mur.
Je me souviens d'une société nommée Groupe Soficorp qui a fait un premier appel public à l'épargne au début de 1987 pour ensuite réaliser de nombreuses emplettes dans plusieurs secteurs sans lien les uns avec les autres. Quelques mois plus, Soficorp ne s'échangeait plus en Bourse.
Pendant ce temps ailleurs, au Canada, un Robert Campeau achetait coup sur coup deux immenses entreprises immobilières américaines avant de dégringoler vers la faillite quelques semaines plus tard.
Ces exemples, pour un jeune chroniqueur qui commence et veut comprendre, ont été marquants. Ces expériences liées aux acquisitions stupides du cycle précédent ont contribué à forger ma vision. Comme j'ai voulu établir une philosophie prudente et conservatrice, j'ai cherché à diminuer les risques en demeurant sceptique à l'égard des acquisitions.
Cela ne veut pas dire que j'étais complètement réfractaire aux entreprises qui bouclaient des transactions. Mais elles me laissaient incrédule.
Ça a été une erreur car, il faut bien l'avouer, la plupart des sociétés qui ont crû pendant plusieurs décennies y sont parvenues grâce aux acquisitions.
L'exemple classique est celui de Johnson & Johnson, le géant américain des produits pharmaceutiques et de santé qui, après 128 ans, est devenu un regroupement de plus de 275 sociétés exploitées dans 60 pays. Un modèle impossible à répliquer sans passer par les acquisitions.
Les exemples de Berkshire et Quincaillerie Richelieu
L'autre exemple est encore plus près de moi : il s'agit de celui de Berkshire Hathaway, la société dirigée par Warren Buffett. Ce dernier a bâti son conglomérat à coup d'investissements brillants, certes, mais aussi et surtout par des acquisitions fort payantes à long terme.
En fait, je me suis rendu compte que les achats sont seulement le reflet des valeurs et de la compétence des directions. Chez certains dirigeants, elles ne sont que l'occasion de faire du bruit et de grossir, sans qu'ils aient vraiment l'authentique souci d'enrichir leurs actionnaires. Chez les meilleurs, bien acquérir est quasiment une religion, tellement ils appliquent un processus rigoureux, uniquement pour croître de façon rentable.
Là encore, il y a d'autres exemples près de moi, dont le plus percutant est probablement celui de Quincaillerie Richelieu. J'ai rarement vu une direction aussi disciplinée et systématique dans son processus d'acquisition. En 25 ans, le distributeur de quincaillerie spécialisée de l'arrondissement Saint-Laurent, à Montréal, a réalisé 49 achats, d'abord pour s'étendre un peu partout au Canada et, plus récemment, afin de prendre de l'expansion sur le marché américain.
Ces acquisitions peuvent être très petites, mais elles étendent toujours plus la portée de Richelieu, que ce soit en matière d'offre de produits, sur le plan géographique, ou les deux.
Jamais ses revenus n'auraient pu être multipliés par 20 depuis 25 ans sans la contribution de celles-ci. Elles sont donc un mode de croissance et de développement important.
Cela dit, c'est une stratégie qui comporte de nombreux risques. Souvent, plus l'achat est important, plus les risques sont élevés. Ce n'est toutefois pas une raison pour avoir une attitude fermée, car les bons dirigeants savent gérer les risques relatifs.
En fait, à titre d'investisseur, il est préférable d'analyser les acquisitions une par une et de faire du cas par cas, comme on le fait avec chaque titre boursier.
Cinq grands classiques sur la Bourse
Si je devais choisir les cinq meilleurs livres sur la Bourse, je me concentrerais sur les grands classiques. Ainsi, le premier serait The Intelligent Investor de Benjamin Graham, suivi de Common Stocks and Uncommon Profits, de Philip A. Fisher. Ensuite, il y a le meilleur livre de Peter Lynch intitulé One Up On Wall Street. Ces trois livres sont incontournables, et tout investisseur devrait les avoir lus au moins une fois. Je recommanderais en quatrième place The Money Masters, de John Train, et, au cinquième rang, le premier livre de Robert Hagstrom, The Warren Buffett Way.
Chroniqueur