Regitex a choisi de se placer «en avant de la parade» en effectuant une «analyse de matérialité» visant à comprendre les répercussions de ses activités sur toutes ses parties prenantes (employés, clients et fournisseurs) pour ensuite créer un tableau de bord lui permettant de calculer son empreinte carbone «en temps réel». (Photo: 123RF)
EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. De plus en plus de fournisseurs subissent des pressions pour démontrer leurs efforts de décarbonation. D’ailleurs, de 2022 à 2023, le pourcentage d’entreprises québécoises qui considèrent les « nouvelles demandes ou exigences de la clientèle » comme l’élément déclencheur de leurs actions climatiques a bondi de 10 % à 16 %, selon le Baromètre de la transition des entreprises 2023, de Québec Net Positif. États des lieux du côté des fournisseurs.
Dans la dernière année, la firme-conseil en développement durable Ellio peut répertorier plusieurs clients qui se sont fait demander de produire un bilan carbone ou de carrément s’engager à atteindre des cibles de réduction. « Ce genre de demande touche tous les secteurs, aussi bien celui manufacturier que celui des services ou du divertissement », note Esther Dormagen, CRHA, consultante chez Ellio.
Parmi ses clients, la firme-conseil a guidé un petit designer québécois devant s’engager dans le protocole de la Science based targets initiative (la SBTi demande de rendre publiques ses cibles de réduction) pour un client européen, une filiale québécoise devant se conformer à la politique de décarbonation de sa maison mère et une PME industrielle voulant faire affaire avec Hydro-Québec. « On voit aussi ce genre d’exigences dans les subventions pour des OBNL événementiels, notamment culturels, où les bailleurs de fonds commanditaires leur demandent d’avoir un plan d’action, puis, pour certains, un bilan de GES. »
Pour une PME, produire un bilan carbone demeure un exercice assez simple, rassure la consultante. « Quand on évalue l’impact des fournisseurs d’une PME, on s’appuie généralement sur des bases de données. Si, par exemple, une entreprise achète une table, on ne va pas contacter le fabricant de la table, on consultera une base de données pour connaître l’empreinte [moyenne] d’une table. » En revanche, si un fournisseur approvisionne une institution publique ou une grande entreprise internationale, il se peut que les exigences soient plus élevées. Ellio a accompagné des entreprises qui ont dû s’engager dans le protocole public du Carbon Disclosure Project (CDP) ou de la SBTi.
Face à de telles demandes, les fournisseurs peuvent choisir de faire le minimum requis. Ou alors, ils peuvent saisir l’occasion d’engager une réflexion stratégique. « Au départ, les entreprises veulent comprendre leur effet sur l’environnement, explique Anne Lautier, spécialiste en cycle de vie chez Ellio. Nous, on réfléchit avec elles à des stratégies de décarbonation. Ensuite, plutôt que de regarder uniquement l’aspect opérationnel et de chercher à réduire les émissions, on les amène à réfléchir sur la vision des services et des activités de leur entreprise dans un monde décarboné. On essaie d’amener les entreprises à repenser leur modèle d’affaires. » Pour y arriver, Anne Lautier encourage à utiliser la méthode ACT (Assessing Low Carbon Transition), développée en France par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie afin de mener une analyse approfondie des risques et des occasions liés aux changements climatiques.
Se placer en avant de la parade
Lorsque Regitex s’est engagée dans une démarche de développement durable, il y a trois ans, aucun de ses clients ne lui avait encore demandé de produire un « bilan carbone » ou un « plan de décarbonation ». Néanmoins, le fabricant de fils pour les industries textiles a choisi de se placer « en avant de la parade » en effectuant — avec le consultant Umalia — une « analyse de matérialité » visant à comprendre les répercussions de ses activités sur toutes ses parties prenantes (employés, clients et fournisseurs) pour ensuite créer un tableau de bord lui permettant de calculer son empreinte carbone « en temps réel ».
« Si on veut intégrer des critères écoresponsables dans notre gestion quotidienne, produire un bilan carbone une fois par année n’est pas suffisant, croit Emmanuelle Gélébart, stratège en impact durable à Regitex. Pour en faire un outil de décision, il faut que ces critères soient dans nos tableaux de bord de KPI. » L’approche présente deux avantages : Regitex peut plus facilement partager cette information avec des clients potentiels, tout en attirant des partenaires d’affaires « pérennes », eux aussi préoccupés par les questions climatiques.
Le fabricant beauceron garde également en tête les nouvelles lois qui viendront accélérer la transition énergétique, incluant l’obligation pour les fabricants de différents secteurs d’activité de gérer la fin de vie de leurs produits (« Responsabilité élargie des producteurs » appliquée par Recyc-Québec depuis janvier 2023) « En discutant avec nos clients et nos fournisseurs, ça nous permet d’anticiper la création de produits innovants qui sont plus facilement démontables », explique la stratège. On comprend que, bientôt, les obligations environnementales des entreprises dépasseront largement la simple production d’un bilan carbone.