Ce que les usines allemandes ont de plus


Édition du 19 Mai 2018

Ce que les usines allemandes ont de plus


Édition du 19 Mai 2018

Par François Normand

Plusieurs multinationales participaient, dans la semaine du 23 avril, au ­Hannover ­Messe, à ­Hanovre, la plus grande foire manufacturière au monde et ­La ­Mecque du manufacturier 4.0. [Photo : © Deutsche Messe]

Pour survivre à la concurrence de la Chine, l'industrie manufacturière allemande a révolutionné ses façons de faire pour être encore plus efficace en créant l'usine intelligente. Les dernières avancées ont été présentées récemment au Hannover Messe, en Allemagne, la plus grande foire commerciale au monde. Des enjeux, des occasions et principales sources d'inspiration pour le Québec.

Dans la plus grande usine Volkswagen du monde, à Wolfbourg, tout est interconnecté et la gestion des ressources est optimale. Les robots font de la production de masse personnalisée en ajoutant des spécifications aux véhicules à l'aide de code barres. Il n'y a aucun entrepôt : tout est livré en juste-à-temps et 100 % des résidus sont recyclés, même si l'usine consomme 2 600 tonnes d'acier par jour. Bref, ce site de production est à la fine pointe du manufacturier 4.0.

La chaîne de montage de la plus grande usine de Volkswagen est automatisée à 96 %. Mais les humains n'ont pas disparu pour autant du processus de production : 35 000 ouvriers y travaillent pour l'installation de pièces dans les véhicules ou encore le contrôle de qualité. Ils sont en revanche de plus en plus qualifiés et multitâches.

Volkswagen a plaidé coupable aux États-Unis d'avoir utilisé des techniques pour masquer les émissions polluantes de certains de ses moteurs, mais demeure un leader en matière d'usine intelligente, aux côtés d'autres multinationales allemandes comme Bosch (équipements), Siemens (conglomérat industriel), Festo (systèmes d'automatisation) et BMW (automobiles).

Toutes ces entreprises participaient, la semaine du 23 avril, au Hannover Messe, à Hanovre, la plus grande foire manufacturière au monde (210 000 visiteurs et 5 800 exposants) et La Mecque du manufacturier 4.0.

Le Québec (et le Canada) en retard

On trouve des usines intelligentes, c'est-à-dire des usines qui utilisent, connectent et intègrent les nouvelles technologies, dans tous les pays industrialisés - même la Chine fait des progrès rapides. En revanche, les spécialistes affirment que les Allemands ont clairement une longueur d'avance. « Les entreprises manufacturières allemandes sont celles qui se sont le plus modernisées », affirme le PDG d'Investissement Québec (IQ), Pierre Gabriel Côté, lors d'un entretien au kiosque du Québec au Hannover Messe - le seul kiosque du Canada.

De concert avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, IQ dirigeait une délégation d'organisations québécoises que nous avons accompagnées. Le ministère de l'Économie de la Science et de l'Innovation (MESI) pilotait aussi la sienne.

Depuis un an et demi, le Québec a fait des progrès importants grâce à la politique du manufacturier innovant articulée par Investissement Québec. Malgré tout, l'industrie québécoise traîne la patte (tout comme, du reste, le Canada), admet Pierre Gabriel Côté.

Ainsi, 75 % des entreprises allemandes ont automatisé leurs processus, comparativement à 55 % des entreprises américaines et à seulement 25 % des entreprises québécoises, selon l'étude Le manufacturier avancé : enquête sur l'automatisation du secteur manufacturier au Québec, publiée en 2017 par l'Alliance canadienne pour les technologies avancées.

L'automatisation des procédés est une étape importante pour rendre une usine intelligente, mais pour être entièrement 4.0, une usine doit être avant tout interconnectée : les machines doivent se parler entre elles et s'ajuster en temps réel à l'offre et à la demande.

Non seulement les entreprises allemandes le font déjà à grande échelle, mais elles investiront pas moins de 40 milliards d'euros (61,5 G$) d'ici 2020 afin d'accélérer leur transformation numérique, selon le Germany Trade & Invest, une agence fédérale impliquée dans la numérisation de l'industrie allemande.

Pourquoi l'Allemagne met-elle les bouchées doubles ? Pour une simple raison : la concurrence chinoise, affirme sans hésiter Joris Myny, vice-président des procédés industriels et de la division Usine numérique chez Siemens Canada. « C'était une question de survie, et pas parce qu'il y a une concentration de personnes intelligentes en Allemagne », laisse-t-il tomber en marge d'un briefing sur l'usine intelligente.

Comme le secteur manufacturier compte pour environ 23 % du PIB de l'Allemagne (14 % au Québec) et que les salaires y sont très élevés, l'industrie devrait absolument réagir à la concurrence des pays asiatiques à faible coût de production, à commencer par la Chine.

C'est pourquoi l'Allemagne a pratiquement inventé la quatrième révolution industrielle, celle du manufacturier 4.0, au tournant des années 2010, soulignent différentes études.

Résultat: les entreprises allemandes sont plus innovantes et plus efficaces. Elles fabriquent aussi des produits de plus grande qualité à moindre coût, en plus de pouvoir les mettre en marché plus rapidement. Le géant mondial des articles de sport Adidas a fait passer ce délai de 18 à 2 mois grâce à son concept de Speedfactory.

Cela dit, des entreprises allemandes, surtout des PME, résistent encore à cette révolution en raison des enjeux de cybersécurité, selon une étude de la Fondation Friedrich-Ebert.

Des humains à l'écoute des robots

Dans ce contexte, à quoi pourrait ressembler l'usine du futur ou l'usine intelligente modèle à la lumière de l'édition 2018 du Hannover Messe ?

« C'est une usine où l'homme fait les choses que lui dictent les robots », affirme Stéphane Agnard, directeur de la R-D et de la performance usinage chez APN Global, l'une des trois entreprises québécoises qui exposaient au kiosque du Québec à Hanovre. L'employé fait des tâches multiples et devient un « mini-superviseur » de la production. « L'idée, c'est d'automatiser la prise de décision, et ce, pour les procédés, les processus et le management », explique-t-il.

Cette PME de Québec, qui fabrique des pièces de précision pour les secteurs de l'aérospatiale, de la défense et des hautes technologies est la seule entreprise à détenir la certification Vitrine 4.0 du gouvernement du Québec. APN commercialise aussi depuis peu le logiciel Meta 4.0 qu'elle a conçu et qui permet aux entreprises d'optimiser leur processus de production.

L'usine intelligente reposera aussi sur l'intelligence artificielle, avec des robots qui apprendront par eux-mêmes, sans que des humains aient besoin de les programmer.

Par exemple, l'Institut allemand Fraunhofer, la plus importante organisation de recherche appliquée en Europe qui fait des contrats de recherche pour le secteur privé, a développé des robots qui apprennent ce qu'ils doivent faire en fonction du type et de la taille des pièces à leur disposition dans une usine.

La collaboration entre les humains et les robots sera également plus importante dans l'usine du futur, notamment à cause des véhicules à guidage automatique (VGA ou AGV en anglais). Ce sont des robots qui se déplacent seuls dans l'usine afin d'apporter des pièces aux travailleurs. « Cela permet de réduire les coûts de production et d'augmenter la productivité des entreprises », affirme Uwe Eschment, directeur général de Torwegge, une PME allemande qui fabrique des technologies de transport et de manutention.

La réalité augmentée (une interface virtuelle, en 2D ou en 3D, qui vient enrichir la réalité en y superposant des renseignements complémentaires) sera aussi très utile aux entreprises manufacturières, affirment divers spécialistes interviewés au Hannover Messe. Cette technologie permet d'évaluer des options de système à moindre coût et plus rapidement. « C'est aussi plus facile d'obtenir de la rétroaction », confie Masud Fazal-Baqaie, chef de groupe au Fraunhofer-Design de systèmes mécatroniques.

Des start-up allemandes commencent aussi à travailler sur l'optimisation topologique automatisée et intégrée pour la fabrication additive (l'impression 3D). Ces logiciels permettent d'imaginer et de fabriquer très rapidement des pièces très complexes que des ingénieurs mettraient beaucoup de temps à concevoir avec des essais et des erreurs. À terme, cette technologie pourrait permettre aux entreprises d'accroître leur capacité d'innover tout en réduisant leurs coûts.

La technologie du digital twin (ou jumeau numérique) est aussi très prometteuse pour les entreprises manufacturières du Québec, estime Louis J. Duhamel, un spécialiste du secteur manufacturier et conseiller stratégique chez Deloitte, à Montréal.

Grâce à cette technologie, il est possible de répliquer un actif existant ou un projet d'actif, comme une usine à part entière, dont on peut modifier la configuration ou la disposition de la chaîne de production. Selon Louis J. Duhamel, cette technologie favorise l'innovation et la prise de risque. « Avec le digital twin, on peut faire des erreurs, on peut tester des choses à moindre coût », dit-il.

Approvisionnement et commercialisation plus efficaces

Les technologies liées au manufacturier 4.0 permettent aussi d'améliorer l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement des entreprises, souligne Stefan Krawinkel, responsable de la transformation numérique chez Volkswagen.

À son usine de Wolfbourg, le constructeur automobile travaille sur un système automatisé et intelligent afin d'accroître la fluidité du déchargement des composants et des pièces servant à fabriquer les voitures. « Cela permet d'optimiser nos coûts de fret », dit-il lors de la visite de l'usine de Wolfbourg.

Ainsi, quand un camion arrive sur le quai de déchargement, une grande porte latérale s'ouvre sur le côté du véhicule. Un robot muni d'une caméra peut sortir par lui-même les composants ou les pièces qui seront ensuite acheminés sur la chaîne de production.

Il va sans dire que ce type de système nécessite la collaboration des fournisseurs de Volkswagen afin de préparer en amont le camion pour les robots. Mais, en fait, ils n'ont pas le choix s'ils veulent continuer à faire des affaires avec Volkswagen, selon Stefan Krawinkel.

Les nouvelles technologies permettent aussi aux entreprises manufacturières d'offrir des solutions plus efficaces et d'offrir davantage de valeur ajoutée à leurs clients; le fabricant de matériel agricole Claas en est un bel exemple.

La multinationale allemande fabrique des tracteurs intelligents qui permettent de faire du e-farming. « Les cockpits de nos tracteurs sont munis de système électroniques connectés », explique Philip Vospeter, directeur de la transformation numérique chez Claas, lors d'une présentation au siège social de l'entreprise, à Harsewinkel.

Ainsi, les agriculteurs peuvent utiliser toutes les données fournies par des satellites, des drones ou des senseurs installés dans le sol afin d'optimiser leur rendement agricole, en arrosant par exemple de manière optimale au mètre près dans les champs.

Selon Claas, l'utilisation de ces technologies permet aux agriculteurs de réduire les pertes et d'augmenter la productivité. Bref, de faire plus avec moins, ce qui permet aussi d'augmenter la rentabilité des entreprises agricoles.

Les travailleurs devront se réinventer

La quatrième révolution industrielle est en train de transformer la vie des entreprises manufacturières dans les pays industrialisés. Il va sans dire que ces nouvelles technologies ont et auront un impact majeur sur l'emploi.

En Allemagne, l'industrie 4.0 aura un impact sur l'ensemble de la société, affirme Claudia Grüne, gestionnaire en investissement chez GTAI. « L'environnement de travail changera fondamentalement, et le défi sera de préparer tous les employés - également avec la formation continue - pour ce nouveau monde industriel. C'est l'une des tâches majeures dans la mise en oeuvre de l'industrie 4.0 », dit-elle.

En fait, d'ici 2025, tous les emplois manufacturiers seront touchés en Allemagne, et la nature même des emplois connaîtra une transformation majeure, souligne une étude de l'Institute for Employment Research, qui relève du ministère allemand de l'Emploi.

Chose certaine, les entreprises et les travailleurs devront s'adapter, car nous ne sommes qu'au début de la quatrième révolution industrielle, affirment les spécialistes.

L'industrie québécoise ressentira aussi cette onde de choc et elle n'aura pas le choix de s'adapter, estime Martin Dupont, directeur général de la Société de développement économique de Drummondville. « Les entreprises manufacturières qui ne deviendront pas 4.0 sont appelées à disparaître », affirme ce spécialiste en développement économique qui souhaite amener une délégation d'entreprises de Drummondville au Hannover Messe l'année prochaine.

Même son de cloche du côté de Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain : « Notre objectif, à la Chambre, c'est d'amener nos entreprises du Québec à être plus conscientisées à ce qui se passe ici, au Hannover Messe. »

Notre journaliste s'est rendu en Allemagne invité par Investissement Québec, mais l'organisme n'a ni orienté, lu ou approuvé notre reportage.

Visionnez les démonstrations de la technologie du digital twin et des robots de Siemens qui apprennent à se positionner par ­eux-mêmes.

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