Martin Cloutier, agroéconomiste et professeur à l’Université du Québec à Montréal (Photo: courtoisie)
PERSPECTIVES DES MARCHÉS ÉTRANGERS. Les exportations bioalimentaires du Québec à l’international ont presque doublé entre 2009 et 2018, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Loin de s’en contenter, le secteur souhaite continuer à les multiplier, tout en augmentant l’autonomie alimentaire du Québec.
« C’est bien sûr paradoxal, reconnaît Martin Cloutier, agroéconomiste et professeur à l’Université du Québec à Montréal. Tous les pays veulent hausser leurs exportations agroalimentaires, mais la pandémie a aussi montré des vulnérabilités dans les chaînes de production locales, ce qui pousse les États à désirer produire plus localement pour sécuriser leur approvisionnement. »
Pour l’instant, environ la moitié des aliments consommés au Québec proviennent de l’extérieur, selon le MAPAQ. En novembre dernier, le gouvernement du Québec a dévoilé plusieurs mesures – accompagnées d’un budget de 157 millions de dollars (M$) – pour favoriser l’achat local, mais également augmenter la productivité du secteur agroalimentaire.
L’Union des producteurs agricoles (UPA) se réjouit de voir l’État s’intéresser de plus près à l’autonomie alimentaire. Elle n’y perçoit aucune contradiction avec la volonté de hausser les exportations agroalimentaires québécoises, comme en témoigne le thème de son congrès général tenu début décembre, « Cultivons notre autonomie alimentaire du local au global ».
Croissance économique
« Nous avons plusieurs produits prisés sur les marchés étrangers, comme le porc, le sirop d’érable, la canneberge ou le bleuet sauvage, souligne Marcel Groleau, président général de l’UPA. Nous devons continuer de développer ces filières d’exportation, tout en améliorant notre autonomie alimentaire. »
D’autant que celle-ci n’est pas qu’une question de sécurité de l’approvisionnement. « L’autonomie alimentaire présente un potentiel économique important pour les producteurs et les régions, en plus de générer des emplois », précise-t-il.
En novembre dernier, le gouvernement québécois a révélé sa volonté de doubler la superficie en serres sur le territoire, pour la faire passer à 240 hectares, et d’instaurer une grappe industrielle pour le secteur serricole. L’un de ses objectifs consiste justement à favoriser le maintien et la création d’entreprises rentables à long terme et de stimuler leur croissance.
« Chaque fois que nous augmentons nos parts de marché, cela se traduit par une hausse de production qui se répercute dans toute la chaîne de valeur », indique Ghislain Gervais, président de Sollio Groupe Coopératif (auparavant La Coop fédérée).
Si les succès d’exportation de la filière porcine sont bien connus, d’autres secteurs vivent un essor. C’est le cas des céréales, notamment le soja, le maïs et le blé. Sollio a d’ailleurs investi dans un terminal maritime de transbordement de grains et céréales au port de Québec. Environ 1,3 million de tonnes de grains devraient y transiter chaque année — une valeur de 450 M$ — selon la coopérative.
Pénurie de main-d’œuvre
Le manque de main-d’œuvre qualifiée demeure toutefois un défi pour réussir à augmenter les exportations. « Juste dans les usines d’Olymel, nous avons 1 000 emplois non comblés, ce qui nous fait rater des occasions d’affaires, déplore le président de Sollio. Et l’an prochain, nous aurons besoin de pourvoir 3 000 postes. »
Il juge donc essentiel de valoriser les métiers de première ligne, notamment ceux qui ne peuvent être automatisés. « La découpe de viande à valeur ajoutée, par exemple, doit être accomplie par des humains qui ont acquis des compétences spécialisées, ce n’est pas quelque chose qu’on arrive à automatiser », illustre Ghislain Gervais.
Pour tenter de pallier ce manque, le gouvernement fédéral a annoncé en juillet 2019 un projet pilote d’une durée de trois ans (2020-2023) visant à attirer et retenir les travailleurs migrants dans le secteur agroalimentaire. Celui-ci leur donne le droit de déposer une demande de résidence permanente après un séjour de 12 mois et éventuellement de faire venir leur famille au Canada.
Soutenir les PME
Martin Cloutier souligne que les entreprises du secteur agroalimentaire affrontent bien d’autres défis lorsqu’elles veulent exporter. Certains sont les mêmes que pour la plupart des secteurs d’activités : développement d’un réseau, gestion du marketing et du développement des affaires, financement, préparation, etc.
La connaissance des cadres réglementaires représente toutefois un souci constant propre à l’agroalimentaire. « C’est un domaine très réglementé, indique M. Cloutier. Les autorités locales qui achètent les produits doivent les autoriser, il y a des inspections régulières et l’obtention de certifications sanitaires ou autres est parfois nécessaire pour entrer sur un marché ».
Les géants comme Saputo ou Agropur ont les moyens de surmonter ces obstacles. Or, c’est plus compliqué pour les PME. Leurs dirigeants disposent de peu de ressources humaines spécialisées dans ce domaine et doivent faire cet apprentissage tout en gérant un quotidien déjà très prenant.
« Si l’on veut que nos PME agroalimentaires augmentent leurs exportations et percent de nouveaux marchés, il faudra leur offrir de l’accompagnement en matière d’expertise et de gestion de relations d’affaires, et des ressources suffisantes », conseille Martin Cloutier.