Les deux mains sur le volant pour une transition réussie

Publié le 18/05/2021 à 00:01

Pendant que pays et industries s’affairaient ces dernières années à chercher la voie vers une société sobre en carbone, les campagnes incitant les investisseurs à délaisser les combustibles fossiles ont avancé un autre sujet de discussion: quel rôle le secteur financier devrait-il jouer dans la lutte contre les changements climatiques? Bien que le mouvement ait gagné des adeptes en cours de route, de nombreux investisseurs ont choisi une approche différente : stimuler la transition grâce au dialogue avec des entreprises, dans tous les secteurs de l’économie. Le portefeuille comme levier, pour ainsi dire.

« Nous pouvons soit retirer des sociétés du portefeuille, soit utiliser celui-ci pour réduire les émissions de carbone générées par notre économie », affirme Roger Beauchemin, président et chef de la direction d’Addenda Capital, une société de placements multi actifs axée sur l’investissement durable. L’idée de construire un portefeuille faible en carbone est louable, ajoute-t-il. Toutefois, le recours au dialogue pour faciliter la transition peut produire des résultats nettement plus bénéfiques. « Vous utilisez le portefeuille pour obtenir des résultats à la fois financiers et extra financiers. »

Selon Environnement et Changement climatique Canada, les trois secteurs économiques responsables de la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre au Canada en 2019 étaient le pétrole et le gaz (26 % des émissions totales), le transport (25 %) et les bâtiments (12 %). Le secteur pétrolier et gazier a enregistré une hausse de 82 % entre 1990 et 2018, en grande partie en raison de l’expansion de l’exploitation des sables bitumineux dans l’Ouest canadien.

Le Canada s’est engagé à lutter contre les changements climatiques et vise à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. En vertu de l’Accord de Paris, le pays s’est fixé comme objectif de réduire ses émissions de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, une cible passée à 40-45 % au cours des dernières semaines. Une chose est claire : des choix et des décisions difficiles sont à prévoir.

Ces secteurs émetteurs de carbone regroupent toutes sortes d’entreprises partout au pays, ce qui signifie non seulement que des emplois sont en jeu, mais aussi le gagne-pain de milliers de ménages et de collectivités. « La réalité est que de nombreuses familles et entreprises canadiennes dépendent d’une transition réalisée avec soin, avec succès et aussi rapidement que possible. » Il faudra cependant avoir les deux mains sur le volant, dit M. Beauchemin, d’où l’idée de mettre les portefeuilles à l’œuvre plutôt que de se départir des actifs.

Au cours des dernières années, institutions et particuliers partout dans le monde ont entendu l’argument selon lequel l’élimination des combustibles fossiles dans les portefeuilles — que ce soit sous forme de fonds, d’actions ou d’obligations à divers degrés — contribuera à un avenir plus sobre en carbone. Ce à quoi d’autres répondront : pourquoi se priver d’une voix auprès des entreprises qui ont le plus besoin de réduire leurs émissions? Rappelons que les produits pétroliers sont des intrants essentiels pour de nombreux secteurs et industries, ce qui exige la mobilisation d’un plus grand nombre de parties prenantes qu’il n’y paraît au premier coup d’œil. De plus, seulement environ 30 % de l’offre mondiale de pétrole et de gaz provient de producteurs indépendants, lesquels sont souvent en concurrence avec des sociétés d’État qui ne sont pas soumises à la pression des actionnaires.

M. Beauchemin sait que les sceptiques douteront du recours au portefeuille comme outil stratégique, mais il y a là une occasion unique de changer l’économie canadienne pour le mieux, dit-il. « Ce scepticisme assure la rigueur des mesures qui sont attendues. Une société pétrolière peut élaborer un plan de réduction des gaz à effet de serre pour 2050, mais il faut aller plus loin, creuser davantage et l’aider à atteindre ses cibles. Bref, nous avons tous besoin qu’ils réussissent. »

Les arguments en faveur de stratégies axées sur la transition se sont retrouvés bien en évidence dans le rapport final du Groupe d’experts sur la finance durable en 2019. « La mobilisation permet aux gestionnaires d’actifs d’aider directement les sociétés à progresser de manière à se doter d’un avantage concurrentiel dans le contexte de la transition de l’économie », peut-on y lire. « Cela offre aussi l’occasion de tenir un dialogue constructif avec les sociétés qui sont particulièrement exposées aux risques de transition ou aux risques climatiques avant d’en arriver à envisager un désinvestissement. » Entre autres choses, l’investissement durable devrait être promu « en tant qu’investissement normal », a-t-il mentionné.

Selon M. Beauchemin, la stratégie de transition appliquée aux portefeuilles a le vent dans les voiles et doit être affirmée. Certes, travailler sur la transition en tant qu’investisseurs — en encourageant les émetteurs de carbone à améliorer leurs activités — est la voie la plus difficile, ajoute-t-il. Mais cette culture de semis aura un impact positif pour l’avenir. « Nous construisons nous-mêmes la route; nous savons où nous devons aller, mais ce ne sera pas une ligne droite. Notre génération doit la construire. Les générations futures de Canadiens pourront ensuite en profiter. »

 

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