Développement durable: d’une récolte durable à une forêt pérenne
Le courrier des lecteurs|Publié le 07 novembre 2023Selon une étude économique produite à la demande de l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers (AQEF) en novembre 2022, on dénombrerait environ 500 entrepreneurs forestiers en récolte dans la province. (Photo: 123RF)
Un texte de Michel Paradis, B.Sc., LL.B., Adm.A., Med.Acc.(IMAQ), conseiller stratège (Oeconomia), ex-conseiller spécial (cabinet du ministre de Forêt, Faune et Parcs) et Louis Dupuis, B.A., économiste, consultant et ancien banquier, spécialisation dans le financement de machinerie lourde
COURRIER DES LECTEURS. Le secteur forestier est à une croisée des chemins. Dans ce contexte, porter un regard sur sa pérennité est essentiel. Protection de sa biodiversité, adaptation aux changements climatiques et santé financière, il semble que l’ensemble de la chaine d’approvisionnement sera touché par les décisions à venir. On en conviendra, l’importance d’une saine chaine d’approvisionnement dans la gestion durable des forêts est plus essentielle que jamais.
Saine chaîne d’approvisionnement durable
Une saine chaîne d’approvisionnement joue un rôle crucial dans la gestion durable de la forêt. En effet, une gestion responsable des ressources forestières nécessite une coordination efficace de toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement, de la récolte jusqu’à la commercialisation des produits finis.
Elle permet de minimiser les impacts négatifs sur l’environnement. Par des pratiques d’exploitation forestière durables, dont l’aménagement adapté aux changements climatiques, on peut préserver la biodiversité et maintenir l’écosystème forestier (ODD 15). En réduisant les distances de transport grâce à une planification efficace, on limite les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie.
Une gestion durable de la forêt nécessite une prise en compte des aspects sociaux et économiques. Ainsi, une chaîne d’approvisionnement structurée favorise la création d’emplois locaux et le développement économique des communautés forestières (ODD 8).
Enfin, elle contribue à assurer la traçabilité des produits forestiers tout au long du processus de production. Cela permet de garantir aux consommateurs que les produits qu’ils achètent sont issus de sources légales et durables.
L’entrepreneur forestier d’aujourd’hui
Le secteur forestier se caractérise par une chaîne d’approvisionnement par laquelle une relation excessivement étroite existe entre les entrepreneurs forestiers et les usines (scieries).
On y retrouve tout un écosystème d’entrepreneurs indépendants qui sont majoritairement des TPE (très petites entreprises). Nous pouvons les classifier en quatre (4) grandes catégories, soit; 1) les entrepreneurs forestiers en récolte, 2) les entrepreneurs forestiers en voirie forestière (construction et entretien des chemins forestiers), 3) les entrepreneurs forestiers en transport (transport des billots en forêt), et 4) les entrepreneurs forestiers en travaux sylvicoles (reboisement, débroussaillage, etc.).
Trois (3) de ces types d’entrepreneurs forestiers (récolte, voirie et transport) nécessitent des investissements financiers de plusieurs millions de de dollars en machinerie, et une main-d’œuvre hautement qualifiée pour les opérer. Ils sont les premiers maillons de la chaîne d’approvisionnement. Et ils sont donc essentiels à la réussite de l’industrie forestière.
Quant aux entrepreneurs forestiers en travaux sylvicoles, ces entreprises sont surtout intensives en travailleurs. Elles sont aussi essentielles au renouvellement de nos forêts et à la pérennité de la ressource pour l’industrie.
Selon une étude économique produite à la demande de l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers (AQEF) en novembre 2022, on dénombrerait environ 500 entrepreneurs forestiers en récolte dans la province.
Ceux-ci génèrent des revenus annuels moyens de 1,7M$, ils possèdent trois (3) machineries forestières spécialisées, hautement technologiques et nécessitant un investissement moyen de 850M$ par machine, et ils emploient 7 personnes, incluant le(s) dirigeant(s) opérant(s).
Globalement, ces 500 entreprises emploient directement approximativement 3500 personnes pour une masse salariale annuelle de plus ou moins 280M$, et des revenus de 850M$. Elles utilisent pour leurs opérations environ 1500 machines forestières, ce qui représente un investissement 1,3G$ uniquement en machinerie.
En outre, l’étude nous révèle que l’âge moyen de fondation de ces entreprises est de 22 ans, avec la médiane de 1994.
Par ailleurs, l’étude nous démontre la répartition géographique des entrepreneurs forestiers en récolte dans les différentes régions administratives du Québec (ODD 8). Sans grande surprise, la région ayant le plus grand nombre de forestiers sur son territoire est le Saguenay–Lac-Saint-Jean (02) avec 26,1% de ceux-ci, suivi de l’Abitibi -Témiscamingue (08) à 15,2%, la région de Chaudière-Appalaches (12) à 11,4%, et le Bas-St-Laurent (01) à 10,7%. Ces quatre (4) régions regroupent à elle seule 63,4% des entrepreneurs forestiers de la province. (Voir graphique ci-dessous)
Un maillon plus fragile dans la chaine d’approvisionnement?
Dans une perspective de développement durable et une pérennité plus saine de la gestion de la forêt, y aurait-il lieu d’imaginer une approche qui permettrait de mieux inclure l’entrepreneur forestier?
Au fil du temps, ces entreprises sont devenues graduellement plus dépendantes d’un seul et unique client (principalement un industriel ou encore un entrepreneur général).
Bien qu’étant un maillon en soi de la chaine d’approvisionnement, la dynamique actuelle expose davantage une relation de dépendance entre l’entrepreneur forestier et son client.
En effet, l’entrepreneur forestier s’est notamment vu devenir tributaire du lieu où il va travailler, aux tarifs auxquels il sera rémunéré de même que la façon dont sa performance sera mesurée. N’y aurait-il pas lieu, dans un souci d’équilibre, de penser à l’instauration d’un mécanisme d’appel d’offre ou de soumission rendant le cadre collaboratif plus attrayant pour les générations suivantes? Aussi, à l’instar de l’industrie de la construction, ne serait-il pas sage d’envisager un mécanisme de règlement des différends entre les parties?
Importance pour la santé de la forêt
Nous parlons des générations suivantes, car le rôle des entrepreneurs forestiers prendra une importance croissante dans un contexte de préservation de la forêt de demain. Ces derniers mènent à bien la récolte des arbres de manière durable en veillant au respect de la réglementation en vigueur en matière d’exploitation forestière et à minimiser les impacts négatifs sur l’écosystème. Leur expertise leur permet de sélectionner les arbres à abattre de manière sélective, en favorisant la régénération optimale de la forêt.
De plus, ils contribuent à d’autres objectifs tels que l’ODD 13 sur l’action pour le climat, en promouvant la gestion durable des forêts et en favorisant la séquestration du carbone dans les arbres et les sols forestiers.
Finalement, en plus de leur rôle dans la gestion des ressources forestières, ils contribuent à l’économie locale (ODD 8). Leur activité génère des emplois et soutiens les communautés tout en maintenant une source d’approvisionnement à long terme pour l’industrie du bois. Dans un contexte de changements climatiques, il est donc nécessaire de soutenir ce maillon important de la chaine d’approvisionnement.
Cependant, pour que les entrepreneurs forestiers puissent pleinement contribuer à la réalisation des ODD, il est essentiel qu’ils bénéficient d’un soutien adéquat tout en relevant des défis majeurs sur le plan économique.
Les défis à la survie des entrepreneurs forestiers
Les entrepreneurs forestiers font face à de nombreuses difficultés allant de la pénurie de main-d’œuvre et de relève entrepreneuriale, à une explosion de leurs frais d’exploitation (25% depuis 2019), à une absence de mécanisme permettant un juste partage de ces coûts, une formation inadéquate qui n’est pas adaptée aux réalités d’aujourd’hui, à la nécessité d’une reconnaissance accrue par les instances gouvernementales de l’importance du rôle des entrepreneurs forestiers, de même que les enjeux de rentabilités. Tout cela est extrêmement inquiétant pour l’avenir de l’industrie forestière au Québec.
À titre d’exemple, au niveau de la pénurie de main-d’œuvre, selon Statistique Canada le nombre d’emplois au Québec dans la catégorie « Foresterie et exploitation forestière » a chuté de -63,4% entre 1990 et 2021, passant de 15 617 emplois à 5 721 (voir graphique).
Dans un contexte où nous vivons des changements importants dans le secteur forestier, prenons l’occasion de renforcer cette chaine d’approvisionnement si importante pour la pérennité du secteur forestier en tenant compte de l’importance de chacun de ses maillons.