Faites appel à l'immigration, mais sans improvisation

Offert par Les Affaires


Édition du 29 Septembre 2018

Faites appel à l'immigration, mais sans improvisation

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Édition du 29 Septembre 2018

[Photo: 123RF]

Enjeu chaud de l'actuelle campagne électorale provinciale, l'immigration est perçue comme l'une des principales solutions au problème criant de pénurie de main-d'oeuvre auquel le Québec fait face.

Lebel fait boom

Parlez-en au maire de Lebel-sur-Quévillon, un village de 2 200 âmes situé à six heures de route de Montréal, à cheval entre l'Abitibi et le Nord-du-Québec. D'ici deux ans, Alain Poirier estime que sa municipalité devra réussir à attirer un minimum de 800 travailleurs pour répondre aux besoins de main-d'oeuvre de Nyrstar (mine Langlois), Minière Osisko, Ressources Métanor, Chantiers Chibougamau (Comtois), toutes en croissance dans les environs.

Andrew Artus, directeur des ressources humaines de la multinationale Nyrstar, confirme que la situation représente un réel casse-tête dans une région où le plein emploi sévit - comme s'il s'agissait d'un malheur ! - depuis des années. Il ne suffit plus de trouver son personnel, de le former et de bien le traiter (le salaire de départ d'un mineur dépasse les 100 000 $). Encore faut-il parvenir à contrer les charmes de la concurrence (allocation de subsistance, primes d'éloignement et à la performance), prête à tout moment à vous arracher vos meilleurs talents.

Avant que le rêve ne se transforme en cauchemar, le maire Poirier a créé un comité pour définir une stratégie. Le défi, surréaliste : trouver preneur pour des centaines de postes rémunérés bien souvent dans les six chiffres. À cette table : des représentants de Services Québec, de groupes communautaires, des commissions scolaires, de la chambre de commerce locale et... du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion.

«Nous avons des citoyens de 18 nationalités différentes qui se côtoient actuellement chez nous, à Lebel-sur-Quévillon. Des Tunésiens, des Marocains, des Haïtiens... Bref, ils sont environ 120 à ne pas être nés au Canada. Plusieurs viennent avec leur épouse, et leurs enfants fréquentent nos écoles. Et nous sommes super contents. Franchement, je ne vois pas comment on pourrait espérer faire face au défi de croissance extrême qui se présente à nous sans l'apport précieux de l'immigration.»

Des gens de l'île Maurice dans Lanaudière

Des 1,3 million d'emplois qui seront à pourvoir d'ici 10 ans au Québec, le gouvernement s'attend à ce que 20 % le soient par l'immigration.

Chez Olymel, par exemple, propriété de la Coop fédérée du Québec, on a recours à l'immigration depuis des années, tant au Québec qu'en Alberta et qu'au Nouveau- Brunswick, où sont réparties quelques-unes de ses 31 usines de transformation alimentaire du pays.

À Saint-Esprit, dans Lanaudière, Olymel a fait venir 80 travailleurs de l'île Maurice en 2009. «Un succès d'intégration, assure son porte-parole, Richard Vigneault. De l'ensemble, 90 % sont restés.»

En mars dernier, une autre vague de 119 immigrants sont arrivés à Vallée-Jonction, en Beauce où, là aussi, le chômage est presque inexistant. Et ce n'est pas terminé, car après avoir créé 2 000 emplois au pays depuis un an, l'entreprise s'attend à devoir en embaucher autant l'an prochain. À Yamachiche, en Mauricie, en outre, où un investissement de 118 millions de dollars lui permet de doubler de taille à plus de 1 100 employés.

«Les régions réalisent que la croissance économique d'une région ne peut pas se faire sans main-d'oeuvre. Sans main-d'oeuvre, il n'y a pas de croissance», affirme M. Vigneault.

Des Mexicains à Gaspé

À une autre échelle, Bill Sheenan pourrait en dire autant. Il est vice-président de E. Gagnon & Fils, un transformateur de produits de la mer (crabes des neiges, homards, flétan, etc.) de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, un village de 1 600 habitants à l'ouest de Percé.

«On y pensait depuis trois ou quatre ans. Puis, l'an passé, on a perdu des occasions d'affaires parce que nous n'avions pas assez de main-d'oeuvre. C'est là où on a décidé de nous tourner vers l'immigration temporaire.»

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) permet à une entreprise de recourir à une main-d'oeuvre étrangère pour des périodes renouvelables de quelques semaines, allant jusqu'à deux ans généralement, selon les secteurs. Par la loi, ces immigrants sont tenus de profiter des mêmes conditions (salariales ou autres) que les travailleurs québécois de la même entreprise.

Il n'en fallait pas plus pour que l'entreprise achète un gîte pour les loger, et entame les procédures pour faire venir une trentaine de travailleurs pendant la période de pointe, qui s'étend d'avril à la fin juin. Résultat : 29 Mexicains ont débarqué en Gaspésie au printemps pour travailler dans l'usine de 500 travailleurs pendant la haute saison. À des activités de journaliers, affectés à la réception, au démembrement, à l'emballage, dans des locaux dont la température varie entre 4 et 10 degrés.

Malgré les coûts liés à une telle démarche (de 4 000 $ à 5 000 $ par travailleur pour les frais de transport, d'administration, de permis, etc.), M. Sheenan ne regrette pas l'expérience. «Ça a été comme sur des roulettes. Ils étaient disciplinés, ils travaillaient bien. Vraiment, je n'ai rien à redire. Si je le peux, je vais même en faire venir davantage le printemps prochain.»

Attention à l'improvisation

Évidemment, faire venir des immigrants en fonction des besoins changeants de son entreprise se révèle plus facile à dire qu'à faire. Et pour les non-initiés, en particulier, pour les entreprises aux ressources limitées, les démarches administratives liées à un tel projet peuvent rapidement se transformer en parcours du combattant.

«Les entreprises n'ont pas d'aide ou en ont très peu pour les guider dans leurs démarches. Si tu n'as pas l'expertise, l'équipe nécessaire pour t'en occuper, tu es foutu. Tu risques de ne jamais y arriver», affirme Julie Lessard, associée de BCF, l'un des plus importants cabinets d'avocats spécialisés en immigration d'affaires et en mobilité globale au Québec.

Au cours des années, cette avocate affirme avoir rencontré plusieurs entreprises qui ont tenté l'expérience par elles-mêmes ou par des intermédiaires douteux. Et de se retrouver invariablement avec des factures gonflées, pouvant aller de 18 000 à 20 000 $ par employé, alors qu'elles auraient pu normalement s'en tirer pour trois fois moins.

René Vincelette, vice- président, Ressources humaines et service à la clientèle du Groupe Lacasse, un manufacturier de meubles de Saint-Pie, près de Saint-Hyacinthe, peut témoigner de cette réalité. L'entreprise de plus de 500 employés reçoit fréquemment la visite de consultants ou d'agences qui prétendent pouvoir régler tous leurs problèmes de main-d'oeuvre.

«C'est difficile pour nous de juger la crédibilité de ces agences, dit-il. Il en passe pratiquement toutes les semaines. On ne sait pas toujours qui est qui. Il y en a de toute sorte, avec des contacts apparents sur tous les continents. Pour nous, ce qui importe est de trouver de bons employés, fiables et au passé net.»

Des Camerounais en Beauce

Manac, de Saint-Georges, en Beauce, a recours à des travailleurs étrangers depuis 2012. La première cohorte, qui regroupait un total de 17 soudeurs, est venue du Nicaragua avec un permis de travail de deux ans en poche. Du nombre, neuf y travaillent toujours et sont en voie d'obtenir leur résidence permanente.

«Certains sont repartis, surtout pour des raisons familiales. D'autres finissent par faire venir leur famille. C'est le cas, depuis deux ans, de plusieurs Nicaraguayens. Sur 25, le tiers ont décidé de faire venir leur famille», explique Louise Couture, responsable des ressources humaines chez Manac, l'employeur de 800 personnes à Saint-Georges.

Dernièrement, l'entreprise a fait venir des travailleurs du Cameroun, en Afrique. L'avantage, dit-elle, est qu'ils parlent déjà français. Les travailleurs ont été interviewés et testés (au soudage) à distance par l'intermédiaire d'images transmises par Skype.

Le choix des candidats, les dédales administratifs liés à leur venue, n'est jamais une solution simple, explique Mme Couture. Mais les solutions de rechange sont rares. Avec le vieillissement de ses travailleurs, Manac vit dans un état perpétuel de recrutement. «Auparavant, nous vivions une rareté de main-d'oeuvre. Là, je peux vous dire qu'on parle vraiment de pénurie.»

Pas de travailleurs, pas de croissance

Une situation qui risque de compromettre nombre de projets économiques dans plusieurs régions. C'est le cas entre autres de Serres Toundra, de Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, une PME spécialisée dans la culture de concombres en serres.

Après un investissement initial de 43 M $ dans de la première phase du projet, l'entreprise en activité depuis 2017 pourrait ne jamais réaliser les trois phases subséquentes attendues. La raison principale : le manque criant de main-d'oeuvre pour occuper ces emplois permanents, explique Karl Blackburn, porte-parole de Produits forestiers Résolu, actionnaire à 49 % des parts de Serres Toundra.

«Nous pensions que les jeunes, la main-d'oeuvre féminine et les Premières Nations auraient pu aider à pallier un faible chômage dans la région. Ce sont de bons emplois ; les salaires dépassent les 20 $ de l'heure. Mais non. Quatorze mois plus tard, force est d'admettre que si Serres Toundra n'avait pas recours à des travailleurs du Guatemala pour occuper plus de la moitié des postes, l'entreprise aurait déjà fermé.»

 

Lisez notre série de textes sur l'immigration, comme solution à l'actuelle pénurie de main-d'oeuvre:

Immigration comme solution aux quatre coins du Québec

Immigration: des entreprises tentent la voie du regroupement

Immigration: des réticences bien ancrées

Pénurie: recourir à la main-d'oeuvre marginalisée de Montréal

 

 

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