Warren Buffett est bien connu pour ses rendements exceptionnels. Ce qui est moins évident et moins connu, c'est qu'il devrait l'être aussi pour ses erreurs, qui lui ont coûté des milliards de dollars.
Dans ma dernière chronique, j'ai écrit que les investisseurs devraient s'en tenir aux sociétés tout simplement supérieures. C'est vrai, sauf que cela amène plusieurs investisseurs à rechercher des «aubaines», des titres déprimés de sociétés de qualité médiocre, voire douteuse.
Ils sont nombreux d'ailleurs qui ne l'admettront jamais, rationalisant titre après titre que la qualité, c'est important, mais pas au-delà d'un certain prix.
Des erreurs coûteuses
Il n'y a pas de meilleur exemple que celui de Warren Buffett, d'abord parce qu'il a appris de Benjamin Graham, le père de l'analyse fondamentale et le père spirituel de tous les soi-disant chasseurs d'aubaines. De plus, M. Buffett a fait ses premiers millions grâce à cette approche, en raison de son génie et aussi de son travail acharné.
Enfin, il a reconnu publiquement les faiblesses de cette approche et il a changé, pour devenir un investisseur encore plus brillant et plus riche aussi !
Warren Buffett a appris, mais il lui a fallu bien des années et des expériences négatives. Son erreur la plus grave et la plus coûteuse a été de prendre le contrôle de Berkshire Hathaway en 1964, une société en déclin active dans le textile. La seule chose qui attirait M. Buffett était l'évaluation déprimée de Berkshire, le titre se vendant à escompte par rapport à sa valeur comptable.
Vous me direz qu'il s'est servi de Berkshire comme tremplin pour bâtir un conglomérat extraordinaire, qui a enrichi de très nombreuses personnes. Vous aurez raison, mais vous oubliez qu'au lieu de perdre 20 ans à essayer de rentabiliser les activités de textile, il aurait pu tout aussi bien emprunter du capital pour acheter sa première compagnie d'assurance, National Indemnity en 1967, qui a été le véritable tremplin de Berkshire Hathaway.
Selon Warren Buffett, cette erreur lui a coûté au bas mot 200 milliards de dollars américains.
D'autres exemples éloquents
Il n'y a pas que M. Buffett qui se soit entêté avec de supposées aubaines. Les exemples sont nombreux et tellement éloquents. J'en mentionnerai seulement quelques-uns, comme celui de Bill Nygren, célèbre gestionnaire, qui a investi plus de 15 % de son fonds dans la financière Washington Mutual, principalement parce que le titre se négociait à 7 ou 8 fois les bénéfices. C'était en 2007 et 2008, avant que la société ne soit rachetée, pour la sauver de la faillite. Cette erreur de M. Nygren a failli lui coûter sa carrière.
Bill Miller, à la tête du fonds Legg Mason Value Trust, a acheté 32 millions d'actions d'Eastman Kodak en 2000 et 2001 et les a gardées jusqu'en 2011. Il a perdu plus de 500 M $ US en regardant son «aubaine» se diriger lentement mais sûrement vers la banqueroute.
Enfin, Mason Hawkins, fondateur des fonds Longleaf, a acheté 44 millions d'actions de General Motors, à partir de 1999, lorsque le titre se vendait à environ 41 $ US. Pourtant, le déclin de ce constructeur automobile depuis les années 1960 était on ne peut plus évident. M. Hawkins a conservé ses actions jusqu'en 2008, quand il les a vendues à environ 12 $ US chacune...
Les aubaines ou le long terme, pas les deux !
Ce sont des investisseurs brillants (c'est peut-être là une partie du problème), et malgré leur expérience, ils sont pratiquement incapables de résister au piège que représente l'achat d'une société médiocre parce qu'elle se vend à prix supposément réduit.
Il ne faut pas se leurrer : qui peut prétendre qu'on peut conserver des actions de GM pendant de nombreuses années ? On peut juste acheter ce titre en se disant qu'il est sous-évalué actuellement et qu'on le revendra lorsqu'il sera bien évalué. Ce qui me fait dire que vous ne pouvez pas être à la fois un chasseur d'aubaines et un investisseur à long terme.
La chasse aux aubaines est un piège et une erreur, parce qu'elle fait passer le prix payé avant l'aspect le plus important, soit la qualité fondamentale de la société. Oui, le prix est important, mais il doit toujours être secondaire. Vous faites mieux de payer un peu plus cher pour une entreprise de grande qualité que de payer peu cher pour une société moche.
Je sais que plusieurs me diront que payer trop cher mène au désastre.
C'est en effet une erreur de payer «trop» cher. Mais je suis également convaincu qu'il se perd encore plus d'argent dans cette illusoire course à l'aubaine.
En terminant, si c'est difficile d'apprendre la leçon de la qualité, ce n'est pas parce que l'idée est si complexe. Non, c'est parce qu'elle va contre nos convictions profondes, plusieurs investisseurs sérieux étant des gens d'une grande frugalité, axés sur l'épargne. Ils ont l'habitude de ne jamais vouloir payer le plein prix lorsqu'ils achètent un bien ou un service.
Or, cette habitude, qui devient chez plusieurs une seconde nature, est un piège et une erreur à la Bourse.
Bourse: Un discours rafraîchissant
Il fait bon d'entendre Michael Sabia, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, dénoncer les investisseurs qui privilégient trop souvent le rendement à court terme. C'est rafraîchissant ! «Les marchés sont dominés par ceux qui sont à la recherche de rendements trimestre après trimestre, a-t-il dit le 26 novembre devant le Club canadien de Toronto. Des investisseurs dont la seule préoccupation consiste en des gains rapides.» Le discours du grand patron de la Caisse est crucial, car ce sont les investisseurs de ce genre qui peuvent provoquer de vrais changements positifs sur les marchés. Je pense notamment à la régie d'entreprise, et en particulier aux abus dégoûtants dans la rémunération des dirigeants.