Le design ne sert pas qu'à faire joli. Il peut également aider les organisations à trouver de nouvelles voies de développement, grâce au design thinking. Voici trois cas québécois.
Le design thinking ? C'est une inversion complète de notre façon habituelle d'aborder une problématique. Normalement, on constate qu'on a un problème et on se réunit à plusieurs pour trouver la meilleure solution. Là, on se demande plutôt pourquoi on a un problème, pour en arriver à répondre aux véritables besoins. C'est penser autrement pour innover.
Un exemple classique : un jour, un cabinet de dentistes a demandé à une agence de design de rendre plus agréable sa salle d'attente, en en redessinant le mobilier. Les designers se sont rendus sur place et ont observé les gens qui attendaient. Puis, ils ont réfléchi et sont revenus vers leur client non pas avec des croquis, mais avec une question déstabilisante : «Au fait, pourquoi les gens restent-ils si longtemps dans votre salle d'attente ?» De là, ils ne se sont plus attachés à moderniser le mobilier, mais à améliorer le fonctionnement interne de l'équipe de dentistes. Résultat ? Le temps d'attente a été considérablement réduit, et tout le monde en a été ravi.
1. Réinventer Montréal
Mission : Donner un nouvel élan à Montréal, à l'occasion des élections municipales de novembre prochain.
Observation : L'année dernière a été marquée par les scandales à répétition dans la politique municipale, en particulier à Montréal. Olivier Pellerin, architecte et directeur du groupe ID de la Jeune Chambre de commerce de Montréal (JCCM), a vu là une occasion inespérée de changer les choses, en impliquant davantage les jeunes dans le futur de la métropole.
Réalisation : M. Pellerin s'est souvenu d'une belle expérience lors de ses études à McGill : un projet de silo à grains l'avait amené à rencontrer nombre de gens sur le terrain, ce qui avait considérablement influencé le résultat final ; et il s'était alors dit qu'une tête de designer seule ne suffisait jamais. D'où son intuition qu'il fallait consulter d'autres personnes, d'une manière originale pour obtenir des idées originales.
Il en a parlé à Francis Gosselin, président de F. & co, une agence de conseil en management stratégique. Ils en sont arrivés à la conclusion qu'il fallait miser sur la fougue et l'ingéniosité de la jeunesse, et donc organiser une rencontre avec des membres de la JCCM, à nulle autre pareille.
Le 29 avril, une quarantaine d'entre eux se sont ainsi retrouvés dans une salle du Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal. Au programme : séance de yoga . «Rien de mieux pour libérer l'esprit après une journée de travail», indique M. Pellerin. «Ce procédé permet de mettre le cerveau de chacun en mode collectif, et non plus en mode individuel. Il ouvre l'esprit à la nouveauté.»
Aussi, jeu avec des Lego pour illustrer des idées de projets susceptibles de dynamiser Montréal : «Les uns et les autres étaient eux-mêmes surpris par leurs propositions», dit M. Gosselin, qui animait la soirée.
Résultat : Neuf projets ont été présentés. De ceux-ci, on a tiré neuf propositions concrètes destinées aux candidats à la mairie de Montréal. Cela va de l'installation d'un vaste réseau Wi-Fi dans les lieux publics à l'électrification de l'ensemble des transports en commun, en passant par l'imposition d'un pourcentage de la superficie des bâtiments du centre-ville consacrée aux garderies. Les politiciens doivent y répondre dans les prochaines semaines.
2. Conquérir de nouveaux marchés
Mission : Permettre à Technomarine, une entreprise de fabrication de quais de marina établie à Repentigny, de viser des marchés plus lucratifs.
Observation : En 2008, Claude Barbeau, le propriétaire de Technomarine, voulait une nouvelle gamme de produits plus performants et plus design afin de pouvoir viser de nouveaux marchés. Il a eu recours à Messier designers.
Réalisation : Le pdg de Messier designers et son équipe ont effectué des entrevues avec l'ensemble du personnel ainsi qu'avec certains clients, partenaires et même concurrents (de manière incognito). Ils ont analysé les données financières disponibles sur le secteur. Et ont organisé des groupes de réflexion.
Il en est ressorti que l'entreprise devait ni plus ni moins changer de modèle d'entreprise. Technomarine ne devait plus se contenter de fabriquer des quais, mais devenir un concepteur et fabricant de marinas ! Il s'agissait dès lors de devenir plus qu'un forunisseur de quais, à savoir un assistant de propriétaires de marinas quant à la conception, la fabrication et la gestion de cellees-ci. L'idée a fait grincer des dents à l'interne, mais la pérennité de l'entreprise était en jeu. Et tout le monde a embarqué dans l'opération de transformation.
Résultat : Les contrats internationaux se multiplient maintenant pour Technomarine (la marina Lexus de Toyota à Nagoya, au Japon ; la marina du projet immobilier The Wave, Muscat au Sultanat d'Oman ; etc.). Des contrats prestigieux et nettement plus lucratifs qu'auparavant.
3. Ravir les enfants (et leurs parents)
Mission : Améliorer l'expérience de jeu des enfants d'âge préscolaire.
Observation : En 2008, Mega Bloks a voulu aller plus loin qu'offrir aux tout-petits un simple sac rempli de blocs à assembler. Mais la firme montréalaise ne savait pas quoi faire pour ça.
Réalisation : Une équipe pluridisciplinaire (design, marketing, etc.) a été chargée d'analyser ce que faisait déjà la concurrence. Puis, elle a organisé des sessions de jeu visant à observer comment les enfants jouaient, mais aussi comment se comportaient alors les parents : « Par exemple, nous voulions savoir s'ils jouaient avec eux ou s'ils profitaient de ce temps de répit pour faire la cuisine », indique Aline Massouh, une étudiante à HEC Montréal qui était alors gestionnaire de marque chez Mega Bloks.
Ces observations ont permis d'enrichir la réflexion, qui en est arrivée à la conclusion qu'il fallait créer une table de jeu. Des prototypes ont été mis au point, puis testés auprès des tout-petits et de leurs parents. « Ça nous a notamment permis d'écarter l'idée de doter la table de roulettes », dit-elle.
Résultat : La table de construction a été lancée durant l'automne 2009, et est depuis l'un des produits-vedettes de Mega Bloks.
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Trois définitions du design thinking
« Le design thinking, c'est faire preuve d'empathie. » – Aline Massouh, étudiante à HEC Montréal.
« Le design thinking permet de faire des merveilles, en jonglant avec l'incertitude et l'inspiration. » – Francis Gosselin, président de F. & Co.
« Grâce au design thinking, on fait plus que traiter les bobos, on identifie les causes du bobo et on y remédie. » – Patrick Messier, pdg de Messier designers.