Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
Jacques Nantel et Isabelle Thibeault

Haro sur notre société de consommation

Jacques Nantel et Isabelle Thibeault

Expert(e) invité(e)

Riches ou pauvres, nous contribuons tous à la croissance économique: mais à quel prix?

Jacques Nantel et Isabelle Thibeault|Mis à jour le 15 novembre 2024

Riches ou pauvres, nous contribuons tous à la croissance économique: mais à quel prix?

«Riches ou pauvres vous devez contribuer au développement de votre société! Cela risque de vous sur endetter? Quand on veut, on peut!» (Photo: Adobe Stock)

EXPERT ET EXPERTE INVITÉS. Notre société n’offre pas les mêmes chances à tous, on le sait bien.

Le résultat des courses est connu. Les ménages qui se situent dans le 1er quintile de revenus au Canada gagnent en moyenne moins de 30 000$ net par année, alors que ceux qui se situent dans le 5e quintile gagnent en moyenne plus de 200 000$.

Avec des revenus 7 fois plus élevés entre le bas et le haut de l’échelle, on pourrait s’attendre à ce que les profils de consommation soient différents. Or, il n’en est rien.

Bien entendu, les niveaux des dépenses, par poste budgétaire, sont largement différents. Mais les profils, eux, se ressemblent. C’est ce qu’illustre le tableau qui suit.

Dépenses des ménages au Canada ventilées selon les quintiles inférieurs et supérieurs de revenus, 2021

 1er quintile de revenus5e quintile de revenus
 $%$%
Consommation courante totale36 376100%109 410$100%
Dépenses alimentaires6129$17%15 715$14%
Aliments achetés au magasin4929$14%11 999$11%
Restaurants1187$3%3593$3%
Logement12 718$35%33 367$30%
Communications1864$5%4240$4%
Vêtements et accessoires1029$3%3729$3%
Transport privé4077$11%16 263$15%
Loisirs1727$5%7440$7%
Frais directs de soins de santé défrayés par le ménage794$4%2288$3%
(Source: Statistique Canada, «Dépenses des ménages, Canada, régions et provinces», Tableau 11-10-0222-01)

Comme on le constate, que l’on soit riche ou pauvre, nos profils de consommation (pourcentages dépensés par poste budgétaire) se ressemblent.

Alors que les ménages appartenant au 1er quintile de revenus vont respectivement consacrer 3% de l’ensemble de leurs dépenses en restauration, 5% en communications 11% en transport privé et 4% en frais directs de soins de santé, les ménages les plus riches eux vont respectivement y consacrer 3%, 4%, 15% et 3%.

Bien entendu si les proportions se ressemblent la nature de la consommation sera différente.

La restauration des uns c’est chez McDo, alors que pour les autres, ce sera sur la rue Laurier ou la Grande Allée.

Pour les uns le transport privé c’est une berline de 2005, alors que pour les autres c’est une voiture électrique de l’année.

Pourtant un fait demeure, les modèles sont les mêmes. Pourquoi? Parce que nous vivons dans une société de consommation.

Or, cette expression est bien plus qu’une appellation sommaire, c’est notre lot à tous. Nous sommes beaucoup ce que nous consommons.

Comme la plupart des postes de consommation sont devenus des postes nécessaires (vous gagnez 30 000$ par année et vous avez deux ados, vous croyez vraiment qu’il n’y aura pas de téléphone intelligent dans votre budget?), que vous soyez riches ou pauvres, vous allez faire ces dépenses.

La seule différence c’est que lorsque vous être dans le 1er quintile de revenus, ces modèles de consommation vous imposent un endettement toujours plus élevé. Voir un endettement de survie.

Et, sur le plan macro, la conséquence n’est pas banale.  Que l’on soit riche ou pauvre, nous contribuons à la croissance du PIB qui n’a que faire qu’une partie de sa croissance se fasse sur la base de l’endettement des moins fortunés.

Bien entendu on aime à croire que le monde de la consommation se divise en deux groupes, ceux qui sont insouciants et qui s’endettent comme des écervelés et les autres, ces gens qui «réussissent» et qui, en plus de se lever tôt, font de bons choix de consommation.

Ces consommateurs évitent d’utiliser du crédit à trop haut taux d’intérêt, remboursent le solde de leur carte de crédit en entier. On présume même que ces consommateurs ne s’endettent que pour des actifs nobles, telle une maison. 

Cette croyance est si bien ancrée que l’on est convaincu qu’à l’inverse les consommateurs qui s’endettent et qui ont du mal à joindre les deux bouts sont des irresponsables. Pourtant, ce sont désormais près de 7 consommateurs sur 10 dont l’endettement croît d’une année sur l’autre. Difficile à croire que 7 personnes sur 10 soient irresponsables!

La vérité est ailleurs.

Si certains consommateurs sont irresponsables (et ce ne sont pas les moins riches d’entre nous, loin de là), la plupart ne font que tenter de ne pas tomber sous les roues de la consommation. La plupart veulent juste faire partie du groupe, de la société qui leur est proposée. Pour les deux premiers quintiles, l’endettement accumulé en est un qu’on pourrait nommer: endettement de survie.

Et cette vérité en cache une autre.

L’endettement des ménages fait croître le PIB de notre pays. Que la consommation soit alimentée par le revenu ou par la dette, elle aura le même effet sur le PIB.

Bref, riche comme pauvre, endetté ou pas, irresponsable ou tout à son affaire, chaque geste de consommation est contributif à l’atteinte de nos objectifs de croissance.

Et si cette croissance est au rendez-vous, ce sera mission accomplie, peu importe les dommages collatéraux, dont de plus en plus de ménages sont désormais victimes.

C’est là que joue le fameux «paradoxe de l’épargne» dont parlait John Maynard Keynes. Ce sera le sujet de notre prochaine chronique.