Assurance-médicaments : pour ou contre la nationalisation?

Publié le 03/10/2019 à 00:20

Par Normandin Beaudry

Le gouvernement canadien veut nationaliser les régimes d’assurance-médicaments. Dans cette optique, il a créé en 2018 un Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Déposé en juin 2019, le rapport final du Conseil propose des changements majeurs qui affecteraient tous les Canadiens et leurs employeurs, et qui pourraient bien devenir un enjeu électoral.

Pourquoi une réforme est-elle souhaitable?
L’assurance-médicaments des Canadiens est malade. Elle présente deux symptômes graves :

• L’accessibilité et la couverture des assurances souffrent de lacunes importantes. Environ 7,5 millions de Canadiens — soit un sur cinq — ont une assurance insuffisante ou n’en ont pas du tout. Parmi eux, plus de 600 000 n’ont accès à aucune assurance.

• Le coût des médicaments devient un poids inquiétant. Il a triplé au cours des 30 dernières années en proportion du PIB : il en représente aujourd’hui 1,6 %. Les Canadiens paient leurs médicaments 25 % de plus que le prix médian payé par les habitants des pays développés. Certains médicaments peuvent même coûter chaque année plusieurs centaines de milliers de dollars par patient.

La façon dont les médicaments sont remboursés varie beaucoup d’une province à l’autre, et le Québec est loin d’être la plus mal lotie.

« Tous les Québécois bénéficient d’une assurance-médicaments : un peu plus de la moitié ont une assurance privée, habituellement liée à leur emploi, et l’autre moitié peut compter sur le régime public, rappelle Frédéric Venne, associé en assurance collective chez Normandin Beaudry. Aucun Québécois ne paie plus de 1 087 $ par année pour ses médicaments. »

Le modèle québécois n’est cependant pas parfait. Le prix d’achat des médicaments y est plus élevé que dans les autres provinces. Et les clients de régimes privés paient leurs médicaments plus cher que ceux qui bénéficient du régime public — un déséquilibre qui pénalise injustement une partie de la population.

Ce que propose le Conseil consultatif
Le Conseil consultatif recommande de suivre l’exemple de l’assurance maladie. Il propose un tout nouveau régime d’assurance-médicaments qui serait universel, public et à payeur unique.

Une nouvelle agence canadienne des médicaments évaluerait l’efficacité des médicaments sur ordonnance et en négocierait le prix avec les entreprises pharmaceutiques, au nom de toutes les provinces. Les médicaments essentiels dès 2022, puis l’ensemble des médicaments nécessaires à la santé des citoyens, à partir de 2027, seraient payés par le gouvernement canadien.

« La base du régime national serait publique et gérée par le gouvernement fédéral. Les provinces et territoires pourraient offrir des régimes plus généreux que le régime national, et les individus pourraient contracter des assurances privées complémentaires. Comme la majorité des médicaments seraient pris en charge par le fédéral, serait-il toujours viable pour les assureurs de prendre en charge les autres médicaments? Une bonne proportion des Canadiens y seraient perdants », résume Frédéric Venne.

Ce que les partis politiques devront préciser
Le Conseil consultatif promet aux ménages canadiens que, grâce au régime proposé, leurs dépenses directes pour l’achat de médicaments d’ordonnance seront plafonnées à 100 $ par an, alors qu’ils dépensent en moyenne 450 $ actuellement. Il promet aussi aux employeurs qui fournissent une assurance-médicaments une économie récurrente annuelle de 750 $ par employé.

Une partie de l’économie viendra de la force de négociation de l’agence fédérale, qui devrait faire baisser le coût d’acquisition des médicaments. Le Conseil prévoit qu’un régime national permettra, à terme, d’économiser 5 milliards $ par an en dépenses pour les médicaments d’ordonnance.

« Cette baisse des prix ne pourra pas financer l’ensemble du régime et son fonctionnement », prévient Frédéric Venne. Si, dans quelques années, les Canadiens déboursent beaucoup moins au comptoir des pharmacies, paieront-ils une partie de la différence par leurs impôts ou de nouvelles taxes? Ou les employeurs devront-ils faire face à de nouvelles charges sociales?

« La question du financement du régime est toujours sans réponse, continue Frédéric Venne. En campagne électorale, un parti qui appuierait le projet d’un régime national d’assurance-médicaments devrait aussi expliquer comment il le financera. »

D’autres éléments du projet restent à préciser ou prêteront sans doute à discussion :

• Comment les provinces accueilleront-elles le projet de laisser Ottawa prendre en charge l’assurance-médicaments, surtout si cela implique des hausses de taxes ou de charges sociales pour leurs résidents ou leurs entreprises? Le gouvernement du Québec a déjà annoncé qu’il demanderait un droit de retrait. Dans ce contexte, les citoyens québécois pourraient-ils être en droit de s’attendre à ce que certaines lacunes du système actuel soient corrigées?

• Les grandes entreprises gagneront-elles au change, si elles ne peuvent plus se distinguer de leurs concurrentes dans le marché du travail en offrant des programmes d’assurance-médicaments plus généreux?

« Regrouper les achats de médicaments au niveau national pour mieux négocier leur prix serait certainement très bénéfique, tant pour les régimes privés que publics. D’ailleurs, une réforme de l’encadrement du prix des médicaments a déjà été proposée en 2018 et est en attente du feu vert du gouvernement fédéral. Ce feu vert peut être donné indépendamment de la décision sur l’assurance nationale publique. A-t-on besoin de confier toute la gestion du programme à une structure publique nationale? Pourquoi remplacer certaines composantes qui fonctionnent bien actuellement, notamment au Québec, et ne plus profiter plus d’une émulation compétitive entre les assureurs privés? » se demande Frédéric Venne. Le débat est lancé.

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