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Un code de conduite des épiciers pour des relations équilibrées

Jean-François Venne|Édition de la mi‑novembre 2024

Un code de conduite des épiciers pour des relations équilibrées

La très forte concentration des détaillants alimentaires au Canada favorise ce déséquilibre dans les relations commerciales. (Photo: Adobe Stock)

TRANSFORMATION ALIMENTAIRE. L’adoption d’un code de conduite des épiciers à l’échelle du Canada fait espérer aux transformateurs alimentaires une relation plus équilibrée avec les grands détaillants. Les petits pourraient eux aussi en bénéficier.

Selon Rémy Lambert, professeur au Département des sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval, l’un des principaux effets du code sera d’augmenter la prévisibilité des frais facturés aux fournisseurs par les grandes chaînes qui vendent des produits alimentaires. C’est le cas, par exemple, des frais pour garder des produits sur les étalages, réaliser des promotions ou encore restructurer les entrepôts.

« Il y a un très grand nombre de frais, dont plusieurs ne sont pas inscrits dans les contrats, explique le professeur. Certains d’entre eux peuvent s’ajouter de manière très soudaine, ce qui pose de réels problèmes de prévisibilité financière aux transformateurs alimentaires. »

La très forte concentration des détaillants alimentaires au Canada favorise ce déséquilibre dans les relations commerciales. En 2021, la publication spécialisée « Canadian Grocer » évaluait que les trois quarts de ce marché étaient l’apanage de cinq groupes : Loblaw (28 %), Sobeys (20 %), Metro (11 %), Costco (9 %) et Walmart (8 %). Cette situation peu concurrentielle place les fournisseurs dans une position délicate.

Un code volontaire

Le code comprend trois éléments principaux : des principes directeurs et des dispositions pour encadrer les relations commerciales, un modèle de gouvernance et un processus d’arbitrage et de règlement des différends. Le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) s’est réjoui de son adoption. « Cela assurera aux transformateurs d’obtenir des contrats clairs, indiquant les possibles augmentations de frais dans une année, ce qui leur permettra de réduire le risque financier », avance Sylvie Cloutier, PDG du CTAQ.

Le code devrait entrer en vigueur d’ici juin 2025. « La prévisibilité pourrait contribuer à stabiliser les prix des produits en magasin, qui peuvent être affectés par des hausses de coûts surprises chez les transformateurs », estime la PDG.

De son côté, Rémy Lambert rappelle que le code est volontaire. « Nous devrons donc attendre de voir comment il sera appliqué, fait-il remarquer. Il y a un processus d’arbitrage, mais qui ne découle pas d’une loi ou de règlements. » Il croit que les détaillants ont adhéré au code en partie pour protéger leur réputation et pour montrer aux consommateurs qu’ils s’engagent à maintenir des relations commerciales équitables, entre autres avec les plus petits transformateurs.

Diane Brisebois, PDG du Conseil canadien du commerce de détail, explique pourquoi le code ne repose pas sur un pilier législatif. Certains intervenants, notamment du côté des transformateurs, souhaitaient pourtant un code réglementaire. « Le gouvernement fédéral ne peut pas légiférer dans ce domaine, qui relève des gouvernements provinciaux, souligne-t-elle. Les détaillants ne voulaient pas se retrouver avec des codes différents dans chaque province, ou encore des provinces qui adopteraient des codes et d’autres qui n’en auraient pas. »

Chantier en cours

Si elle reconnaît que la transparence et la prévisibilité se trouvent au cœur du code, elle accorde en outre une grande attention au principe de réciprocité. « Les éléments du code s’appliquent autant aux transformateurs qu’aux détaillants, note-t-elle. C’était important pour les petits détaillants qui, eux aussi, se sentent parfois désavantagés dans leurs relations avec de gros fournisseurs. » Le code représente donc une manière de rééquilibrer les relations de pouvoir dans toute la chaîne d’approvisionnement.

Les discussions pour en arriver à une entente ont duré plus de trois ans, jusqu’à la présentation, à la fin de 2023, d’une version finale du code et de son cadre de gouvernance aux ministres fédéral, provinciaux et territoriaux. Le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada a annoncé le 18 juillet 2024 que tous les principaux détaillants en alimentation avaient accepté le code de conduite. Cela inclut les deux grandes chaînes américaines Costco et Walmart, qui se sont longtemps fait tirer l’oreille.

Les travaux se poursuivent pour structurer l’application du code. Un comité de travail planche actuellement sur des outils d’éducation qui expliqueront les manières d’utiliser ce nouvel outil, et les étapes à suivre en cas de plainte ou encore si le besoin du recours à un médiateur se fait sentir pour détendre une relation.

Un comité travaille aussi à l’embauche d’un président ou d’une présidente pour le Bureau d’arbitrage du code des épiceries, un organisme sans but lucratif autofinancé par les membres. Ce dernier devra à la fois conseiller les acteurs de l’industrie, agir comme médiateur ou arbitre et jouer un rôle de surveillant. Il pourra même mettre de l’avant des mesures de correction s’il note des problèmes dans les pratiques commerciales. « Nous espérons avoir quelqu’un en place d’ici la fin de l’année », précise Diane Brisebois.