À l'ère des patrons-coachs, vous ne savez plus trop comment exercer votre autorité. Si bien que vous êtes parfois trop mou. Pourtant, entre un patron autoritaire et celui qui se laisse manger la laine sur le dos, il faut trouver le juste milieu.
Le rôle du méchant, non merci ! Vous voulez être le gentil, celui que tout le monde aime. Vous vous reconnaissez dans cette description ? Alors, c'est que vous confondez autoritarisme et autorité. Pourtant, ce sont deux concepts différents.
L'autoritarisme est d'une époque révolue. Autrefois, la seule façon d'exercer son autorité était d'être autoritaire. Le patron donnait des ordres sans fournir d'explications et exigeait que les employés les exécutent sans poser de questions. Intransigeant, il était fermé à tout compromis. Bien sûr, il existe encore quelques spécimens de ce modèle du passé, mais ils sont en voie de disparition. « Les personnes autoritaires prennent plaisir à dominer et à contraindre les autres, explique le professeur Mario Roy, titulaire de la Chaire d'étude en organisation du travail de l'Université de Sherbrooke. Quand on a un patron semblable, on est démotivé, on ne prend plus d'initiatives, on fournit le minimum et on démissionne à la première occasion. »
L'autorité, quant à elle, se définit par le droit et le devoir de prendre des décisions et de les faire appliquer. Elle découle normalement d'un statut au sein d'une entreprise. Si vous êtes cadre ou si vous supervisez des employés, impossible de vous y soustraire. Pour bien exercer votre fonction, vous devez faire preuve d'autorité. « Les employés respectent les patrons qui agissent, soutient l'avocate Anne-Marie Poitras, associée de la firme-conseil en management et ressources humaines CFC Dolmen. Ils s'y attendent. Ils veulent une orientation claire. » Selon elle, l'autorité sert à assurer la justice et l'équité dans l'entreprise, la cohérence et l'efficacité. « Sans règles ni orientation, c'est le chaos. »
Faire preuve d'autorité, c'est aussi l'art d'être exigeant sans être désagréable ou autoritaire. Mais pourquoi est-ce parfois si difficile ? « Les patrons trop mous veulent être aimés, remarque Pierre Lainey, chargé de formation à HEC Montréal et spécialiste du leadership. Alors, ils préfèrent ne pas faire de vagues, plutôt que de risquer de perdre leur cote de popularité. » Le manque d'autorité est pourtant lourd de conséquences. Fermer les yeux sur les comportements déviants, les mauvaises prestations de travail et le non-respect des règles nuit à votre crédibilité en tant que patron. L'équipe perd confiance en vous et cesse de vous prendre au sérieux. Un climat malsain s'installe, car les employés à problèmes ont le champ libre, tandis que les autres s'efforcent de compenser. Évidemment, la performance en souffre. « Les bons employés risquent de partir, excédés d'être associés à de mauvais résultats et de compenser l'improductivité de leurs collègues », prévient Pierre Lainey.
Besoin de parfaire votre autorité ? Voici quelques pistes pour bien manoeuvrer dans des situations difficiles.
Je dois prendre une décision impopulaire
« L'exercice de l'autorité demande du courage, dit Mario Roy. Il faut être capable de trancher, de faire des choix et d'en assumer les conséquences. » C'est particulièrement vrai lorsque vous devez prendre une décision impopulaire, comme abolir l'horaire d'été allégé. Vous savez que cette décision déplaira à tous. Pourtant, la croissance de l'entreprise l'exige. Que faire ? Comment faire passer la pilule ?
Le mieux sera d'exposer aux employés les raisons de votre décision et comment la nouvelle mesure sera mise en oeuvre. « Les gens cherchent à comprendre la décision », souligne Anne-Marie Poitras. Quand vous prenez une décision douloureuse, le mot clé, c'est la transparence. Et surtout, ne l'annoncez pas par courriel. Montez au front ! Plus le message a une incidence affective, plus vous devez être près de vos employés, selon Mario Roy. « Ils vont protester, bien sûr, mais au moins vous leur prouverez que vous avez de la considération pour eux. Les gens détestent être traités comme des numéros. » Idéalement, vous annoncerez le changement le plus tôt possible, de sorte qu'ils aient le temps de s'y préparer. Vous éviterez ainsi de les surprendre, ce qui est toujours du plus mauvais effet.
Vous devez pouvoir tolérer l'opposition générée par vos décisions. Comme l'affirme Anne-Marie Poitras, « un patron ne doit jamais chercher à être aimé, mais plutôt à être apprécié et respecté. » Si vous man quez de courage et que vous repoussez les décisions difficiles, vous finirez par perdre votre crédibilité.
Un employé me demande un privilège, mais je ne peux pas le lui accorder
Fabrizio veut prendre une année sabbatique. Mais voilà, il choisit bien mal son moment. Prenez quand même le temps d'évaluer l'impact de sa demande sur l'entreprise et de voir s'il serait possible de la lui accorder. Si c'est impossible, dites-lui pourquoi : trois employés sont en congé parental, un projet majeur est en cours, etc. « Oui, mais Pascale et Mathieu ont eu un congé sabbatique, eux », rétorque-t-il. Expliquez-lui alors pourquoi et dans quelles circonstances ce privilège leur a été accordé. D'où l'importance de fonder vos décisions sur des critères objectifs ! « Même s'ils sont en désaccord avec vos décisions, les employés doivent les percevoir comme équitables et légitimes, insiste Mario Roy. Pour bien exercer votre autorité, la part de l'arbitraire doit être le plus possible éliminée de vos décisions. »
Que faire, si vous avez improvisé dans l'octroi de privilèges ? Si vous avez été trop flexible ? Dites que vous avez fait fausse route en omettant d'aligner vos décisions passées sur des balises claires. Promettez de définir ces balises et de les communiquer aux employés. Et tenez parole. Bien sûr, Fabrizio sera mécontent sur le coup. Mais exercer son autorité, c'est aussi savoir maintenir les décisions difficiles.
Deux membres de mon équipe ne s'entendent pas, et cela nuit au climat de travail
Lorsque des employés ont des comportements inappropriés ou qu'ils ne fournissent pas les résultats attendus, vous devez agir sans tarder. Dans le cas où deux membres de l'équipe sont en conflit, rencontrez-les individuellement. Après avoir décrit les conséquences de leur conduite sur les collègues et l'entreprise, demandez à chacun comment l'autre participe au problème et ce qu'il fait, lui. Vous les placez ainsi face à leurs responsabilités. Vous les rencontrerez ensuite ensemble pour obtenir un engagement de leur part. « Dites-leur que vous ne leur demandez pas de s'aimer, mais d'avoir une attitude respectueuse et de coopérer, conseille Mario Roy. Le respect est nécessaire au bon fonctionnement d'une équipe. »
Que risquez-vous si vous n'intervenez pas ? « Quand vous tolérez l'intolérable, vous démotivez les employés productifs, poursuit le professeur. Cela crée du cynisme, des conflits, du ressentiment. »
Je dois donner une rétroaction difficile
Vous en perdez le sommeil, car vous aimez bien cet employé. Vous craignez sa réaction et vous ne voulez pas le blesser. Rappelez-vous que l'autorité, ce n'est pas d'être bête et méchant avec les gens. Il y a moyen de leur dire les choses sans les froisser. « Vous devez être ferme avec le problème, mais doux avec la personne », résume Pierre-Marc Meunier, président de la firme de formation en leadership et en autorité Consul-Source. D'abord, évitez les jugements de valeur, les critiques personnelles (« Tu es désorganisé, tu traînes la patte), les exagérations. Tenez-vous-en aux faits. Citez des exemples concrets. Insistez sur l'impact sur l'équipe, les clients, les résultats. Puis, demandez à l'employé des explications sur ce qui lui arrive et sur ce qu'il entend faire pour remédier à la situation. Vous lui laissez ainsi la possibilité de s'approprier son problème et de le régler lui-même. S'il n'a pas de solutions à apporter, suggérez-en quelques-unes et faites-le choisir. Vous pouvez aussi lui demander ce que l'entreprise peut faire pour l'aider. À la fin de la rencontre, donnez-lui des objectifs d'amélioration précis.
Cela dit, ce genre d'intervention est plus difficile quand votre relation avec l'employé s'apparente à de l'amitié. « Soyez cordial, mais ne devenez pas l'ami de vos employés », recommande Pierre Lainey. Et si vous êtes passé de collègue à patron ? « Il y a des deuils à faire, prévient Anne-Marie Poitras. Vous ne pouvez plus vous comporter avec vos anciens collègues avec la même camaraderie qu'avant. » Pierre-Marc Meunier donne l'exemple, véridique, d'un superviseur qui avait sollicité l'aide des membres de son équipe pour refaire la toiture de sa maison. Erreur de jugement. « Il avait désormais les mains liées, car il n'avait plus la distance nécessaire pour faire respecter ses directives. »
J'ai fait preuve de laxisme, et mon département va à vau-l'eau
Ainsi donc, après un an ou deux de laisser-aller, vous voulez sonner la fin de la récréation. Bonne chance ! Parce que vous avez fermé les yeux pendant si longtemps, vous avez perdu toute légitimité dans votre rôle de patron. Il vous sera très difficile de ramener les employés à l'ordre. La plupart du temps, seul un nouveau patron réussira ce défi. Si vous voulez tout de même essayer, faites-le avec le soutien d'un coach. Soyez franc avec votre équipe : avouez que vous avez été trop permissif et décrivez les conséquences sur les résultats de l'entreprise. « Les employés doivent sentir que vous avez subi un électrochoc et qu'il est urgent d'agir », affirme Mario Roy. Attendez-vous toutefois à ce qu'ils mettent vos nouvelles résolutions à l'épreuve. Et soyez réaliste : vos chances de réussir sont minces.
Questions/Réponses à Pierre Lainey, maître d'enseignement, HEC Montréal
A+ : Les patrons québécois manquent-ils d'autorité ?
PL : Certains, oui, mais il ne faut pas généraliser. C'est qu'il y a une dimension culturelle rattachée à l'autorité. Au Québec, la distance hiérarchique est mince. Les employés sont proches de leur patron, ils le tutoient, ils aiment avoir une complicité avec lui. Ils s'attendent à avoir une relation d'égal à égal avec les gens qui occupent des fonctions supérieures à la leur. Cela complique l'exercice de l'autorité pour les gestionnaires.
Comment développer son autorité ?
Le coaching peut aider à s'affirmer, à prendre des décisions, à apprendre à dire non et à mieux exprimer ses demandes. Les formations sur le leadership, sur la façon de donner de la rétroaction, de gérer des employés difficiles, etc., sont aussi utiles. Tout cela contribue à modifier les comportements au travail, mais pas la personnalité. Certaines personnes ont naturellement plus d'autorité que d'autres.
Une saine autorité, cela devrait ressembler à quoi ?
C'est être ferme sur les objectifs à atteindre, mais souple quant aux moyens d'y parvenir. Et face à une situation difficile ou ambiguë, c'est avoir le courage de prendre position et de s'affirmer.