Le Canada devrait-il fusionner avec les États-Unis?
Philippe Labrecque|Mis à jour le 18 novembre 2024La journaliste américano-canadienne Diane Francis a exploré l’idée d’une fusion entre le Canada et les États-Unis, il y a plus de 10 ans, avec son livre Merger of the Century: Why Canada and America Should Become One Country (Harper Collins). (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Impensable pour plusieurs, l’idée d’une fusion entre les États-Unis et le Canada a pourtant ponctué l’histoire des deux pays.
Plus récemment et dans un contexte contemporain, la journaliste américano-canadienne Diane Francis a exploré l’idée d’une fusion entre le Canada et les États-Unis, il y a plus de 10 ans, avec son livre Merger of the Century: Why Canada and America Should Become One Country (Harper Collins).
La logique géopolitique de Francis est qu’une telle fusion entre les États-Unis et le Canada profiterait aux deux pays face à la montée des puissances économiques comme la Chine et l’Inde, notamment, tout en freinant le déclin relatif canadien et américain.
Profitons du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, pour nous interroger sur cette «fusion du siècle», 10 ans plus tard.
Grandes puissances et guerre économique
Nous y étions déjà depuis 2016, au moins, mais la récente victoire de Donald Trump confirme la nature de notre ère géoéconomique marquée par une montée du protectionnisme au sein d’un ordre multipolaire.
Un ordre dans lequel certaines puissances révisionnistes tentent de supplanter leurs adversaires, notamment par l’entremise d’une guerre commerciale qui ne dit pas son nom.
Les différentes puissances et régions économiques répondront probablement aux barrières protectionnistes américaines annoncées par le nouveau président (qui risquent fortement de perdurer après l’administration Trump) par leurs propres mesures protectionnistes, menant à une escalade de celles-ci.
Une puissance moyenne comme le Canada ne pourra que faire les frais d’un tel conflit commercial qui est déjà entamé, alors que le pays sera malmené par les puissances que sont la Chine, mais surtout les États-Unis.
Nos puissants voisins se retrancheraient derrière leurs intérêts stratégiques et économiques propres, au détriment du Canada probablement.
Pas de déclin américain, finalement?
À la surprise de plusieurs, le déclin tant annoncé de l’empire américain au 21e siècle ne semble pas avoir lieu ou bien avoir été largement exagéré.
Au contraire, la puissance économique américaine, malgré certains problèmes, semble reprendre son envol, alors que le reste du monde, le Canada, l’Europe et même la Chine stagnent relativement, quand ceux-ci ne déclinent pas littéralement.
À ce sujet, l’écart grandissant entre la croissance et le dynamisme économique du Canada et des États-Unis depuis au moins une décennie – qui favorise largement nos voisins du sud – en est devenu presque gênant.
L’appauvrissement du Canada
Plusieurs indicateurs économiques semblent démontrer que le Canada s’appauvrit rapidement depuis plus d’une décennie. Pendant ce temps, les États-Unis sont sur une trajectoire de croissante importante, ce qui creuse l’écart de richesse entre les deux pays.
Pis encore, le Canada voit fréquemment ses citoyens les plus innovateurs quitter le pays au profit des États-Unis dans l’espoir d’accéder à un potentiel économique largement supérieur au nôtre.
Le phénomène d’exode des cerveaux canadiens est d’ailleurs en place depuis longtemps.
N’oublions pas l’exemple d’un Elon Musk qui a fait ses études au Canada avant d’immigrer aux États-Unis, et ce, pour y créer les géants que sont PayPayl, SpaceX et Tesla, notamment.
D’après Diane Francis, même Walt Disney et Thomas Edison auraient eu des racines canadiennes également, pour ne nommer que ceux-ci.
Les avantages de la «fusion du siècle»
En premier lieu, fusionner avec les États-Unis permettrait au Canada d’éviter d’être du mauvais côté du protectionnisme américain, alors que nous y exportons l’immense majorité de nos produits et nos services.
Surtout, une entité politique américano-canadienne permettrait à sa partie canadienne de s’asseoir à la table des grandes puissances, même si la voix canadienne était amalgamée aux intérêts américains.
Les synergies économiques potentiellement massives, l’ouverture de marchés pour les ressources naturelles canadiennes et l’accès aux capitaux américains permettraient au Canada de réaliser tout son potentiel économique, possiblement.
De plus, cette fusion des deux pays formerait une masse continentale économiquement autosuffisante pratiquement, un avantage majeur dans un monde où la démondialisation progresse et où les conflits entre grandes puissances prennent forme.
En d’autres mots, cette hyperpuissance économique américano-canadienne pourrait s’assurer de dominer le 21e siècle et au-delà potentiellement, permettant d’imposer et maintenir un ordre mondial à notre avantage, soit l’essence même d’une grande stratégie.
Les obstacles
On pourrait croire que les traditions et cultures politiques différentes entre les deux pays, les États-Unis étant une république et le Canada étant une monarchie constitutionnelle, empêcheraient une fusion.
Les Américains ne laisseront sûrement pas tomber leur république au profit d’une monarchie britannique qu’ils ont chassée à coups de canon voilà 250 ans.
On pourrait aussi penser que les provinces canadiennes qui possèdent une plus grande autonomie face au gouvernement fédéral comparativement à leur compère que sont les États américains au sein de leur fédération tenteraient de maintenir ces «privilèges», ce qui pourrait rapidement créer des tensions au sein de l’union.
Certaines provinces pourraient bien refuser un tel programme et décider de former une nouvelle union ou de déclarer leur indépendance.
On peut penser au Québec dans un tel scénario, mais pas seulement.
Les négociations complexes d’une telle fusion se feraient vraisemblablement à forces inégales. Les États-Unis auraient le «gros bout du bâton», car ils sont la superpuissance économique et militaire.
Le risque que le Canada disparaisse tout simplement dans une telle fusion et que le pays ne devienne tout simplement qu’une extension des États-Unis est bien réel.
Comment le Canada pourrait-il maintenir une certaine autonomie, même si celle-ci était réduite?
De plus, aujourd’hui, l’idée de fusionner avec les États-Unis ne semble pas générer d’intérêts de part et d’autre du 49e parallèle. De plus, il est difficile d’imaginer un parti politique canadien porter ce projet.
Sans évènement catalysant l’opinion publique, comme une guerre de grande envergure, il est probable que l’idée reste dormante.
Pas la première fois
Ça ne serait toutefois pas la première fois qu’on assisterait à un tel évènement politique.
En voici quelques exemples pertinents:
- l’Écosse a choisi de joindre l’Angleterre largement pour des raisons économiques;
- l’Allemagne moderne est le résultat d’une unification de différentes principautés germanophones pour créer une grande puissance économico-militaire;
- l’Italie a été unifiée d’une façon similaire.
Plus récemment, on pourrait rappeler que l’Union européenne, un appareil gouvernemental supra-étatique réunissant aujourd’hui 27 pays, avait comme objectif de devenir un géant économique qui concurrencerait les États-Unis.
Comme quoi un nouveau monde géopolitique et le désir de pouvoir peser et influencer au sein de celui-ci a souvent été à l’origine de formation de nouvelles entités politiques qui nous semblent aujourd’hui évidentes, mais qui étaient loin de l’être à une certaine époque.