Table éditoriale avec Christine Fréchette: l’octroi des mégawatts devra être plus équitable
Dominique Talbot|Mis à jour le 28 novembre 2024«Il y a un meilleur équilibre à trouver. Nous serons attentifs à ce sujet», répète Christine Fréchette. (Photo: Martin Flamand)
Si la nouvelle «superministre» de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie semble se rallier à Michael Sabia pour une distribution plus équitable des blocs d’énergie envers les entreprises québécoises, Christine Fréchette va plus loin que son prédécesseur dans ses critiques envers la gestion passée d’Hydro-Québec.
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La ministre recevra en décembre les analyses de son ministère ainsi que celles d’Hydro-Québec sur les projets qui pourraient recevoir de précieux mégawatts (MW). Une décision sera prise au cours des prochains mois. Et impossible pour le moment de connaître le nombre de MW qui seront disponibles dans le cadre de ce troisième octroi. Mais pour Christine Fréchette, qui aura le dernier mot, une chose est certaine, «il doit y avoir une préoccupation pour que les Québécois soient mieux servis dans l’octroi des MW».
Les Affaires a rencontré la semaine dernière la ministre qui est entrée dans ses nouvelles fonctions au mois de septembre, dans le cadre d’une longue entrevue éditoriale.
«Pour moi, ça va être important d’avoir un meilleur équilibre entre des intérêts québécois et des intérêts étrangers. Des grandes entreprises et des PME. Des gens en régions des gens dans la métropole», affirme-t-elle.
Il faut dire que les entreprises québécoises se sont retrouvées le bec à l’eau lors des deux premiers octrois de MW, depuis que les projets de plus de 5 MW doivent être approuvés par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.
Nombreuses sont celles qui soutiennent ne pas comprendre, surtout qu’elles financent le réseau, au même titre que les contribuables, depuis des décennies dans bien des cas.
Pour rappel, dans le cadre du premier octroi à la fin de 2023, 11 entreprises s’étaient partagé 956 MW. Aucune n’avait des intérêts québécois comme actionnaires majoritaires. Northvolt avait d’ailleurs reçu la plus grande part du gâteau électrique avec 360 MW.
Dans le deuxième octroi, en juin 2024, une seule entreprise sur les 11 gagnantes de blocs de MW était détenue en majorité au Québec. Cette fois, le gâteau contenait environ 600 MW.
«Il y a un meilleur équilibre à trouver. Nous serons attentifs à ce sujet», répète Christine Fréchette.
Le discours de la ministre se rallie à celui de Michael Sabia à la fin de l’été, quelques jours après la démission de Pierre Fitzgibbon. En substance, le PDG d’Hydro-Québec avait affirmé en commission parlementaire que l’ex-ministre avait accordé trop d’importance aux entreprises étrangères, et qu’il n’avait pas répondu adéquatement aux demandes des industries d’ici.
Michael Sabia avait également affirmé «qu’il n’était pas évident pour lui» que l’allocation des mégawatts reflétait le plan d’action d’Hydro, qui se situe aux alentours de 75% pour la décarbonation de l’économie, et de 25% pour la croissance.
À cet effet, cependant, Christine Fréchette refuse d’établir une proportion entre les deux, préférant parler d’équilibre.
«[La décarbonation et la croissance] ne sont pas dissociées complètement. Ce n’est pas parce que l’on va chercher des joueurs qui vont faire de la croissance économique qu’ils ne feront pas de décarbonation. Il faut trouver le juste milieu entre décarbonation et croissance économique. Pour moi, plusieurs devront faire les deux.»
«De plus en plus, nous allons porter un regard pour que ces deux axes se rejoignent. C’est faisable. Tout le monde doit s’engager dans la décarbonation», affirme la ministre.
Dures critiques envers Hydro-Québec
Le Québec se retrouve aujourd’hui dans une situation où chaque MW est compté. À titre d’exemple, la demande lors du dernier octroi était de 14 800 MW.
Une situation inédite pour une province qui a nagé dans les surplus d’électricité pendant des décennies. Au printemps dernier, Pierre Fitzgibbon avait rendu Hydro-Québec responsable de ce déficit, affirmant que la demande industrielle avait été «mal planifiée».
Christine Fréchette, qui a grandi dans l’univers de la société d’État (son père y a fait sa carrière), va plus loin, affirmant ne pas comprendre comment Hydro a pu mener le Québec dans une telle situation.
«Hydro-Québec a surtout mal géré ses investissements et a mal évalué la demande future. Pendant des années, on m’a dit qu’Hydro-Québec fonctionnait sur la base de développement économique au Québec de 0%. Je n’ai aucune idée pourquoi on s’en remettait à ça», tonne la ministre.
«On m’a aussi dit que dans le rétroviseur, Hydro regardait les années antérieures et se disait que si c’est comme ça, ça va rester au neutre. Donc, on projetait cela sur les années à venir. […] Il y a eu des erreurs importantes qui ont été faites chez Hydro. Nous avons attiré plein de projets, nous avons suscité plein de projets d’entrepreneuriat, et là, nous nous retrouvons en plus avec des besoins créés par la transition énergétique», ajoute-t-elle.
Le Québec se retrouve donc aujourd’hui à gratter ses fonds de barrages pour trouver des mégawatts, et doit presque doubler en 10 ans la capacité énergétique qu’il a pris 50 ans à construire.
«Ce sont des besoins de très grande ampleur, alors que les investissements n’ont pas été faits pendant des années de la part d’Hydro-Québec pour préparer un rehaussement de la demande. Aujourd’hui, on doit donc tout faire en mode accéléré pour capter les occasions qui s’offrent», poursuit Christine Fréchette.
À ce titre, ses propos ressemblent à ceux de Philippe Couillard. Dans une entrevue accordée à Les Affaires en octobre, l’ancien premier ministre affirmait qu’à la fin de son mandat, «il y a eu un bris, une cassure soudaine. On s’est rendu compte finalement que nous n’avions pas autant d’énergie que l’on pensait», disait-il.
«Quand j’ai fait signer par mes équipes le contrat d’approvisionnement avec le Massachusetts, je demandais à Hydro-Québec si nous avions assez d’énergie et on nous répondait qu’il n’y avait aucun problème, et qu’il y en avait assez pour un autre [contrat] après», avait rappelé l’ex-premier ministre.
Même si elle soutient qu’elle resignerait les contrats d’approvisionnement avec les États du Massachusetts et de New York, qui sont «de bons contrats», Christine Fréchette affirme qu’il faut redoubler d’ardeur pour investir et développer des capacités énergétiques de toutes sortes.
«Pendant trop d’années, Hydro-Québec a ignoré l’éolien. Et là, il faut que ça se déploie. Heureusement, c’est commencé, se satisfait-elle. Il faut que l’on s’engage aussi dans le solaire.»
Une version précédente de ce texte affirmait que la prochaine attribution de blocs de MW aurait lieu en décembre. Le cabinet de la ministre est revenu sur ces propos pour préciser que c’est plutôt en décembre qu’elle recevra les analyses de dossiers du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, ainsi que celles d’Hydro-Québec.