Les avocats forcés à innover

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Janvier 2018

Les avocats forcés à innover

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Édition du 13 Janvier 2018

Plus de 88 % des gens n’auraient pas la capacité de payer des avocats traditionnels.

Les anciens modèles de cabinet sont-ils dépassés? Le client, plus exigeant ou moins fortuné, fait aussi partie du changement de paradigme. La legaltech a bouleversé la profession d'avocat. Cette dernière doit agir rapidement pour mettre en lumière le savoir juridique et changer son modèle économique.

Avocats-robots, marchés mouvants, pression sur la tarification: la concurrence est vive dans le milieu du droit. Innover semble inévitable. Quoi faire, en tant qu'avocat ou cabinet, pour se démarquer, rester à flot et attirer des clients ?

Si quelqu'un connaît la réponse, c'est Alexandre Désy. Il y a deux ans, il était chargé d'étudier l'avenir du droit au sein du Barreau du Québec. Aujourd'hui, il donne des conférences internationales sur le sujet. Cette année, le Barreau lui a même remis le Mérite Innovations - Accès justice, une distinction qui souligne un apport en matière d'innovation technologique, communicationnelle ou administrative. C'est aussi lui qui a fondé OnRègle, en 2015, un site web qui offre des services juridiques en ligne à bas prix. La plateforme permet notamment à deux parties de régler leur litige en négociant. C'est gratuit si elles n'arrivent pas à s'entendre, sinon l'entreprise charge des frais de transaction de 2,5 %. Le second est un service de rédaction de mise en demeure au prix de 50 $. Le troisième service, lancé récemment, vise à permettre aux gens d'avoir, en moins d'une heure, un accès téléphonique de 15 minutes à un avocat, pour 40 $. «On veut que nos services coûtent dix fois moins cher que les services traditionnels», explique M. Désy.

Les cabinets privés doivent-ils donc s'inquiéter des nouveaux services innovateurs et à bas prix comme le sien ? Pas selon lui. Il explique que plus de 88 % des gens ne veulent plus ou n'ont pas la capacité de payer des avocats traditionnels. C'est pour eux trop cher, trop long, trop complexe. L'objectif n'est donc pas de voler la clientèle des cabinets établis, mais bien de servir des gens qui ne sont pas desservis pour le moment. «Les cabinets fonctionnent comme des artisans, dit M. Désy. Ils font tout à la main. Il faut rendre accessibles des produits standards, du Ikea. Il y a un problème d'accès à la justice parce qu'on n'offre que des Ferrari, pas de Toyota.»

Oui au Web

Les plus vieux cabinets devront donc s'adapter. Dans le passé, un avocat attirait sa clientèle par sa réputation, en donnant des conférences et en se fiant au bouche-à-oreille. Aujourd'hui, 75 % des gens vont chercher de l'information sur Internet quand ils ont un problème juridique. Les avocats devront donc commencer à se faire connaître sur Internet, où se trouvent maintenant les clients potentiels.

Legal Logik l'a compris. Nommé cabinet d'avocats le plus novateur au Canada en 2015 et en 2016 par Corporate LiveWire, le cabinet montréalais met en ligne une foule de contenus juridiques : blogue, guides, capsules vidéo diffusées sur sa minichaîne télé. Un internaute qui connaît un problème de vice caché peut par exemple télécharger un guide qui lui explique les étapes à suivre pour régler son problème.

«Ça démystifie le processus et ça crée un lien de confiance. En diffusant du contenu, on devient une référence. Quand quelqu'un se retrouve avec un problème juridique, il pense donc naturellement à nous», explique Jamie Benizri, directeur et fondateur de Legal Logik.

Ce cabinet est également passé à la facturation forfaitaire. Il n'est pas le seul. Le cabinet lavallois Alepin Gauthier lancera sous peu un programme nommé Bras droit, qu'il prétend unique au Québec. Essentiellement, il s'agira d'un service d'accompagnement sur mesure pour les PME, qui se traduira pour un client par un accompagnement illimité en temps sur l'année, une sorte d'abonnement annuel.

Dur, dur de s'adapter

M. Désy admet qu'innover en droit n'est pas naturel. À cet égard, le Québec montre selon lui une plus grande ouverture que d'autres régions du monde, mais la situation est loin d'être parfaite. Le milieu légal est toujours en retard, par exemple, sur le milieu de la finance. Alors que l'on parle de fintech depuis plusieurs années, on commence à peine à parler de legaltech avec le lancement, le 30 novembre dernier, de la première grappe montréalaise en legaltech.

Le modèle d'affaires traditionnel en droit, par exemple, est toujours un frein à l'innovation. «Le modèle du "partnership" n'est pas fait pour investir et n'encourage pas l'innovation. Un associé qui part dans deux ans ne voudra jamais investir son salaire pour développer une nouvelle technologie», dit M. Désy. Les avocats établis qui gagnent de bons salaires ne veulent pas non plus mettre leur pratique de côté pour se lancer en affaires. Innover tombe donc assez naturellement dans les bras des jeunes. C'est peut-être une bonne nouvelle pour eux, parce qu'ils ont actuellement de la difficulté à se trouver du travail. «Au pays, il y a pour 22 milliards de dollars de litiges de moins de 60 000 $. Et ce marché n'est pratiquement pas desservi. C'est tout un marché à développer ! Pour les jeunes, les innovateurs, les entrepreneurs, c'est une grande occasion qui pourrait créer de l'emploi.»

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